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Quant aux détails de la situation dans laquelle il a appelé les gens à Allah, le récit les a passés sous silence, laissant d'une part, au lecteur le soin d'en déduire quelques-uns, estimant d'autre part que certains détails ne répondraient à aucune nécessité romanesque, chargeant enfin le nouveau héros (le Croyant d'Âle Pharaon) de nous faire découvrir à travers la présentation de sa personnalité, certains autres détails relatifs au personnage de Moïse et à la situation dans laquelle il a agi auprès des Âle Pharaon.
Un lecteur attentif ou averti ne peut qu'admirer ce procédé de présentation des personnages et des événements très intéressant et plaisant sur le plan de la technique romanesque.
Ceci dit, Moïse ayant disparu totalement de la scène romanesque, laissant la place à un nouveau héros qui va compléter le rôle qu'il a commencé dans le déroulement du récit.
Quels sont donc les traits caractéristiques de ce nouveau héros?
* * *
Le récit débute la présentation du nouveau héros comme suit:
«Un homme croyant, qui appartient au peuple de Pharaon et qui cachait sa foi, dit: ...».[13]
Ce qu'a dit le héros, nous le saurons plus tard. Mais il convient tout d'abord de mettre en exergue les traits caractéristiques de ce héros dont nous avons dit qu'il était au début opposé à l'assassinat de Moïse (P) et qu'il complétera les tâches que le Ciel avait confiées à Moïse.
Le récit nous a dévoilé trois traits de ce personnage: "homme croyant", "appartenant au peuple de Pharaon", "il cachait sa foi".
Là il faut méditer profondément sur l'importance romanesque de la présentation de ces trois traits de la personnalité du nouveau héros. Car cette présentation est riche en significations que nous devons suivre dans le domaine du «Combat sur le Chemin d'Allah» et adopter dans toute action politique, sociale ou individuelle que le Ciel nous demande d'entreprendre dans une situation particulière de terreur, où les tyrans ne laissent à la personnalité musulmane aucune latitude d'agir ouvertement, ou dans des circonstances ponctuelles où l'action secrète s'avère plus efficace que l'action ouverte, comme nous allons en avoir l'illustration dans la conduite de notre héros ici.
En effet, le simple fait que notre héros appartienne au peuple de Pharaon atteste que les membres des groupes, des peuples ou des bandes corrupteurs sur la terre ne sont pas forcément tous, réfractaires au bien et dépouillés de tout bon fond, étant donné que l'éducation sociale spécifique à chacun et la différence entre un individu et un autre déterminent et réforment les comportements individuels, ou même effacent le caractère héréditaire aberrant dans des cas particuliers, et à fortiori les influences du milieu dévié. La femme de Pharaon lui-même était croyante. Pourquoi pas son cousin maternel, par exemple!
L'observation de cette vérité, pourrait nous aider à mettre à profit des individus qui appartiennent à des peuples, des familles, des milieux ou des régimes déviés, à les arracher (secrètement ou ouvertement, selon les circonstances) à la déviation et à les sortir des ténèbres à la lumière, et ceci est d'autant plus important pour la bonne cause que de tels individus, du fait de la position qu'ils occupent auprès du régime, du milieu ou du groupe corrompu, pourraient s'avérer plus efficaces que d'autres.
En tout état de cause ce trait social souligné par le récit, c'est-à-dire le fait de l'appartenance du héros au peuple de Pharaon influera beaucoup sur le déroulement des péripéties, comme nous allons le constater.
Quant au second trait, le fait qu'il soit "Croyant". Le récit l'a entouré de silence. Même les textes exégétiques ne nous apprennent pas grand-chose sur ce trait, se bornant à nous informer que ce Croyant avait caché sa foi pendant des années ou des siècles, sans nous renseigner plus sur le comment et le pourquoi.
Même sur le troisième trait, la dissimulation de la foi, ces textes restent peu loquaces, se contentant d'aborder son aspect général et sa durée.
