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Cette mise au point faite, examinons les significations que comportent les propos du héros à la clôture de la séance ou de la réunion tenue en vue de débattre du projet de l'assassinat de Moïse (P).
* * *
Le Croyant du peuple de Pharaon dit: «Ô mon peuple! Pourquoi vous appellerais-je au salut, alors que vous m'appelez au Feu!».[28]
C'est la première des séquences dont nous attendons, sur le plan romanesque, qu'elle ait des incidences sur les sorts réservés au peuple de Pharaon, puisqu'elle fait allusion au Feu.
Le héros dit aussi: «Vous vous souviendrez de ce que je vous dis».[29]
Et là c'est la deuxième séquence qui promet une suite, puisqu'elle est chargée d'une menace sérieuse qui n'a rien de rodomontade.
Et le héros d'ajouter: «Je confie mon sort à Dieu».[30]
Cet énoncé laisse supposer que les tyrans vont pourchasser ce héros, mais le lecteur a en même temps tendance à se rassurer, en pensant que le Ciel n'abandonnera pas le héros à son sort et qu'IL l'entourera de Ses soins.
Donc lorsqu'on médite sur ces trois énoncés:
1- «Pourquoi vous appellerais-je au salut, alors que vous m'appelez au Feu?»;
2- «Vous vous souviendrez de ce que je vous dis» ;
3- «Je confie mon sort à Dieu»,
On se demande quelle suite le récit va-t-il y donner et on reste dans l'attente.
Effectivement, l'attente ne sera pas longue. Le récit annonce promptement et d'une façon brusque, le sort subi par le peuple de Pharaon et la délivrance du héros de la malveillance de ce peuple, et ce tout de suite et directement après que le Croyant eut terminé son discours:
«Dieu préservera ce Croyant de leurs méchantes ruses, et les gens de Pharaon, IL les enveloppera du châtiment le plus dur».[31]
Par ces mots le récit a tout tranché, achevant le rôle du héros et du peuple de Pharaon dans ce bas-monde.
Ensuite le récit abordera directement le sort réservé au peuple de Pharaon dans le milieu de Barzakh, puis dans le milieu de l'Enfer, comme nous en parlerons en détails ultérieurement.
Mais avant d'aborder cette phase, il est nécessaire de nous attarder encore sur la corrélation organique entre les mots du héros et les sorts réservés à Pharaon et à son peuple, et de tirer quelques leçons idéologiques qui nous serviraient dans notre conduite terrestre.
* * *
Nous avons vu concernant le sort du héros que la réplique du Ciel à l'énoncé de celui-ci «je confie mon sort à Dieu» fut: «Dieu préserva ce Croyant de leurs méchantes ruses».
Dans cette séquence, outre le trait romanesque qui consiste en l'établissement d'un lien entre le discours du héros à l'adresse de son peuple, et le commentaire du récit sur ce discours, il y a un message idéologique qu'il est important de retenir, car il est chargé d'enseignements.
En effet on doit remarquer que ce héros a dissimulé sa foi durant de longues années (pour des raisons relevant du principe de la taqiyyah (la dissimulation légale de la foi) qui requiert une telle dissimulation tantôt par souci de préserver la pratique religieuse, tantôt pour mieux servir sa foi, au moment propice, tantôt pour préparer une révolution pour les raisons précitées et par la nécessité qu'impose la nature de l'action clandestine des mouvements de libération. Et subitement, il nous surprend en manifestant sa colère au moment approprié, et selon une méthode psychologique intelligente: d'abord en se présentant sur un registre de neutralité.
