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Pis, cette recherche de protection auprès des djinns pourrait constituer un motif d'encouragement pour ces derniers et les pousser à s'enorgueillir et à se prendre pour des entités toutes puissantes, ce qui est sans aucun doute condamnable, surtout lorsqu'on sait que le dernier mot et la Puissance absolue appartiennent à Allah uniquement à l'exclusion de toute autre entité, ou pouvoir, terrestre ou extraterrestre.

Ces différentes significations que nous avons dégagées du discours des héros des djinns à l'attention de leur public se révèlent d'une grande importance dans ce contexte romanesque qui a été écrit à notre intention, nous les humains, et à nul autre.

Cette partie du récit nous suggère que tout recours à quelqu'un d'autre qu'Allah sera vain et inutile, et qu'il trahit notre faiblesse et l'absence de confiance en Allah.

Elle nous fait savoir ensuite que les djinns, ou du moins un groupe de djinns, malgré leurs pouvoirs considérables (aux yeux des humains), malgré leur orgueil et bien qu'ils aient subi l'influence directe de leur grand chef (insensé), Satan, n'ont pas hésité un moment à croire en Allah et au Message de Mohammad (P), dès qu'ils ont écouté la récitation du Coran.

Le récit se propose enfin de nous faire comprendre, indirectement que les djinns malgré leur appartenance à un genre non humain, et bien que le Coran soit révélé dans la langue humaine, leurs héros ont épousé promptement le Message de Mohammad aussitôt qu'ils en ont pris connaissance, alors que les humains ont hésité à répondre à l'Appel au Bien.

Naturellement la leçon à tirer de ce récit ne se limite pas à la question de l'Unicité et du monothéisme, mais la déborde pour couvrir l'attitude des humains face à tous les principes de l'Islam en général. En d'autres termes l'expérience humaine doit tirer la leçon de l'expérience des djinns pour amender et réformer sa conduite en général vis-à-vis de sa fonction de lieutenance (khilâfah) sur la Terre, fonction que le Ciel nous a assignée pendant la durée limitée de notre existence dans le monde d'ici-bas.

* * *

Ecoutons encore l'élite des djinns poursuivre son discours:

«Nous avions frôlé le Ciel et nous l'avions trouvé rempli de gardiens redoutables et de dards flamboyants.

»Nous étions assis sur des sièges pour écouter; mais quiconque écoute rencontre aussitôt un dard flamboyant aux aguets.

»Nous ne savions pas si un mal est voulu pour ceux qui sont sur la Terre, ou si leur Seigneur veut qu'ils se maintiennent sur la Voie Droite».[173]

Dans ces séquences du discours des héros des djinns à l'adresse de leur public, le récit divulgue de nouvelles vérités dans le domaine du phénomène cosmique qui a accompagné la révélation du Message de l'Islam. Ces vérités nous montrent, à nous les humains, l'importance considérable du Message de l'Islam que le Ciel a choisi pour nous.

En effet, un changement dans le système cosmique s'est opéré lors de la naissance du Message de l'Islam, changement que le dialogue ou le discours des djinns nous font découvrir.

Tout d'abord l'affirmation: «Nous avions frôlé le Ciel et nous l'avions trouvé rempli de gardiens redoutables et de dards flamboyants» signifie que les djinns étaient en train de monter vers le Ciel et qu'ils l'ont trouvé rempli d'anges et de dards flamboyants, c'est-à-dire les lumières étendues du Ciel.

Puis l'énoncé: «Nous étions assis sur des sièges pour écouter» signifie que lors de leur ascension vers le Ciel et de leur observation de ses gardiens angéliques et de ses dards flamboyants, les djinns écoutaient les voix des anges et leurs mouvements.

Mais ce qui s'est produit par la suite c'est que «quiconque écoute rencontre aussitôt un dard flamboyant aux aguets». C'est dire que ces djinns qui jouissaient jusqu'alors de la liberté de se mouvoir et de se déplacer dans l'espace, au point qu'ils voyaient les anges et des dards flamboyants et qu'ils apprenaient les secrets (du Ciel), se trouvent maintenant (c'est-à-dire après la descente du Coran sur Mohammad (P)) dans une situation telle qu'un dard flamboyant les guette et les empêche de monter, dès qu'ils essaient de tendre l'oreille pour écouter.