Il est clair, du point de vue purement romanesque, que le récit se soucie moins de la détermination des préliminaires de la foi ou de sa durée, que du soulignement de son caractère de «secret», à cause de l'importance de ce caractère pour la préservation de la vie du personnage, d'une part, pour l'accomplissement de sa tâche d'adoration (même dans un cadre individuel) de l'autre, et pour les possibilités de l'action sociale que le travail secret actuel pourra permettre: rétablir un droit, effacer un faux, ramener d'autres individus des ténèbres vers les lumière, ou enfin attendre une occasion propice pour agir ouvertement dans une situation décisive, comme le fera effectivement «le Croyant du peuple de Pharaon» qui interviendra à un moment d'extrême gravité, où les tyrans s'apprêteront à assassiner une personnalité élue par le Ciel (Moïse).
Le rôle ou la position fonctionnelle du nouveau héros, «le Croyant du peuple de Pharaon», débute avec la situation suivante:
«Un homme croyant, qui appartenait au peuple de Pharaon et qui cachait sa foi, dit:
»Tuerez-vous un homme parce qu'il a dit: "Mon Seigneur est Dieu", alors qu'il vous a apporté des preuves évidentes.
» S'il est menteur, son mensonge retombera sur lui, s'il dit la vérité, ce dont il vous menace vous atteindra. - Dieu ne dirige pas celui qui est pervers et menteur -
»Ô mon peuple! La royauté vous appartient aujourd'hui et vous triomphez sur la terre, mais qui donc nous délivrera de la rigueur de Dieu quand elle nous atteindra?».[14]
Cette séquence ou ce monologue nous permet de relever plusieurs traits de la technique romanesque utilisée dans le récit.
Ainsi, on peut deviner (de ce monologue) que lorsque Pharaon a dit: «Laissez-moi tuer Moïse», il avait vraiment l'intention de le tuer et qu'il était en train de consulter les autres à ce propos ou à obtenir un soutien pour son projet. La preuve en est l'intervention du Croyant des Âle Pharaon pour donner vraisemblablement son opinion à ce sujet, ayant peut-être promis au peuple le salut au cas où il croirait en Allah, ou la torture terrestre au cas où il refuserait d'entendre raison.
Ceci, on peut le déduire de l'allusion faite par le héros à l'adresse de son peuple de la possibilité pour eux d'obtenir une partie de ce que Moïse leur promet au cas où il dit la vérité, d'une part, et de subir la rigueur ou la torture d'Allah (comme en avait brandi la menace, Moïse): «qui donc nous délivrera de la rigueur de Dieu quand elle nous atteindra».
Ces positions prises par Moïse, le récit ne nous les a pas relatées lorsqu'il a abordé sa (de Moïse) confrontation avec le peuple. C'est le nouveau héros, le Croyant du peuple de Pharaon qui nous les révèle.
Ceci est un des traits de la présentation artistique du récit.
Mais en dehors de ce trait artistique, il importe de découvrir l'importance du rôle ou de la position fonctionnelle du nouveau héros relativement à sa façon d'intervenir, à son intervention intelligente pour sauver la situation, à l'incidence de cette intervention sur Pharaon lui-même et puis sur les événements en général, sans parler des situations équivoques diverses qui l'ont accompagné.
* * *
Ces textes exégétiques indiquent schématiquement que le fait que Pharaon, sachant que l'assassinat des Prophètes et de leurs enfants ne peut être commis que par des fils de prostituées, s'est abstenu d'être l'auteur de ce crime. De même quelques textes d'exégèse nous rapportent une partie d'opinions semblables des conseillers de Pharaon, lesquels lui ont suggéré de reporter l'exécution de Moïse et de son frère Hâroun à une date ultérieure, invoquant le même argument : seule la progéniture des débauchées oseraient assassiner les grandes personnalités.
Cela signifie, au moins, que Pharaon tenait à sa réputation, craignait qu'elle ne fût entachée, et voulait éviter que sa naissance ou son lignage fasse l'objet de clins d'oeil et de chuchotements allusifs au cas où il commettrait l'assassinat d'un Prophète.
En tout état de cause, les ambiguïtés de la situation relative au projet de l'assassinat, nous montrent que Pharaon n'a pas mis à exécution sa décision immédiatement et que celle-ci a fait l'objet de tergiversations, d'atermoiements, de consultations et d'examens, dont l'une des conséquences était l'intervention du nouveau héros, le Croyant du peuple de Pharaon, intervention dont nous nous devons d'expliquer les détails maintenant.
