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Lisons tout d'abord l'introduction faite par le récit, des deux premiers Paradis:

«Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur.

»Quel est donc celui des bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez?

»Deux Jardins pleins de floraison».[52]

Lisons ensuite l'introduction faite par le récit des deux autres Paradis:

«Il y aura deux autres Jardins en deçà de ces deux-là.

»Quel est donc celui des bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez?

»Deux Jardins ombragés».[53]

Cela suppose qu'il y a deux Jardins dont l'environnement est identique en tout: plantes, eau, tapis ou Houris etc., et deux autres Jardins qui sont également identiques mais qui diffèrent des deux premiers.

Une question se pose alors: les quatre Jardins ou plutôt les deux doubles Jardins sont-ils destinés à un même type de croyants considérés selon leur degré de piété?

Ou bien les deux couples de Jardins ou les deux doubles Jardins représentent-ils deux niveaux ou deux positions préférentiels dans la hiérarchie des valeurs islamique, comme nous allons le remarquer dans la Sourate (56): "L'Échéant" (al-Wâqi'ah) par exemple, où la position réservée aux "Premiers" est supérieure à celle destinée pour les "gens de la droite?"

L'importance de cette question réside en ceci qu'elle expliquerait l'importance du devoir ou de l'action de l'homme sur la terre, devoir ou action qui traduit le degré de sa piété (dans ce monde) et détermine la position qu'il occupera, en conséquence, dans le Paradis.

Référons-nous donc au récit pour tenter d'obtenir des éléments de réponse à cette interrogation.

* * *

Selon certains textes de tafsîr (exégèse), les deux couples de Jardins sont destinés aux mêmes types de croyants qui peuvent s'y déplacer à leur guise, mais ce qui les distingue, c'est que les deux premiers constituent une sorte de siège particulier pour le croyant, alors que les deux autres qui se situent tout près de ce siège particulier restent à sa disposition et il peut en jouir quand il le veut.

Mais cette interprétation n'est pas plausible pour deux raisons:

1- Parce qu'elle est contraire au sens obvie du texte littéraire;

2- Parce qu'elle est contredite par d'autres exégèses plus crédibles.

En effet sur le plan de la structure romanesque du récit, nous - lecteurs ou auditeurs - ne pouvons pas concevoir qu'un récit puisse construire son ossature sur deux doubles Jardins différents l'un de l'autre, sans que cette différence se reflète sur les héros pour lesquels ces Jardins constituent les environnements et les lieux de jouissance. Donc logiquement il doit y avoir forcément deux types différents de héros qui occuperont respectivement les deux doubles Jardins distincts, chacun selon son rang.

Le critique littéraire ou quiconque possède un goût romanesque en général et connaît les procédés d'esquisse d'un "milieu" et d'un "héros" ou "personnage", et les rapports organiques entre les deux, peut, même sans avoir connaissance des textes de tafsir, déduire que les deux premiers Jardins sont destinés à une catégorie de personnes différente d'une autre catégorie, laquelle devrait être inférieure. Autrement, il n'y aurait pas de justification technique à cette division des Jardins sur le plan de l'ossature romanesque générale.

Mais ce qui est encore plus déterminant à cet égard, c'est que les textes de tafsîr dignes de foi, attribués aux Ahl-ul-Bayt vont dans ce sens: ce qui incite à mieux apprécier la valeur de la technique romanesque qui caractérise les récits du Noble Coran, puisqu'elle permet au lecteur de découvrir lui-même le message que le récit renferme, comme nous allons le voir plus clairement au fur et à mesure que nous développons notre étude de ce récit.

Ce qui nous intéresse à présent, c'est d'aborder, en premier lieu, les détails relatifs aux deux premiers Jardins, et par conséquent aux héros qui en jouissent, et de montrer le lien entre tout ceci avec la tâche d'adoration dont l'homme doit s'acquitter sur la terre, car le sort (réservé aux héros) que le récit dépeint ici dépend de la conduite que le croyant aura choisie sur la terre lorsqu'il s'y trouve tiraillé par le conflit intérieur entre le désir et la raison.

* * *

La description du milieu de l'Au-delà débute dans ce récit de la façon suivante:

«Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur».