Le fait d'associer la rétention des djinns - c'est-à-dire le fait de l'interdiction de monter vers le Ciel - au Message du Coran, nous fournit une indication claire de l'importance de ce que nous venons de signaler, au passage, plus haut, à savoir le changement intervenu dans le système cosmique lors de la Révélation du Message de l'Islam. Cette association a attiré donc l'attention des djinns sur l'avènement d'un phénomène important qui les a conduits à s'interroger: «Nous ne savions pas si un mal est voulu pour ceux qui sont sur la terre, ou si leur Seigneur veut qu'ils se maintiennent sur la Voie Droite» ou en d'autres termes: si un tourment sera infligé aux humains, ou si un Message les guidera sur le Droit Chemin.

* * *

Les héros des djinns se sont donc rendus compte de l'occurrence du phénomène important, tel que nous l'avons vu.

Maintenant, ces héros continuent, à travers leur discours tenu à leur public après qu'ils ont écouté le Coran, à nous faire découvrir davantage de vérités relatives à leur monde, ce qui peut nous permettre de tirer plus de leçons de leurs expériences.

Ils relatent:

«Certains d'entre nous sont justes tandis que d'autres ne le sont pas; nous suivons des chemins différents.

»Nous savions que nous ne pourrions pas affaiblir la Puissance de Dieu sur la Terre, et que nous ne pourrions y échapper par la fuite.

»Nous avons cru en la Direction, lorsque nous l'avons entendue: "Quiconque croit en son Seigneur ne craint plus ni dommage, ni affront.

»Il y a parmi nous des soumis et, parmi nous, des révoltés. Ceux qui sont soumis ont choisi la Voie Droite.

»Quant aux révoltés, ils serviront de combustible à la Géhenne"».[174]

Ces propos ne sont pas (dans la logique du récit) une simple transposition d'une expérience d'une dynastie d'êtres ignés. Ils relèvent essentiellement des expériences humaines. Car en fait il y a des justes (parmi les djinns et les humains), comme il y en a de moins justes. De même, il y a des groupes différents (chemins différents). Mais comme les djinns l'ont dit à bon escient, personne dans l'univers, ne peut «affaiblir la Puissance de Dieu sur la Terre», ni ne peut «y échapper par la fuite». La dominance demeure à Allah seul.

Par conséquent, dès que les héros des djinns se sont confrontés à cette vérité, ils ont proclamé en s'adressant aux leurs: «Nous avons cru en la Direction, lorsque nous l'avons entendue».[175]

Enfin le récit nous transmet cette séquence qui résume tout: «Quiconque croit en son Seigneur ne craint plus ni dommage, ni affront».[176]

Lorsque le récit nous transcrit textuellement le discours tenu par un groupe de djinns à leur public, il nous vise nous les humains à travers la similitude de l'expérience vécue par la dynastie des êtres faits d'argile et celle des êtres ignés, quant au conflit entre la volupté et la raison, qui habite l'une et l'autre. Les héros des djinns ont expliqué qu'il est parmi eux des "Musulmans" et des "révoltés", des "justes" et de "moins justes", ainsi que des "chemins différents". Cette même vérité marque les humains.

Mais les membres conscients des djinns (les héros) ont expliqué que la vérité est que la foi en Allah abolit la crainte de tout dommage et de tout affront, ce qui signifie, en fin de compte, que les hommes devraient être plus portés que les djinns à percevoir de telles vérités que le Ciel leur a prodiguées, en faisant descendre le Coran sur l'un d'entre eux, le Prophète Mohammad (P), et qui mieux, dans une langue qu'ils maîtrisent parfaitement.

Ainsi, ce récit divertissant qui nous a transmis l'expérience des djinns représente un modèle de divers procédés littéraires par lesquels le Coran cherche à nous conduire à rectifier notre conduite et à comprendre la Vérité de notre devoir d'adoration ou de soumission totale à Allah et à Ses Ordres.      

Sourate (76): L'Homme

Le Récit des Pieux

A- La Sourate

Au Nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux

 

5 Les hommes purs boiront à une coupe dont le mélange sera de camphre.

6 Les serviteurs de Dieu boiront à des sources que Nous feront jaillir en abondance.

7 Ils tenaient fidèlement leurs promesses, ils redoutaient un Jour dont le mal sera universel.

8 Ils nourrissaient le pauvre, l'orphelin et le captif, pour l'amour de Dieu.

9 «Nous vous nourrissons pour plaire à Dieu seul; nous n'attendons de vous ni récompenses, ni gratitude.