Si le crime d'assassinat d'un serviteur d'Allah ne peut être perpétré que par les fils de débauchées, l'intervention en vue d'empêcher un tel crime révèle l'existence d'un trait de caractère tout à fait opposé chez l'auteur d'une telle intervention, à savoir la pureté et la bonne naissance. De même si l'assassinat d'un Prophète décèle la mauvaise naissance de l'assassin, le fait de rester les bras croisés devant le projet d'un tel assassinat (alors qu'on peut l'empêcher) indique la présence d'un trait semblable au trait pervers qui caractérise les assassins.
De là, notre héros (étant donné sa pureté et la bonté de son fond) qui avait dissimulé sa foi pendant une longue durée, a estimé que se taire sur un assassinat, constitue une contribution ou une participation au crime. Aussi intervint-il directement pour empêcher la perpétration de ce crime. Telle est l'explication et la cause psychologique et artistique de l'intervention de notre héros.
Mais ce nouveau héros, qui fait preuve d'une grande maturité, de sagesse, d'intelligence sociale et de pertinence, n'est pas intervenu d'une façon passionnelle ou naïve, mais avec intelligence et par une attitude fondée sur des arguments irréfutables qui ne laissent aux adversaires aucun prétexte et les désarment complètement, et ce peu importe quel sort lui sera réservé à la suite de cette intervention, sort à propos duquel les textes de tafsîr ne sont pas très tranchants, laissant entendre seulement que ledit héros a été sauvé avec Moïse en traversant la mer, ou qu'il a échappé à une tentative d'assassinat qu'on avait préparée contre lui.
En tout état de cause, son argument présenté au peuple a tenu compte de l'intérêt de celui-ci, de ses désirs et de ses sentiments, puisqu'il dit: «la royauté vous appartient aujourd'hui et vous triomphez sur la terre».[15]
En d'autres termes, il les a confirmés dans leur pouvoir dont ils jouissaient, et les a mis en garde contre le risque de le perdre au cas où la menace - brandie par Moïse - du châtiment se concrétisera. De même, il les a confirmés dans ce à quoi ils aspiraient et que Moïse leur a promis au cas où ils croiraient en Allah: «s'il dit la vérité, ce dont il vous promet vous parviendra».[16]
Bref, son intervention a été empreinte de marques de maturité, de sagesse et surtout elle a joué sur leurs fibres sensibles.
La question qui se pose à présent est quelle a été la réaction de Pharaon à cette intervention ou à ce conseil? Puis, quelles sont les données (est la portée) de cette intervention dans le cadre de l'action en vue des principes divins?
* * *
La réaction de Pharaon au conseil du "Croyant" ressort de la séquence suivante :
«Pharaon dit: "Je ne vous montre que ce que j'ai vu moi-même. Je ne vous dirige que sur le chemin de la certitude».[17]
Cela signifie que Pharaon reste sur sa position antérieure et dans le cadre du langage trompeur, fait de mensonges et de discours faussement moralisateurs.
Le récit se contente de présenter cette partie de la réaction de Pharaon sans entrer dans les détails de ses décisions pratiques à ce sujet, lesquelles traduisent pourtant mieux sa réaction réelle.
Puis le récit entreprend l'exposé de nouvelles positions du héros, comme nous allons le voir plus loin.
Mais là le lecteur peut s'interroger, sur un plan purement romanesque: Pourquoi le récit s'est-il abstenu de déterminer l'action que Pharaon entreprendra contre Moïse? S'est-il apprêté à le tuer? A-t-il ajourné son exécution?
Pourquoi le récit a-t-il enjambé ces détails pour poursuivre son exposé sur les positions du héros? Quelle est la raison artistique de ce procédé romanesque?
"Le Croyant", parlant à son peuple, dit: «ne tuez pas Moïse!». Puis, il se tait. Et là Pharaon, à ce moment précis s'interpose, pour dire que la sagesse est de tuer Moïse.
Jusque là le dialogue semble se dérouler entre le Croyant et Pharaon, mais par peuple interposé, ou tout en faisant semblant, chacun à son tour, de s'adresser au peuple et non à l'autre. C'est donc un dialogue indirect.
Puis, le Croyant revient à la charge, s'adresse à son peuple et lui rappelle l'anéantissement des peuples des siècles passés, avant de se taire, comme pour céder la place à Pharaon, lequel s'adresse à son ministre Hâmân et lui dit: «construis-moi une tour pour que je puisse voir le Dieu de Moïse», et ensuite il se tait. Là le Croyant revient et dit à nouveau à son peuple: «suivez-moi, je vous conduirais vers la Voie de la rectitude», etc.