Ce début romanesque revêt une importance esthétique réjouissante relativement à l'ossature du récit et son incidence sur ses messages idéologiques qui cherchent à distinguer deux catégories de personnes qui occuperont subséquemment deux positions différentes dans le milieu paradisiaque.

Le récit dit qu'il y a deux Jardins destinés à celui qui redoutait son Seigneur. Mais qui est "celui qui redoutait son Seigneur?" Comment le déterminer?

La crainte d'Allah ou la crainte révérencielle en général signifie qu'une personne observe les commandements et les interdictions de telle sorte qu'elle mérite une récompense proportionnelle au degré de son observance des ordres d'Allah.

Cette observance des principes divins peut être qualifiée de très élevée, d'un degré tellement supérieur qu'elle dépasse tous les degrés qu'il puisse y avoir entre l'observance et la non-observance, entre l'obéissance et la désobéissance, entre la détermination (à observer un principe divin) et l'hésitation, entre la sincérité dans l'observance et l'observance dont se dégage une odeur d'égoïsme.

Les textes de tafsîr projettent une lumière claire sur ce sujet, surtout lorsqu'ils émanent des Imâms d'Ahl-ul-Bayt[54]. En effet, l'Imâm al-Bâqer dit à ce propos:

«Un homme est très attiré par la satisfaction d'un des désirs de ce monde. Mais la satisfaction de ce désir s'avère constituer une désobéissance à Allah. Cet homme se rappelle alors "le lieu où se dressera son Seigneur"... Il abandonne donc son désir par crainte d'Allah. Et c'est lui qui aura été désigné par ce verset[55] coranique, et les deux Jardins évoqués dans ledit verset sont aux croyants pieux et aux premiers d'entre eux à avoir obéi à Allah».

L'Imâm Ja'far al-Sâdiq, commentant ce même verset dit à son tour:

«Celui qui est conscient qu'Allah le voit, entend ce qu'il dit et sait ce qu'il fait de bien et de mal, et qui, de ce fait s'abstient de mauvaises actions, c'est lui qui "aura redouté le lieu où se dressera son Seigneur"».

Ces deux hadîths de tafsîr expliquent on ne peut plus franchement et clairement que les deux Jardins décrits par le récit reviendront aux personnes qui se seront abstenues de tout péché par crainte d'Allah.

Donc c'est l'observance totale des principes divins, sans que cette observance soit entachée d'un acte de désobéissance, qui conduit un croyant à occuper, au Paradis, une position que d'autres, qui auraient commis, d'une façon ou d'une autre, un péché, ne pourront obtenir.

Ceci est le message idéologique de ce début romanesque: «Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur».

Passons ensuite à la signification technique ou romanesque (de ce début), et à son lien avec les parties suivantes du récit, lesquelles apporteront un éclairage complet sur cet aspect.

* * *

Nous avons expliqué que le début romanesque qui évoque deux Jardins, indique que ceux-ci incarnent une position on ne peut plus sublime, étant donné qu'ils sont destinés à des croyants que la crainte révérencielle empêche de commettre un péché, si minime soit-il, ce qui leur fait mériter une récompense supérieure à celle destinée à des gens dont la conduite obéissante est teintée de péché ou marquée d'hésitation.

Mais d'un point de vue purement romanesque, ce début annonce clairement que le couple de Jardins en question est destiné aux "premiers des croyants" et aux croyants pieux, et non aux croyants en général, pour lesquels un autre couple de Jardins, inférieurs aux deux premiers, sont réservés.

Nous pouvons saisir cette différence entre les deux doubles Jardins à travers le lien que le récit nous laisse établir entre son début et sa fin.

Ainsi, alors que le début du récit annonce: «Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur», la fin conclut: «La récompense du bien est-elle autre chose que le bien?».[56]

Or, il est évident que le mot "bien" (ihsân) ne couvre sa signification linguistique (en arabe) que s'il est accompagné ou synonyme d'absence totale de péché, position qui qualifie les premiers à avoir la "Foi" ou les croyants marqués par la crainte révérencielle, ou la piété (taqwâ), comme l'expliquent les textes de tafsîr que nous avons consultés.

En tout état de cause, la structure architecturale du récit (le début et la fin) montre ce lien entre la "crainte d'Allah" et le "bien", ce qui concorde avec les textes de tafsîr relatifs à ce sujet.