«Tuerez-vous un homme parce qu'il a dit: "Mon Seigneur est Dieu?"».[32]
Puis en se montrant solidaire avec son peuple et soucieux de son intérêt: «la royauté vous appartient aujourd'hui, et vous triomphez sur la terre; mais qui donc nous délivrera de la rigueur de Dieu quand elle nous atteindra?»[33], et avant tout cela il a calmé le jeu ou tempéré l'enjeu en déclarant: «S'il est menteur, son mensonge retombera sur lui; s'il dit la vérité, ce dont il vous menace vous atteindra...».[34]
Par cette méthode le héros a modéré l'importance du problème d'une part, l'a lié à l'intérêt du peuple de l'autre (au cas où Moïse aurait dit la vérité) - ce qui sert à rassurer les gens quant à ses bons sentiments envers eux, avant de monter progressivement le ton en leur rappelant d'abord le sort réservé aux peuples passés et comment ils avaient mis en doute le message de Joseph (P), et en affichant enfin sa véritable position lorsqu'il a utilisé le même ton franc sur lequel Moïse (P) s'était adressé à eux, c'est-à-dire le langage de la confrontation directe avec les tyrans, mais formulé selon un style affectif propre à tous les messages du Ciel, et doublé du langage de la menace, mais une menace plutôt paternelle que vindicative, car elle vise à amener les gens à la Foi avec tout ce qu'elle apporte de bienfaits dans ce bas-monde et dans l'Au-delà, au peuple.
En tout état de cause, le héros a commencé par la taqiyyah (dissimulation de la Foi) pour avancer progressivement vers la "neutralité" et arriver enfin à "la confrontation franche", et d'autant plus directe qu'il était amené à envisager le pire pour lui-même: son arrestation ou son assassinat. Et là il s'est écrié: «je confie mon sort à Dieu».[35]
Moralité, il est important, d'une part, de savoir dissimuler parfois notre foi, pour pouvoir par la suite exploiter notre position, le moment venu, d'une façon intelligente, et non passionnelle ni naïve qui ne tient pas compte des circonstances ambiantes, et d'autre part de nous confier et de nous fier à Allah lorsque nous nous engageons dans la confrontation directe.
* * *
Le récit a conclu le sort du héros et ceux de ses ennemis d'une façon brève et sans détails.
Concernant le sort du premier, le héros, le récit s'est contenté de faire allusion à la préservation de sa vie terrestre: «Dieu préserva ce croyant de leurs méchantes ruses».[36]
Notons tout d'abord que ce qui importe pour le récit c'est d'établir un lieu de cause à effet entre le fait que le héros se soit confié à Allah et le fait qu'Allah l'ait sauvé des menées méchantes de ses ennemis. Et s'il a tissé un silence autour de la façon dont fut sauvé le héros, c'est parce qu'il s'intéresse uniquement au salut lui-même du personnage et non à son comment. Telle est donc la justification romanesque de l'absence de détails relatifs au sort du Croyant des gens de Pharaon.
En effet, ce que vise le récit, c'est d'attirer notre attention sur la soustraction du héros aux mauvais desseins des gens de Pharaon à son égard, dès lors qu'il s'était confié à Allah.
"La confiance en Allah", voilà le message que cette séquence du récit nous transmet, après nous avoir communiqué le message de la taqiyyah et le message de "la confrontation directe avec les ennemis" dans le domaine du jihâd.
"Se confier à Allah" signifie que le combattant dans les champs de bataille ou dans le domaine du combat intérieur (le grand jihâd contre le moi), ou encore dans tout acte envers d'Allah, est assuré de la protection du Créateur lorsqu'il se trouve dans les difficultés - si extrêmes soient-elles, à condition que cette confiance soit sincère, profonde et éprouvée dans tous les actes d'adoration en général. Et c'est ce que nous avons observé dans les actes ou la conduite du Croyant: il a dissimulé sa foi pour la cause d'Allah; il est intervenu dans le projet de l'assassinat de Moïse, pour la cause d'Allah ; il a conseillé son peuple, puis l'a menacé - au risque de s'exposer à la mort - pour la cause d'Allah.
Il avait confié son sort à Allah, et Allah ne l'a pas déçu: IL l'a préservé des méchantes ruses des gens de Pharaon et IL a administré à ceux-ci le châtiment le plus dur.
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Passons maintenant au sort des gens de Pharaon.