Ce dialogue divisé en parties, aurait pu être déroulé d'un seul trait, et c'est d'autant plus faisable, que le Croyant et Pharaon ne se parlent pas directement pour que leur dialogue requière des questions et des réponses et prenne la forme d'un dialogue multilatéral, mais parlent chacun à son tour, à leur peuple, au point que la parole de chacun semble n'avoir aucun rapport avec celle de l'autre.
Par exemple, alors que le Croyant du peuple de Pharaon parlait de l'anéantissement des peuples des siècles passés: le peuple de Noé, le peuple de 'Âd, le peuple de Thamûd, le récit rompt la chaîne de son exposé pour donner la parole à Pharaon. Mais qu'a dit Pharaon à ce moment-là? Il a demandé à son ministre Hâmân de lui construire une tour pour qu'il voie le Dieu de Moïse. Or, il n'y a aucun rapport apparent entre les propos du croyant et la déclaration de Pharaon. Le premier parle des expériences et sorts des peuples passés, et Pharaon de la construction d'une tour !
Puis, le Croyant a repris la parole, mais pour dire quelque chose qui n'a rien à voir, là non plus, avec ce que Pharaon venait de déclarer, puisque le Croyant dit à l'adresse de son peuple: «Suivez-moi! Je vous dirigerai sur le Chemin de la rectitude».
Donc les interruptions des dialogues de la sorte, sans qu'il y ait entre les deux personnages, Pharaon et le Croyant, une discussion qui l'exigerait, doivent répondre à un motif artistique important. Autrement, pourquoi, ce récit à la différence de tous les autres récits coraniques est-il le seul à adopter ce type de dialogue entrecoupé en séquences, sans qu'il y ait un rapport manifeste entre les dialogues interrompus tantôt par le Croyant tantôt par Pharaon, alors que l'un et l'autre ne se parlent pas.
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A notre avis, nous avons affaire ici à un récit "théâtralisé", s'il est permis de s'exprimer ainsi.
Car il est familier (dans le domaine de la littérature romanesque) que certains romans ou récits, sont conçus pour être lus seulement, et d'autres sont écrits pour être joués sur scène. Certes, le roman et le théâtre se veulent deux genres bien distincts, mais il arrive que dans certains récits les situations sont totalement ou partiellement théâtrales, tout en conservant leur genre ou leur caractère romanesque. Or dans le texte dont nous traitons ici, bien qu'il soit romanesque et non théâtral, certaines parties en sont conçues avec une dimension théâtrale exigée par la situation romanesque.
On peut imaginer cette situation de la façon suivante:
Supposons qu'il y ait une salle de conférence ou de réunion dans laquelle sont présents Pharaon, Hâmân et tous les ministres du premier nommé, ainsi que les hauts fonctionnaires, et peut-être une foule du public.
Assiste à cette réunion également le Croyant du peuple de Pharaon en tant que haut fonctionnaire. Pharaon ouvre la séance en proposant l'élimination physique de Moïse.
Là, le Croyant du peuple de Pharaon intervient, exprimant son opinion et demandant à l'assemblée de ne pas le tuer.
Mais Pharaon l'interrompt, ou commente son opinion et affirme que l'assassinat de Moïse est la voie de la rectitude.
Là, le Croyant du peuple de Pharaon intervient de nouveau, s'adresse à l'assistance, leur rappelle les événements des siècles passés et comment les peuples de 'Âd, de Thamûd et de Noé y avaient péris, en raison de leur persistance dans la mécréance.
Puis le Croyant cesse de parler, et Pharaon reprend la parole, s'adresse aux auditeurs - comme s'il cherchait à discréditer la personnalité du Croyant, à réfuter ses opinions ou à le ridiculiser en parlant de tout autre chose - et dit à son ministre Hâmân: «construis-moi une tour pour monter au ciel et voir le Dieu de Moïse».
Mais le Croyant (conscient des propos ridicules et insignifiants de Pharaon), reprend encore la parole et dit à l'assemblée: «Ô mon peuple! Suivez-moi! Je vous dirigerai sur le Chemin de la rectitude», et continue à discourir sincèrement et sérieusement, à l'opposé de Pharaon qui leur a rebattu les oreilles d'insanités, de sottises et de sarcasmes.