10 Oui, nous redoutons, de la part de notre Seigneur, un Jour menaçant et catastrophique».

11 Mais Dieu les a protégés du malheur de ce Jour. IL leur fera rencontrer la fraîcheur et la joie.

12 Il les récompensera pour leur patience en leur donnant un Jardin et des vêtements de soie.

13 Là, accoudés sur des lits d'apparat, ils n'auront à subir ni soleil ardent, ni froid glacial.

14 Ses ombrages seront à proximité et ses fruits inclinés très bas, pour être cueillis.

15 On fera circuler parmi eux des vaisseaux d'argent et des coupes de cristal,

16 de cristal d'argent et remplies jusqu'au bord.

17 Ils boiront une coupe dont le mélange sera de gingembre,

18 puisé à une source nommée là-bas: «Salsabil».

19 Des éphèbes immortels circuleront autour d'eux. Tu les compareras, quand tu les verras, à des perles détachées.

20 Quand tu regarderas là-bas, tu verras un délice et un faste royal.

21 Ils porteront des vêtements verts, de satin et de brocart. Ils seront parés de bracelets d'argent. Leur Seigneur les abreuvera d'une boisson très pure.

22 «Cela vous est accordé comme une récompense. Votre zèle a été reconnu!»

23 Oui, Nous avons fait descendre sur toi le Coran.

24 Accepte donc le décret de ton Seigneur.

N'obéis ni au pécheur, ni à l'ingrat qui se trouve parmi eux.

25 Invoque le Nom de ton Seigneur à l'aube et au crépuscule.

26 Prosterne-toi, la nuit, devant Lui.

Célèbre longuement Ses louanges, durant la nuit.

27 Ils aiment la vie éphémère et ils négligent un Jour grave.    

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On appelle cette sourate aussi "Al-Dahr" (Le Temps), ou "Hal Atâ" (littéralement: Est-il venu) d'après les deux premiers mots de la Sourate. On peut diviser les 31 versets qui la composent en deux parties principales.

La première partie (versets 1-22) est consacrée surtout à la description des conditions réjouissantes dans lesquelles reposera dans le Paradis une catégorie spécifique de Croyants, les "Pieux" dont nous parlerons en détail, lorsque nous aborderons le récit qui porte leur nom un peu plus loin.

Dans la seconde partie (versets 23-31) Allah conseille au Prophète (P) de s'armer de patience face aux pécheurs et aux renégats, de ne pas leur prêter oreille, et de n'avoir cesse d'évoquer le Nom du Seigneur et de Le glorifier.

Il est important, pour mieux comprendre le sens et la portée de cette sourate, d'en connaître les circonstances de la révélation. Selon Al-Allâmah Mohammad Hussein Tabâtabâ'î qui s'appuient sur des sources chiites et un grand nombre de sources sunnites, dignes de foi (lesquelles rapportent le témoignage du Compagnon Ibn 'Abbas) il ne fait aucun doute que la Sourate Al-Insân (L'Homme) a été révélée à la suite d'un événement dont les acteurs ou les héros étaient l'Imâm 'Alî, Fatimah al-Zahrâ', et leurs deux fils al-Hassan et al-Hussain.

En effet Ibn 'Abbas a rapporté:

«Une fois, al-Hassan et al-Hussain étaient tombés gravement malades. Le Messager d'Allah (P) accompagné d'autres personnes est venu leur rendre visite. Les visiteurs suggérèrent à 'Alî de faire un voeu pour la guérison de ses fils. 'Alî approuva, et il formula le voeu, avec son épouse Fâtimah al-Zahrâ' et leur servante Fidh-dhah, de jeûner trois jours, si al-Hassan et al-Hussain venaient à guérir. Lorsqu'ils guérirent effectivement, il fallait tenir la promesse de jeûne. Comme la famille n'avait pas à ce moment les provisions nécessaires pour les repas de la rupture du jeûne, l'Imâm 'Alî emprunta à un Juif dénommé Cham'ûn al-Khaybarî trois çâ' d'orge à cet effet. On commença le jeûne et Fâtimah a moulu 1 çâ' (2,831 kg) de cette orge et a cuit cinq pains (un pain pour chacun).