Le récit, là encore, fait l'économie des détails du sort réservé à ces tyrans, se bornant à annoncer: «et les gens de Pharaon, Dieu les enveloppa du châtiment le plus dur»,[37] réalisant ainsi une symétrie ou un équilibre entre le sort du héros sauvé par le Ciel sans plus de détails sur ce sauvetage et la vengeance du Ciel des ennemis, sans plus de détails sur cette vengeance.
On ne peut donc qu'apprécier cet art romanesque qui se signale clairement à travers cet équilibre géométrique entre le sort respectif des deux parties du conflit: la Vérité et le Faux.
Mais il est à noter que le récit n'est pas encore sorti du cadre du sort terrestre des gens de Pharaon. Car nous avons déjà dit, au début de notre exposé, que le milieu dans lequel évolue le récit est composé de trois milieux: le milieu de la vie terrestre, le milieu de Barzakh (tombeau), et le milieu de la vie de l'Au-delà. Il reste donc encore deux milieux qui attendent les gens de Pharaon: le Barzakh ou la tombe, et le milieu infernal dans la Vie future.
Mais avant d'aborder ces deux milieux, il est important d'établir un lien de causalité, sur le plan de l'art romanesque, entre lesdits milieux et les derniers mots par lesquels le Croyant a achevé son discours à l'adresse de son peuple...
Comme on s'en souvient, à peine ce Croyant a-t-il dit: «Je confie mon sort à Allah»[38], le récit a annoncé au début de la séquence suivante: «Dieu préserva ce croyant de leurs méchantes ruses».[39]
Mais le héros avait dit aussi: «Ô mon peuple! Pourquoi vous appellerais-je au salut, alors que vous m'appelez au feu»[40] et «vous vous souviendrez de ce que je vous dis».[41]
Ces deux dernières paroles du Croyant dénotent une signification romanesque de la première importance dans la mesure où elles se refléteront sur les sorts des gens de Pharaon dans ce monde et dans la Vie future en particulier, c'est-à-dire dans le milieu de Barzakh (tombe) et le milieu de l'Enfer.
En d'autres termes, ou en terminologie de la critique romanesque, les deux phrases par lesquelles le héros a clos son discours, "développent" le mouvement des péripéties et les font évoluer organiquement, de sorte qu'elles laissent un effet "causal" sur la variation des péripéties suivantes et sur leur attachement à tel sort ou tel autre.
En effet, l' "Enfer" dont le héros a menacé les gens de Pharaon et le salut auquel il les a invités se sont concrétisés par le "salut" (la vie sauve) effectif du héros et la "punition" effective de ses interlocuteurs (les gens de Pharaon).
En outre les péripéties du récit réalisent les prédictions du héros: «Vous vous souviendrez de ce que je vous dis», et font rappeler les gens de Pharaon, mais quand ce sera trop tard.
* * *
Présentons maintenant le milieu eschatologique, dans ses deux volets, en l'occurrence le milieu de Barzakh et le milieu du Jour dernier, et examinons leur rapport aux paroles du héros: «les pervers deviendront les hôtes du Feu»[42] et «vous vous souviendrez de ce que je vous dis».
Il est indubitable que les tyrans se souviendront de ce que le héros leur a dit de même qu'il ne fait pas de doute qu'ils deviendront comme l'a promis les héros, les hôtes du Feu subconséquemment à leur persévérance dans la tyrannie.
Le voilà donc le milieu de Barzakh qui arrachent les coeurs des tyrans sans relâche: «Le Feu, ils (y) seront exposés matin et soir».[43]
Et voilà le milieu du Jour dernier où ils doivent entrer dans le Feu auquel ils ont été exposés matin et soir, dans la tombe: «l'on dira, le Jour où se dressera l'Heure: "Introduisez les gens de Pharaon au sein du châtiment le plus dur"».[44]
Le lecteur peut s'interroger ici sur la justification (romanesque) de la présentation du milieu de Barzakh d'abord, et de celui du Feu (et notamment cette séquence: «introduisez les gens de Pharaon au sein du châtiment le plus dur») par la suite?