Maintenant, lorsque nous laissons de côté le début et la fin du récit pour nous diriger vers ce qu'on appelle en langage de littérature romanesque le "milieu", à savoir l'espace dans lequel se développent les péripéties - s'il s'agit d'un roman d'action - ou la description, s'il s'agit d'un roman descriptif, comme c'est le cas dont nous traitons ici, il nous faut nous arrêter longuement sur les dimensions de ce "milieu" et sur ses héros (personnages) dont les traits nous ont été dévoilés, à travers le début et la fin du récit, et qui ont eu le privilège d'accéder à ces deux Jardins sublimes.

* * *

Le récit dit à propos de ce milieu ou de ces deux Jardins:

1- qu'ils sont «pleins de floraison»[57];

2- «où coulent deux sources»[58];

3- «où il y aura deux espèces de tout fruit»[59];

4- «Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart et les fruits des deux Jardins seront à la portée»[60];

5- «Ils y trouveront celles (les Houris) aux regards chastes, qu'avant eux aucun homme ou jinn n'aura déflorées».[61] «Elles seront semblables au rubis et au corail».[62]

Telles sont les dimensions ou les ingrédients de ces deux Jardins sublimes qui représentent les hautes positions du Paradis par rapport aux autres.

Mais pour connaître la nature de la différence entre la première et la seconde classe de croyants, si l'on peut s'exprimer ainsi, nous devons lire les ingrédients de deux Jardins inférieurs aussi:

«Il y aura deux autres Jardins en deçà de ces deux-là».[63]

Que cachent-t-ils?:

1- «Deux Jardins ombragés»[64];

2- «Dans lesquels jaillissent deux sources»[65];

3- «Ils contiennent des fruits, des palmiers, des grenadiers»[66];

4- «Il y aura là des vierges bonnes et belles»[67];

5- «Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de beaux tapis».[68]

De prime abord, on croirait que les ingrédients des deux couples de Jardins sont identiques ou semblables, mais lorsqu'on les examine de plus près, on découvre vite qu'il y a une différence entre eux, différence qui renforce la thèse selon laquelle chaque couple de Jardins est destiné à une catégorie différente de croyants, et non celle selon laquelle les deux premiers Jardins servent de siège particulier, et les deux autres comme un lieu public.

En effet, il y a cinq éléments communs dans les quatre Jardins ou les deux couples de Jardins:

1- Les plantes ou les arbres;

2- L'eau ou les sources;

3- Les fruits;

4- Les lits, etc.

5- Les Houris.

Mais si chacun de ces cinq éléments semble identique dans certains de ses aspects dans les deux couples de Jardins, il en diffère de l'un à l'autre, dans d'autres aspects.

Essayons maintenant d'examiner minutieusement chacun de ces cinq éléments, tout en notant qu'ils sont apparus dans le même ordre dans les deux descriptions (sauf pour les houris et les lits): 1- la plante, 2- l'eau, 3- les fruits.

Concernant les lits et les Houris, ils paraissent respectivement en quatrième et cinquième position dans la description des deux Jardins supérieurs, et inversement dans les descriptions des deux Jardins inférieurs.

Or, il ne fait pas de doute que la description de chacun des cinq éléments suivant un ordre précis revêt une importance architecturale dans l'ossature du récit: les arbres, l'eau, les fruits.

De même, concernant les deux Jardins destinés aux croyants de la première catégorie, le fait de faire figurer la description des lits (4e dans l'ordre) avant la description des Houris (5e dans l'ordre), est significatif sur le plan architectural (de l'ossature du récit).

La question qui se pose maintenant est: pourquoi la description des lits figure dans la quatrième position, avant la description des Houris lorsqu'il s'agit des croyants de la première catégorie, alors que cet ordre est inversé dans le cas de la seconde catégorie?

Cette interrogation, tout comme l'interrogation relative à la différence entre les deux catégories de croyants, est d'une grande importance dans la mesure où elle se rapporte à notre conduite dans la vie terrestre et à la conséquence de cette conduite (selon nos préoccupations spirituelles et matérielles) sur la récompense dans l'Au-delà, récompense qui nous prépare un environnement qui concorde avec la nature de nos préoccupations spirituelles et matérielles dans l'Au-delà aussi.

* * *

Nous avons dit que les quatre Jardins, les deux Jardins supérieurs et les deux Jardins inférieurs renferment cinq éléments ou cinq ingrédients environnementaux: les plantes, l'eau, les fruits, les lits, les Houris.