»Lorsqu'ils se sont apprêtés à rompre le jeûne au crépuscule, un mendiant se présenta et s'écria: "Que la paix soit sur vous, ô gens de la maison de Mohammad! Je suis un indigent parmi les indigents des Musulmans! Nourrissez-moi, et Allah vous nourrira sur les tables du Paradis". Ils préférèrent lui offrir leur repas (les cinq pains) à leur détriment, et passèrent la nuit sans rien manger, se contentant de l'eau.

»Le lendemain ils entamèrent cependant le deuxième jour de jeûne; et au moment de la rupture du jeûne, un orphelin est venu frapper à leur porte, ils firent de même et lui donnèrent leur repas.

»A la fin du troisième jour de jeûne un captif leur demanda à manger, ils lui offrirent leur repas.

»Le lendemain, 'Alî amena ses deux fils chez le Prophète (P) qui, constatant qu'ils tremblaient de faim, comme des poussins, dit: "Que cela me fait mal de vous voir ainsi!". Aussi les ramena-ils à la maison de 'Alî; et là il a vu Fâtimah dans son mihrâb (lieu aménagé pour la prière), le ventre collé au dos, les yeux caves (creux). Cette scène l'affligea profondément.

»Là Jibrâ'îl (l'Archange Gabriel est descendu et après lui avoir dit: "O Mohammad! Ceci vient d'Allah à propos de ta famille", il se mit à lui réciter la sourate.».[177]    

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B- Le Récit

Les récits et les histoires qui nous présentent le milieu du "Paradis" sont parsemés dans le Noble Coran, comme nous le savons tous. Mais certains d'entre eux mettent l'accent sur un milieu spécifique ou des héros spécifiques qui ont des traits particuliers sur le plan du degré de leur piété et de leur rang dans la hiérarchie dans piété.

Ainsi la Sourate "Le Miséricordieux" a exposé deux milieux distincts dont chacun a ses propres personnages: deux paradis supérieurs et deux autres au-dessous d'eux.

La Sourate "L'Echéant" (Celle qui est inéluctable) nous présente également deux milieux, l'un "supérieur" pour les "premiers arrivés", l'autre "inférieur" pour les "gens de la droite".

Quant à la Sourate de "L'Homme" qui nous occupe ici, elle brosse le tableau d'un environnement spécial dont les héros sont qualifiés de pieux.

Il est de notoriété publique dans le domaine de l'exégèse que cette Sourate a été révélée à propos de l'Imâm 'Alî (p), de Fâtimah al-Zahrâ' (p), et de leurs deux fils al-Hassan (p) et al-Hussayn (p), lorsqu'ils ont offert leur repas de la rupture du jeûne à des pauvres pendant trois jours consécutifs où ils accomplissaient un jeûne votif.

Il est indéniable aussi que ce récit vise, en mettant en relief la question de l'altruisme et de sa récompense dans l'Au-delà, la présentation de l'environnement des "Pieux" en général, c'est-à-dire ceux qui offrent la nourriture par amour pour Allah à un indigent, à un orphelin et à un captif, sans attendre de personne ni récompense ni marque de gratitude.

Il ne fait pas de doute également que lorsque le récit consacre un tel environnement dont nous allons parler, c'est parce que la question de "l'offre de la nourriture pour la Face d'Allah", n'est qu'un des aspects de la conduite qui caractérise les "Pieux".

Si, pourtant, le récit a mis l'accent sur cet aspect, c'est à cause de son importance sur le plan de l'exercice à l'abandon du soi, et parce qu'il vise à nous inviter à adopter une telle attitude dans nos actes de piété.

Voyons à présent comment le récit introduit la péripétie de "l'offre de la nourriture pour la Face d'Allah", et puis, passons à la présentation du milieu du Paradis avec ses descriptifs pittoresques et plaisants qui ont polarisé la plupart des éléments attachés au dit milieu.    

* * *

Le récit des "Pieux" débute comme suit:

«Les hommes pieux boiront à une coupe dont le mélange sera de camphre.

»Les serviteurs de Dieu boiront à des sources qu'ils feront faillir à leur convenance.