Nous verrons dans la dernière partie du récit une place spéciale pour les gens de Pharaon dans le milieu du Feu, dans laquelle sont exposées les discussions de ces derniers entre eux, et les blâmes que les uns adressent aux autres, ainsi que le reflet d'autres péripéties du récit sur la relation organique établie entre la conduite des gens de Pharaon dans la vie terrestre et son incidence sur leur position dans l'Au-delà, ainsi que sur leur façon d'agir avec le héros (le Croyant des gens de Pharaon).
Avant de traiter de la signification romanesque de la présentation de Barzakh, puis du milieu de l'Enfer lui-même à travers les discussions que les gens de Pharaon y engagent, il est nécessaire de noter que le héros (le Croyant) disparaîtra complètement de la scène, exactement comme l'a fait avant lui, Moïse, et que cette dernière partie du récit sera réservée exclusivement aux gens de Pharaon (dans le milieu eschatologique de l'après vie terrestre).
Quant à la raison technique de la disparition du héros des théâtres des événements, la question ne pose pas dans la mesure où nous avons déjà expliqué que le rôle du héros s'est achevé avec l'achèvement de sa mission de confronter les tyrans dans la vie terrestre.
En ce qui concerne son rôle dans la vie de l'Au-delà, il s'inscrit dans un autre registre et se limite à la réflexion de l'écho de ses paroles, ses prédictions et ses conseils sur les sorts réservés aux gens de Pharaon aussi bien dans la tombe qu'en Enfer.
* * *
Le Croyant des gens de Pharaon a allongé son discours à l'attention de son peuple, et cet allongement a, sans aucun doute, sa justification.
Ses interlocuteurs, Pharaon en tête, ont réagi à ce discours par le sarcasme, par une attitude encore plus orgueilleuse et par plus d'entêtement.
De là, proportionnellement à l'allongement du discours, on peut prévoir que la punition, dont le héros a menacé son peuple sera allongée aussi pour qu'il y ait équilibre (sur le plan de l'art romanesque) entre l'espace (ou la durée) consacré à l'exposé des conseils et des menaces du Croyant et la durée ou l'espace qu'occupe la description de la punition subconséquente au refus des gens de Pharaon d'écouter ses conseils, après avoir ignoré les conseils de Moïse, avant lui également.
Ainsi le récit a consacré à la description de l'environnement de Barzakh où sombrent les gens de Pharaon une place qui correspond à leurs attitudes et leurs menées criminelles: ils ont tué les hommes, laissé vivre les femmes en veuves et orphelines, égorgé les enfants, outre qu'ils se sont entêtés dans leur orgueil malgré les conseils sincères et désintéressés prodigués non seulement par un étranger comme Moïse, mais aussi par un jeune issu de leurs rangs, faisant partie de la clique au pouvoir, ou mieux un proche parent de Pharaon, un cousin selon certains textes d'exégèse.
Malgré tout cela, les gens de Pharaon ont persisté dans la mauvaise voie, attirés viscéralement par l'amour du pouvoir.
L'insolence et la vanité de Pharaon ont été portées à leur apogée lorsqu'il a demandé à son ministre impuissant Hâmân de lui construire une tour qui lui permettrait de voir le Ciel, se moquant ainsi de Dieu! Quel horrible sort peut-on prévoir dès lors à un tel tyran, à sa clique gouvernante et à son peuple dominateur!
Même la lie du peuple, les faibles de son peuple étaient éblouis par son faux pouvoir, et l'ont suivi et ont suivi sa clique, aspirant à de petits gains, préférant la vie d'ici-bas à celle de l'Au-delà, choisissant la tranquillité plutôt que le combat sur le Chemin d'Allah, bien que ce Chemin leur ait été bien montré par ceux, parmi eux, qui ont répondu à l'Appel de la Vérité, ont cru et ont épousé la cause d'Allah malgré toutes les épreuves qu'ils ont subies à cet égard.