Il nous faut maintenant comparer chacun de ces cinq éléments dans les deux couples de Jardins afin de bien saisir ce qui différencie le double Jardin supérieur du double Jardin inférieur.

Commençant par les plantes ou les arbres.

Le récit dit à cet égard en ce qui concerne le double Jardin supérieur: «deux Jardins pleins de floraison»[69], ou «aux branches fraîches»[70] (selon une autre traduction), et en ce qui concerne le double Jardin inférieur:

«Deux Jardins ombragés»[71] (ou «de verdures assombries»[72] ou «Ils sont d'un vert sombre»[73] ou «assombris à force de verdure»[74], selon d'autres traductions).

Sur le plan de la dimension esthétique de chaque deux Jardins, ceux supérieurs ont des branches, et ceux inférieurs sont d'un vert sombre ou aux plantes touffues.

Normalement la vue de branches suspendues tout comme la vue d'arbres assombris par la couleur ou la densité, constituent toutes deux un paysage agréable, réjouissant et merveilleux en général.

Mais la différence entre la vue de branches et la vue d'arbres assombris par la couleur vert foncé ou par leur densité est évidente en ce qui concerne le degré de la jouissance esthétique que chacune des deux vues offre au spectateur ou à l'observateur.

Nous pouvons percevoir cette différence à travers nos expériences dans l'observation des paysages de la nature: la vue d'une densité d'arbres ou d'arbres vert fourré n'est-elle pas moins réjouissante que la vue de branches suspendues d'une façon remarquable et harmonieuse, surtout lorsque la branche porte des fruits ou des bourgeons.

En outre lorsque le branchage est bien fourni et étendu de sorte qu'il couvre une large surface, cela remplace l'élément esthétique qui caractérise les deux Jardins inférieurs, à savoir la densité ou la quantité des arbres. En d'autres termes, les deux Jardins supérieurs portent les mêmes caractéristiques et quelque chose de plus que les deux Jardins inférieurs. Ceci n'est qu'un des aspects de la différence qui distingue les deux couples de Jardins.

* * *

Le deuxième élément commun aux quatre Jardins est l'eau.

A propos des deux Jardins supérieurs le récit dit à ce sujet:

«Où coulent deux sources».[75]

Et pour ce qui concerne les deux Jardins inférieurs:

«Dans lesquels jaillissent deux sources».[76]

Dans le premier cas les deux sources coulent, dans le second cas, elles jaillissent.

De prime abord l'eau ou la source jaillissante paraîtrait plus réjouissante que la source coulante, notamment pour nos yeux qui sont généralement plus excités par la vue du jet d'eau.

Mais une observation plus minutieuse nous conduirait à avoir une réaction contraire à notre réaction ordinaire à cet égard: notre attirance vers les sources jaillissantes est passagère, par comparaison à notre attirance vers l'écoulement de l'eau ou des sources.

En effet, l'écoulement de l'eau présente une variété de vues ou de paysages - suivant les divers tournants et ramifications qu'elle emprunte à partir des quatre ou six côtés (ou plus) de la source - qui chasse la monotonie qu'engendre un seul et même mouvement de l'eau qui jaillit d'une source.

Certes l'eau jaillissante pourrait avoir les mêmes tournants et ramifications que l'eau de sources coulantes, mais le paysage qu'elle offre demeure moins réjouissant du fait de la nature même de son mouvement qui reste superficiel par rapport à la forme de la surface de la terre, et non pas uni à elle, comme c'est le cas de l'eau des sources coulantes qui prend la forme de cette surface.

En outre la facilité de l'utilisation des eaux des sources coulantes (boire, lavage, moyen de transport) est plus grande que celle des eaux des sources jaillissantes. En un mot: l'aspect utilitaire est nettement plus perceptible dans le cas de l'eau coulante que dans celui de l'eau jaillissante.

Ainsi, les eaux qui coulent demeurent plus réjouissantes et plus utiles que les sources jaillissantes, ce qui constitue une faveur supplémentaire réservée aux héros ou personnages des Jardins supérieurs par rapport à ce qui est accordé aux personnages des Jardins inférieurs.

* * *

Le troisième des cinq éléments que renferme l'environnement des quatre Jardins est le fruit.