»Ils tenaient fidèlement leurs promesses, ils redoutaient un Jour dont le mal sera universel.

»Ils nourrissaient le pauvre, l'orphelin et le captif pour l'amour de Dieu;

»Nous vous nourrissons pour plaire à Dieu Seul; Nous n'attendons de vous ni récompense ni gratitude.

» Oui, Nous redoutons, de la part de notre Seigneur, un Jour menaçant et catastrophique (...)

»Mais Dieu les a protégés du malheur de ce Jour (...)»[178]

Ce début du récit révèle, sur le plan de sa structure artistique, une technique romanesque subtile et significative. Le récit débute par le milieu de l'histoire: l'environnement du Jour de la Résurrection, puis, revient au début des péripéties: l'environnement de la vie d'ici-bas, et reprend enfin celles-ci selon leur ordre chronologique qui commence par un lieu, le Paradis, et un temps, le Jour Dernier.

Ainsi il se déplace d'un environnement postérieur (le Paradis), vers un environnement antérieur (le bas-monde), retournant ensuite vers l'environnement du Paradis, mais avec un début particulier et un retour particulier. Il est important de comprendre le pourquoi de ce procédé romanesque et son lien avec la signification idéologique que sous-tend le récit.

Donc la première question que le lecteur pourrait se poser est pourquoi le récit a-t-il débuté par la narration du Paradis de l'Autre-monde et pourquoi a-t-il commencé par un élément spécifique (la boisson) et la façon dont elle est consommée, au détriment des autres éléments de l'environnement de l'Au-delà? Car en effet, le récit aurait pu aborder en premier lieu la description du Paradis en général, sa beauté et le plaisir qu'on y éprouve, comme il l'a fait dans les parties suivantes, par exemple:

«Il leur fera rencontrer la fraîcheur et la joie.

IL les récompensera pour leur patience en leur donnant un jardin»[179] ... etc.

De même le récit aurait pu commencer tout d'abord par la présentation de la question de "l'offre de la nourriture" dans la vie d'ici-bas, et ses conséquences heureuses dans l'Autre-monde, et non pas, comme il le fait, en commençant par le Paradis, en retournant ensuite vers le bas-monde, et en revenant après au Paradis.

Quelle est donc la signification artistique de cette construction du récit de la Sourate?

On peut suggérer, en ce qui concerne la question de savoir pourquoi commencer par la présentation de l'Au-delà et plus précisément de la boisson qu'on y sert, que le récit a pour objet de mettre en évidence les personnages de "Pieux" en particulier, en raison de leur distinction par des traits spécifiques qu'on ne retrouve pas chez les personnages ordinaires, et la récompense de l'Au-delà, consécutive à leur conduite dans la vie d'ici-bas.

De là, le récit a commencé par la présentation des "Pieux" de la façon suivante: «Les hommes pieux boiront etc... » pour annoncer la récompense de leur mérite. Or, faire miroiter la récompense a un grand effet psychologique sur la conduite et pousse à réformer et à discipliner celle-ci. Cela est une évidence.

Quant à savoir pourquoi le miroitement de la récompense commence par la description des coupes et des sources avec leurs odeurs agréables qu'elles feront jaillir à leur convenance..., c'est parce que cela se rapporte à la plus forte des pulsions vitales de l'homme.

En effet, on sait, en psychologie que la pulsion de la soif est la plus forte et la plus pressante des pulsions humaines, se classant même avant la pulsion de la faim, laquelle vient avant toutes les autres pulsions vitales. Ceci concerne les pulsions primaires.

Quant aux pulsions moins pressantes, mais qui se classent tout de même parmi les pulsions de racine vitale, la pulsion esthétique se situe au sommet, surtout lorsqu'elle est associée à un besoin pressant et primaire telle la soif.

De là, nous réalisons l'importance (artistique) du commencement du récit par la boisson et de son association avec les besoins ou les plaisirs esthétiques qui lui sont liés, tels que «la coupe dont le mélange sera de camphre», «des sources que Nous ferons jaillir en abondance...».

* * *

Notons-le bien. A peine le récit a-t-il entamé la description de la vie de l'Au-delà à travers ses coupes et ses sources, il est revenu vers la vie d'ici-bas promptement pour nous rappeler "les hommes pieux" qu'il décrit ainsi:

«Ils tenaient fidèlement leurs promesses; ils redoutaient un Jour dont le mal sera universel.