Donc l'amour du pouvoir et la préférence de la tranquillité, malgré l'évidence de la Vérité et la profusion de conseils prodigués, déboucheront forcément sur un sort dont l'horreur est proportionnelle à la jouissance terrestre tant recherchée, et qui s'est évaporée en quelques secondes, emportée par la noyade qui les a livrés au fond de la mer.
Mais la mer n'a pas tardé à les livrer à son tour à la chaleur du Feu. Les eaux froides les ont remis aux flammes brûlantes.
Les voilà donc, après avoir été emportés par la mer, «exposés matin et soir au Feu», et tout ceci avant le Jour dernier où ce qui les attendra sera de tout autre ampleur.
* * *
Dans le milieu du Jour du Compte les gens de Pharaon commencent à se souvenir du héros et de ce qu'il leur a dit: «Vous vous souviendrez... ». Ne leur a-t-il pas montré clairement la voie du salut? Ne leur a-t-il pas dit que «les pervers deviendront les hôtes du Feu»?
Ils se mettent à se blâmer mutuellement. Chacun rejette sur l'autre la responsabilité de son égarement. Ils se souviennent tous des prédictions du héros. Mais à quoi bon. Ici il n'ont aucune alternative. L'Enfer et rien que l'Enfer; alors qu'ils avaient le choix le jour où le héros s'est adressé à eux en leur indiquant les deux voies opposées qui se dessinent devant eux: la voie du Paradis et la voie de l'Enfer.
* * *
Le récit s'achève sur cet exposé sur les gens de Pharaon dans le milieu d'Enfer:
«Lorsqu'ils se disputent dans le Feu, les faibles diront aux orgueilleux: "Nous vous avons suivis ; pouvez-vous, maintenant, nous préserver d'une partie de ce Feu?".
»Les orgueilleux diront: "Nous y sommes tous plongés" - Dieu juge Ses serviteurs - ».[45]
Tel est le dialogue qui se noue entre les deux classes des gens de Pharaon: les faibles et les orgueilleux.
Il est un autre dialogue qui s'engage entre les gens de Pharaon et les gardiens de la Géhenne:
«Ceux qui seront dans le Feu diront aux gardiens de la Géhenne: "Priez votre Seigneur de diminuer d'un jour notre châtiment".
»Les gardiens diront: "Vos Prophètes ne vous ont-ils pas apporté des preuves décisives? Ils répondront: "Oui, ils sont venus!". Les gardiens diront: "Invoquez Dieu!", mais la prière des incrédules n'est qu'aberration!»[46]
Cette présentation qui conclut le récit tranche tout. Elle est un développement organique et une évolution artistique d'un exposé riche en péripéties et en situations dans lesquelles le héros, le Croyant des gens de Pharaon, a occupé la place centrale, par son argumentation adressée aux gens de Pharaon et par la réplique de Pharaon à cette argumentation.
Moralité, le public qui avait assisté à la réunion tenue par Pharaon et sa clique, ou qui a reçu l'écho de l'intervention du héros, de son discours et de ses conseils sincères, ce public avec son tyran Pharaon et tous les autres orgueilleux, tiennent une réunion semblable dans la Géhenne, mais uniquement pour se blâmer les uns les autres, et non pour choisir la voie à suivre, comme ils en avaient la possibilité lors de la première réunion, celle de la vie terrestre.
Voilà les faibles, ceux qui se sont contentés de suivre, qui avaient léché les pieds de leurs chefs, qui se sont comportés en stipendiés pour satisfaire les désirs malsains de leurs maîtres, qui se sont préféré la tranquillité et la jouissance éphémère, les voilà qui blâment leurs maîtres:
«Nous vous avons suivis; pouvez-vous, maintenant, nous préserver d'une partie de ce Feu?»[47]
Et leurs chefs de répondre, sur un ton qui, exaspère leur sentiment de douleur, d'amertume et de regret: «Nous y sommes tous plongés. Dieu juge Ses serviteurs».
Combien ces stipendiés se sentent-ils bafoués, écrasés et frustrés lorsqu'ils entendent leurs commanditaires se dégager de toute responsabilité? Tout ceci concerne le dialogue des gens de Pharaon entre eux.