En ce qui concerne les fruits des Jardins supérieurs le récit annonce:

«Ils contiennent deux espèces de chaque fruit»[77],

et ceux des deux Jardins inférieurs:

«Ils contiennent des fruits, des dattiers, des grenadiers».[78]

Là encore, à première vue, on croirait que les deux Jardins inférieurs renferment en plus des fruits en général, les dattiers et les grenadiers, alors que dans les deux Jardins supérieurs il y a deux espèces de tout fruit. Mais lorsque nous réfléchissons un peu plus sur le texte, nous remarquerons que les deux descriptions nous permettent de constater que les croyants qui ont pour demeure les deux Jardins supérieurs, sont en fait favorisés là aussi.

Certes, les dattes et la grenade - selon l'exégèse qui renvoie le texte coranique à son contexte historique - constituent les meilleurs des fruits. Et lorsque le récit nous dit que les deux Jardins inférieurs comprennent des fruits, des dattiers et des grenadiers, il entend par là que dans ces deux Jardins il y a tous les fruits, y compris les meilleurs d'entre eux, en l'occurrence: les dattes et les grenades.

Mais lorsque nous nous référons aux deux Jardins supérieurs, nous nous rendrons compte qu'ils renferment tout ce que les deux Jardins inférieurs renferme, et davantage, puisque'il y a non seulement toutes les sortes des fruits (comme dans les deux Jardins inférieurs), mais en plus, il y en a deux espèces de chacun (de ces fruits). Ainsi, les raisins par exemple, se trouvent aussi bien dans les deux Jardins inférieurs que dans les deux Jardins supérieurs, mais dans ces derniers, il existe deux espèces de ce fruit: le raisin frais et le raisin sec par exemple, et chacun d'eux, est appétissant et a une propriété particulière, alors que dans les deux Jardins inférieurs il n'y en a qu'une espèce.

Donc, il y une grande différence dans le degré de jouissance et de satisfaction des besoins selon qu'il est accordé aux personnages de la première ou de la seconde catégorie des croyants qui accéderont au Paradis: ceux de la première catégorie auront droit à deux espèces de chaque fruit.

Une fois encore, notons que l'existence de cette différence évoque dans notre esprit la différence - dans la conduite terrestre de l'homme - entre un croyant qui ne commet aucun péché lorsqu'il se trouve comme tout un chacun, impliqué dans le conflit intérieur entre le désir et la raison, et un autre croyant qui tombe en proie à l'hésitation entre les deux parties en conflit, ou qui rate parfois l'occasion de montrer son obéissance, en ne sachant pas la saisir à temps, ou encore qui ignore les domaines de l'obéissance - y compris l'acquittement d'un acte recommandé, ce qui aura une incidence sur le degré de la récompense qui lui sera décernée le Jour dernier.

* * *

Il nous reste maintenant à examiner les deux derniers éléments (les lits et les Houris) que le récit cite dans un ordre différent selon qu'il s'agit des deux Jardins supérieurs ou des deux Jardins inférieurs, pour voir dans quelle mesure la description de ces deux éléments permet de percevoir la différence de traitement réservé aux héros respectifs des deux paires de Jardins.

Concernant les lits préparés pour les héros des deux Jardins supérieurs, le récit raconte:

«Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart et les fruits des deux Jardins seront à leur portée».[79]

Et pour ce qui concerne ceux des deux Jardins inférieurs, il dit:

«Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de beaux tapis».[80]

Les héros des Jardins supérieurs et ceux des Jardins inférieurs jouissent tous deux du privilège de pouvoir s'accouder lorsqu'ils s'assoient. Mais la différence entre les deux catégories de héros ou de croyants, c'est que ceux du couple de Jardins supérieurs, c'est-à-dire ceux qui «redoutaient tellement le lieu où se dressera leur Seigneur» dans la vie terrestre qu'ils s'étaient abstenus du moindre péché, leur privilège est marqué par d'autant plus de soins et de jouissance que le revers de leurs lits ou tapis était de brocart, de soie à dessins. Quant à l'endroit des tapis ou des lits, le récit se tait, pour des motifs artistiques, laissant au lecteur le loisir de l'imaginer.