»Ils nourrissaient le pauvre, l'orphelin et le captif, pour l'amour de Dieu.

»"Nous vous nourrissons pour plaire à Dieu Seul; nous n'attendons de vous ni récompense, ni gratitude.

»Oui, nous redoutons, de la part de notre Seigneur, un Jour menaçant et catastrophique".

»Mais Dieu les a protégés du malheur de ce Jour...»[180]

Le récit lie le milieu dont il a décrit un élément (la boisson) à la conduite de l'homme dans le bas-monde, conduite qui a qualifié les héros pour cette position enviable au Paradis.

Donc, ce qui est visé essentiellement dans le récit, c'est la conduite terrestre de l'homme. C'est pour cette raison que le récit a rompu la chaîne de la description pour nous ramener à la vie d'ici-bas, et nous faire ainsi (par ce procédé romanesque) comprendre et saisir l'importance de cette conduite.

Cette conduite visée consiste en: le respect de la promesse, la crainte d'un Jour menaçant et catastrophique, l'offre de la nourriture pour l'amour d'Allah et non pour l'obtention d'une récompense et d'un signe de gratitude de la part d'autrui etc...

Ce sont donc ces traits caractéristiques de la conduite, en particulier, à l'exclusion de tout autre, que le récit veut souligner et signaler à l'attention du lecteur.

Il est à noter aussi, que le récit a fait connaître certains traits caractéristiques de cette conduite sous forme de monologue intérieur prêté aux héros: «Nous vous nourrissons pour plaire à Allah»[181], «nous redoutons, de la part de notre Seigneur un Jour menaçant et catastrophique».[182]

Quelle est donc l'importance de ce monologue intérieur? Tient-il lieu de la narration d'un récit qui a ses héros et ses péripéties? Puis quel est le lien entre ce monologue intérieur avec la conduite visée dont il est question?

Nous avons dit que le récit a suivi un procédé romanesque consistant à rompre la chaîne de la présentation descriptive du Paradis pour revenir au bas-monde où il nous raconte l'histoire de ceux qui tiennent leur promesse, qui offrent la nourriture, qui redoutent un Jour menaçant et catastrophique, qui nourrissent (le pauvre etc.) pour l'amour de Dieu et non pour rechercher une récompense ou une reconnaissance d'autrui.

Ce message que le récit véhicule requiert que l'on s'y arrête et que l'on y médite.

Tout d'abord, la valeur romanesque dudit message réside dans le fait qu'il lie le particulier et le général, passe du partiel au total, du particulier au général, des individus au public, et c'est cela le propre de l'art grandiose.

Expliquons-nous. Le récit nous transmet l'anecdote de quelques personnages qui représentent un modèle de l'élite de l'humanité: L'Imâm 'Alî, Fâtimah al-Zahrâ' (son épouse et la fille chérie du Saint Prophète), et leur deux fils "Al-Hassan" et "Al-Hussain", et leur servante "Fidh-dhah".

Ces gens ont fait une promesse ou formé un voeu à Allah. Or tenir la promesse est obligatoire. Cela va de soi.

Ils avaient promis de jeûner pendant trois jours. Ils l'ont fait effectivement. Mais ce qui s'était produit entre-temps, c'est qu'ils avaient offert leur repas de rupture du jeûne, le premier jour à un indigent qui avait frappé à leur porte, le second jour à un orphelin qui fit de même, et le troisième jour à un captif qui les a sollicités.

Evidemment, le récit ne nous a pas rapporté les détails de cette histoire, ni n'a mentionné ses héros. Ce sont les textes de tafsîr (exégèse) qui s'en sont chargés.

De là, l'importance de "l'art romanesque" dans le récit coranique: il nous propose des thèmes généraux et universels qui ignorent le temps et l'espace, se contentant de présenter des concepts, des idées et des sujets qui concernent tous les êtres humains et non une catégorie à l'exclusion d'une autre, toutes les époques et tous les temps, et non une région en particulier ou une époque particulière à l'exclusion d'autres, idées, concepts et thèmes qui tiennent lieu d'instructions, de commandements, de recommandations, de directives dont doivent tenir compte tous les humains, lesquels n'ont pas été créés sans finalité, mais pour qu'ils s'acquittent de leur fonction ou de leur devoir d'adoration sur la terre, devoir tiraillé par les deux pôles du conflit qui habite l'homme: l'esprit et la volupté, le bien et le mal, la piété et le libertinage, l'objectivité et la subjectivité.