Quant à leur attitude envers les gardiens de la Géhenne, elle est pire encore. Lorsqu'ils ont demandé à ces derniers de prier Allah pour qu'IL diminue, même d'un seul jour, leur châtiment, ceux-ci leur ont rappelé (comme l'avait fait le héros) les Prophètes qui étaient venus vers eux avec des preuves évidentes à l'appui. Et ces gardiens d'ajouter: «Priez Dieu vous-mêmes!». Ils l'ont dit en se moquant des gens de Pharaon, de la même façon dont Pharaon s'était moqué du héros, dans la réunion terrestre, lorsqu'il avait demandé à son ministre Hâmân, sur un ton moqueur, de lui construire une tour lui permettant d'avoir une vue sur le Ciel afin de voir le Dieu du Croyant des gens de Pharaon.
La réplique artistique à la moquerie de Pharaon est donc cette réponse sarcastique lancée par les gardiens de la Géhenne à la figure des tyrans et de leurs agents stipendiés, qui avaient préféré la jouissance éphémère de la vie terrestre et qui avaient raillé les croyants.
46 Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur. 47 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez? 48 Deux Jardins pleins de floraison 49 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez? 50 Où coulent deux sources. 51 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez? 52 Où il y aura toutes les espèces de fruits. 53 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 54 Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart et les fruits des deux Jardins seront à leur portée. 55 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 56 Là, ils rencontreront celles dont les regards sont chastes et que ni homme ni djinn n'ont jamais touchées avant eux. 57 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 58 Elles seront semblables au rubis et au corail. 59 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 60 La récompense du bien est-elle autre chose que le bien? 61 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 62 Il y aura deux autres Jardins en deçà de ces deux-là. 63 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 64 Deux Jardins ombragés 65 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 66 Dans lesquels jaillissent deux sources. 67 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 68 Ces deux Jardins contiennent des fruits, des palmiers, des grenadiers. 69 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 70 Il ya aura là des vierges bonnes et belles. 71 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 72 Des Houris qui vivent retirées sous leurs tentes. 73 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 74 Que ni homme ni djinn, n'a jamais touchées avant eux. 75 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 76 Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de baux tapis. 77 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux vous nierez? 78 Béni soit le Nom de ton Seigneur plein de Majesté et de Munificence.
* * *
Le récit des "Quatre Paradis" occupe les versets 46-78 de la sourate "le Miséricordieux" (al-Rahmân). Mais avant d'aborder le récit qui nous intéresse, il convient de dire quelques mots à propos de cette Sourate qui se détache des autres chapitres du Coran par beaucoup de ses aspects, et que le Noble Prophète a qualifiée de 'Arûs al-Qor'ân (l'épousée du Coran), c'est-à-dire la plus belle, la plus gracieuse etc... étant donné que les plus beaux jours de la vie d'une femme ce sont les jours de noces où elle met en évidence toute sa beauté et toute sa grâce et qu'elle se voit chérie, choyée et entourée de tous les soins.
En fait la Sourate "le Miséricordieux" se signale à l'esprit du lecteur aussi bien par sa forme (la force du style, l'intensité des images, la beauté de la description etc...) que par son contenu (ses thèmes et ses messages).
Le célèbre orientaliste et traducteur du Coran, le Professeur Jacques Berque a dit à propos de ce chef-d'oeuvre: «Cette sourate, en forme de psaume à répons, dirait-on, ou du moins à refrain, serait par sa grâce, 'arûs al-Qur'ân (la Fiancée du Coran). Tout entière elle commente l'attribut divin Rahmân (...). Ce qui est sûr, c'est que toute la sourate, comme Mu'allaqa de Labîd, se place, pour des raisons rhétoriques ou didactiques, sous le signe duel. On ne peut rester insensible à son grandiose souffle lyrique».[48]
La Sourate "Le Miséricordieux" expose en général les différents Bienfaits, matériels, moraux et spirituels qu'Allah a accordés à Ses serviteurs. C'est pourquoi on pourrait l'appeler la "Sourate de la Miséricorde" ou la "Sourate du Bienfait", et c'est la raison pour laquelle elle débute par le Nom béni du "Miséricordieux" qui forme à lui seul un verset, le premier.