En outre, il y une autre marque artistique qui caractérise cette image de lits à revers de brocart sur lesquels sont accoudés les héros: elle suggère au lecteur combien ces derniers vivent dans un climat de douceur, de velouté, de bien-être, de luxe, de réjouissance et de satisfaction en reposant leurs dos sur un bloc de brocart qui fait le revers du lit et non son endroit. Que dire alors de l'endroit? Le récit n'a pas besoin de le décrire (du point de vue romanesque) dans la mesure où la mise en évidence de la haute qualité du revers conduirait le lecteur à imaginer que l'endroit serait d'une qualité ou d'une douceur du moins égale sinon supérieure, étant donné qu'il a déjà découvert que ce qui distingue les héros des deux Jardins supérieurs, c'est le plus haut degré de luxe dont ils jouissent.

* * *

Lorsque nous abordons les personnages de la seconde catégorie et des deux Jardins inférieurs nous remarquons que l'accoudement se fait «sur des coussins verts et sur de beaux tapis»[81] (ou selon d'autres traductions: «sur des tapis verts, et des splendeurs de fable»[82], «sur des sièges verts et merveilleux, jolis»[83], ou «sur des coussins verts et des tapis épais et jolis»[84]).

Ce qui est traduit par coussin ici en arabe (rafraf) lequel peut être un coussin, un tissu, les jardins particuliers du Paradis, ou toute autre chose que le récit qualifie de vert, cette couleur étant de toute évidence plaisante pour les yeux du spectateur ou de l'observateur.

Quant au mot traduit ici par tapis (en arabe 'abqarî) il peut désigner lui aussi tapis ou toute autre chose que le récit qualifie de "beau" pour mieux réjouir le spectateur.

Détail important sur le plan de l'art romanesque, dans ces descriptions faites relativement au milieu des personnages de la seconde catégorie, l'aspect de luxe ou de réjouissance qui prédomine regarde l'envers ou l'extérieur des choses décrites et se rapporte au sens de la vue. Ainsi, les "coussins" sont verts et les tapis, sont d'aspect beau. Donc nous avons affaire à de belles formes et aux couleurs vertes, et non à la matière ou à la substance de ces tapis, coussins ou tissus: lin, brocart, etc.

Cette différence entre l'accoudoir des personnages des Jardins supérieurs et celui des personnages de la catégorie inférieure, doit faire l'objet d'un développement exhaustif, afin que nous puissions mieux saisir les aspects de la beauté artistique du récit et leurs reflets sur les indices qui font ressortir la différence entre ce qui est accordé à des personnages de la catégorie supérieure et à des personnages d'une position inférieure.

Remarquons encore, au risque de nous répéter, ce grand aspect artistique du récit qui s'est ingénié à mettre en exergue la matière ou le côté intérieur des lits (le revers) sur lesquels s'accoudent les personnages de la catégorie supérieure, et la forme extérieure des lits sur lesquels s'accoudent les personnages de la catégorie inférieure.

Or une grande différence sépare ces deux figures ou images: l'image de l'aspect intérieur et l'image de l'aspect extérieur. Lorsque l'aspect intérieur se traduit par "brocart" (pour les personnages des deux Jardins supérieurs), l'aspect extérieur se dévoile de lui-même, vu que celui-là (l'aspect intérieur) est plus important que celui-ci (l'aspect extérieur) d'une part, et que l'intérieur est révélateur de l'extérieur, d'autre part. Et lorsque c'est le contraire qui se produit et que seul l'endroit (l'extérieur) est mis en évidence, comme c'est le cas des accoudoirs des personnages des deux Jardins inférieurs, le revers ou l'intérieur ne se révèle pas de lui-même.

* * *

Mais la différence entre les deux paires de paradis ne se limite pas aux indices que nous avons soulignés jusqu'ici. Il y a un autre repère nettement plus perceptible que le récit a placé dans l'environnement des deux Jardins supérieurs permettant ainsi de le distinguer du milieu des personnages des deux Jardins inférieurs.

Relisons donc chacune des deux descriptions. A propos des héros des deux Jardins supérieurs, le récit a relaté:

«Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart et les fruits des deux Jardins seront à leur portée».[85]

Et à propos des personnages des deux Jardins inférieurs:

«Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de beaux tapis».[86]

Ici, on remarque dans le milieu des personnages des Jardins supérieurs un détail de taille qu'on ne retrouve pas dans l'environnement des personnages des Jardins inférieurs.

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