Font partie de ce devoir ou de cette fonction: le respect de la promesse, quelle qu'elle soit; l'offre de la nourriture aux démunis; l'action en vue de satisfaire Allah et non dans le but de recevoir des remerciements de la part des gens; la crainte du Jour du Compte.

Ces quatre devoirs font partie de divers autres devoirs que le Ciel a fixés pour les êtres humains. Et si ce récit a mis l'accent sur ces quatre devoirs en particulier, c'est d'une part à cause de leur importance, et d'autre part, parce que les autres devoirs sont présentés dans d'autres récits ou textes coraniques.

* * *

Le premier devoir ou thème exposé dans notre récit est la tenue de la promesse.

Les expériences humaines nous ont montré que beaucoup de gens implorent Allah et se dirigent vers Lui lorsqu'ils vivent dans l'adversité ou lorsqu'ils sont atteints d'un mal, mais que, dès qu'ils s'en sortent, ou dès qu'ils en sont soulagés, ils oublient les grands bienfaits du Miséricordieux et s'en éloignent.

C'est là une vérité familière à nous tous. Le Coran et la Sunna en parlent si souvent qu'il n'est pas nécessaire d'en citer des exemples.

La promesse ou le voeu est l'une des formes sous lesquelles on fait appel à Allah pour nous sortir du pétrin. La tenue ou le respect de la promesse ou du voeu est un acte positif réclamé par le Ciel. Et au contraire, le non-respect de la promesse faite lors de la formulation d'un voeu, équivaut à un oubli, une ignorance ou une négligence des Bienfaits divins, et un retour vers soi.

Le récit coranique, lorsqu'il met en évidence "ceux qui tiennent leur promesse" après qu'il a abordé le Paradis, établit un lien de cause à effet entre l'obtention de cette position au Paradis et l'accomplissement de l'acte de "la tenue de la promesse", et ce à un tel point qu'il confère le qualificatif de "pieux" aux héros qui observent une telle conduite (la tenue de la promesse).

* * *

Le deuxième devoir est la crainte du Compte du Jour Dernier:

«Ils tiennent fidèlement leurs promesses et ils redoutent un Jour dont le mal sera universel»[183].

Il ne fait pas de doute que la crainte du Compte constitue un trait général des "pieux", du fait que le manquement dans les actes d'adoration est à craindre toujours lorsqu'on sait qu'il est difficile de s'acquitter de tout ce que mérite le Ciel pour les Bienfaits infinis qu'IL nous accorde.

Mais le fait de lier ce trait au contexte de la tenue de la promesse signifie qu'une importance particulière est conférée à celle-ci et à son respect, lorsqu'elle est associée à la crainte (au cas où la promesse ne serait pas tenue) d'un Jour où "le mal sera universel".

Quant aux deux autres devoirs, le troisième et le quatrième, ce sont: "l'offre de la nourriture aux démunis", et "le fait que cette offre soit faite pour l'amour d'Allah et non pour s'attirer la gratitude d'autrui".

Ces deux devoirs revêtent sans doute une grande importance, surtout lorsqu'on remarque que le dernier devoir: "offrir la nourriture pour l'amour d'Allah", a été présentée sous forme de monologue intérieur prêté aux héros.

Le fait d'offrir le repas constitue en soi un acte révélateur d'une tendance à sortir de l'égoïsme et à s'acheminer vers l'altruisme. C'est un partage des soucis des autres, c'est une façon de sympathiser avec eux. C'est une remise en cause du moi, et une tentative de sortir de l'attachement à soi-même pour porter les soucis des gens sur soi.

* * * Il est à noter que le récit a présenté trois types de démunis: "l'indigent", "l'orphelin" et "le captif", chacun d'eux incarne une sorte particulière du besoin matériel, associée à ses traits psychologiques.

Ainsi, l'indigent est celui qui manque de tout en général, car il ne possède rien. L'orphelin est marqué par la perte d'un père qui devrait l'entourer de ses soins affectifs et matériels. Le captif se caractérise par un autre trait psychologique, à savoir son dépaysement social.

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