On ne manquera pas de remarquer qu'un verset en duel (tous deux, vous..) revient en refrain plus ou moins régulier, trente et une fois: «Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez» pour souligner à l'attention aussi bien des humains que des djinns l'évidence et le caractère irréfragable des manifestations de la Miséricorde d'Allah à travers Ses innombrables Bienfaits.
Cependant, on peut diviser les contenus de la Sourate en cinq parties:
- La première partie (qui couvre les premiers versets) met en évidence les grands Bienfaits divins relatifs à la création de l'homme, à son éducation et à son instruction, à sa nourriture spirituelle et corporelle.
- La deuxième partie explique la question de la création des hommes et des djinns.
- La troisième partie énumère les Signes et les Preuves divins sur la terre et dans le ciel.
- La quatrième partie décrit d'une façon précise et détaillée les Bienfaits et les privilèges (matériels et moraux) réservés dans le Paradis aux serviteurs pieux.
- La cinquième partie le destin des pécheurs et des criminels et le châtiment sévère qui les attendra est brièvement abordé.
La raison de cette brièveté dans la présentation du destin des pécheurs, qui contraste singulièrement avec la description très détaillée de la récompense décernée aux croyants pieux tient au fait, justement, que cette Sourate est consacrée à la Miséricorde d'Allah qui touche généralement tout le monde, y compris les pécheurs, surtout lorsqu'ils se montrent repentants.
Il est dit que la récitation de cette sourate appelle beaucoup de bénédictions et apporte de nombreuses récompenses spirituelles.
En effet, selon Obay Ibn Ka'b, le Prophète a dit: «Allah compatira à la faiblesse de quiconque récite la Sourate al-Rahmân; celui qui la récite aura montré sa gratitude envers les Bienfaits qu'Allah lui a accordés».
Et d'après un hadith attribué à l'Imâm Ja'far al-Sâdiq (p): «Ne manquez pas de réciter la Sourate Al-Rahmân (....) laquelle se présentera à son Seigneur, le Jour de la Résurrection, sous forme humaine, impeccablement présentable et dont exhale le meilleur parfum, et se placera le plus proche possible d'Allah. Allah lui demandera alors: "Qui te récitait avec assiduité et s'appliquait à ta récitation avec persévérance dans le bas-monde?". Elle répondra: "Untel, Untel et Untel...". Ceux-ci seront alors blanchis (de tous péchés) et Allah leur dira: "Intercédez en faveur de quiconque vous désirez". Là ils intercéderont en faveur de tous ceux qu'ils voudront, jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne en faveur duquel ils désireront intercéder. Allah leur dira alors: "Entrez au Paradis et installez-vous là où il vous plaira».[49]
Selon l'Imâm al-Sâdiq également: «On doit réciter la Sourate al-Rahmân le vendredi, et dire "Je ne nie aucun de Tes Bienfaits, O Seigneur!", chaque fois qu'on récite le verset "Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez"».[50]
Toujours, selon l'Imâm: «Quiconque récite la Sourate al-Rahmân, la nuit, et dit "Je ne nie aucun de Tes Bienfaits, O Seigneur!" après chaque récitation du verset "Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez", Allah le fera escorter d'un Ange protecteur jusqu'au matin, et s'il fait la même chose (la même récitation) à son réveil, le matin, Allah le fera escorter d'un Ange protecteur jusqu'au soir».[51]
* * *
Dans cette Sourate, "Le Miséricordieux" il y a une narration qui décrit deux par deux, quatre Paradis dans le milieu de l'Au-delà, c'est-à-dire qu'il y a deux Paradis pour un héros et deux autres pour un second héros, et que chaque couple de Paradis est décrit - quant aux détails du milieu - d'une façon distincte de l'autre, distinction certainement significative, sur laquelle il est important de nous attarder.
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