Sur ce, la réunion se termine avec cette dernière intervention du Croyant.
Et puis, le récit s'engage dans un autre tournant.
* * *
En tout état de cause, le récit, selon notre opinion artistique particulière, était en train de rapporter le déroulement de la réunion à laquelle avaient assisté Pharaon, Hâmân, le Croyant, et tous ceux qui étaient concernés par cette affaire.
Voilà pourquoi l'élément "dialogue" était coupé en séquences, et Pharaon, en raison de sa personnalité corruptrice, déchirée et perverse avait empêché que ce dialogue prenne la forme de "question-réponse" ou de discussion soutenue et cohérente, il a même essayé de banaliser cette affaire en répondant par des sarcasmes, comme nous le montre le récit en détails.
Et c'est là donc l'explication de la formulation du dialogue "à bâton rompu" de telle manière qu'on croirait à l'absence de rapport entre ses répliques ou entre les interlocuteurs...
Il est clair que l'élaboration du dialogue de cette façon que la nature de la réunion ou de l'assemblée tenue par Pharaon, a dictée, reste très vital, très réjouissant, reflétant le mouvement de la réalité dans tout ce qu'elle comporte de simplicité et de complexité à la fois. Il nous transmet tous les faits de la réunion ou de l'assemblée, avec toutes ses contradictions qu'incarne Pharaon, et tout son sérieux que personnifie le Croyant du peuple de Pharaon.
Mais il le transmet - non pas directement, à travers une scène et un public d'assistants, mais indirectement - sous une forme romanesque et non théâtrale - par un procédé de dialogue spécifique, différent des autres procédés de dialogue qu'on rencontre familièrement dans les autres récits coraniques, et ce afin de nous amener, nous les lecteurs ou les auditeurs de Coran, à déceler, nous-mêmes, la présence d'un nouveau mouvement dans le récit, qui traduit l'existence d'une réunion privée ou publique, dictée par des circonstances particulières et marquée par des traits spécifiques, réunion dont nous détaillerons les résultats plus loin.
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Avant d'aborder ces résultats, récapitulons pour mieux suivre le dialogue théâtral dont la majeure partie est constituée du discours du héros, le Croyant du peuple de Pharaon, entrecoupée par des commentaires ponctuels de Pharaon lui-même.
Après avoir constaté que Pharaon reste insensible à ses conseils, le Croyant a poursuivi son discours à l'adresse du peuple, en lui rappelant les sorts peu enviables réservés aux peuples passés et le sort abominable qui lui serait réservé dans l'autre monde, s'il persiste dans son polythéisme.
«Ô mon peuple! Oui, je crains pour vous un jour semblable à celui des factieux ;
» un sort semblable à celui du peuple de Noé, de 'Âd, des Thamûd et de ceux qui vécurent après eux - Dieu ne tolère pas l'injustice envers ses serviteurs! -
«Ô mon peuple! Oui, je crains pour vous le Jour où les hommes s'interpelleront les uns les autres;
»le Jour où vous vous détournerez. Vous ne trouverez, alors aucun défenseur contre Dieu. Personne ne dirige celui que Dieu égare».[18]
Et là le héros (le Croyant) va mettre l'accent sur la personnalité d'un Prophète en particulier, Joseph (Yousuf) (P), rappelant à son peuple l'attitude sceptique des Coptes envers le message de ce Prophète:
«Joseph leur avait autrefois apporté des preuves décisives; vous n'avez pas cessé d'en douter; mais lorsqu'il eut disparu, vous avez dit:
»"Dieu n'enverra plus jamais de prophète après lui".
» - Dieu égare celui qui est pervers et celui qui doute -
«Ceux qui discutent au sujet des Signes de Dieu sans en avoir reçu mandat, provoquent la grande haine de Dieu et des croyants.
» - Dieu met un sceau sur le coeur de tout tyran orgueilleux - ».[19]
Ceci dit, on peut se demander ici: quelle est la nécessité romanesque de cette évocation de la personnalité de Joseph à l'exclusion de tout autre Prophète?
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La question est relative aux Coptes et au peuple de Moïse. Joseph avait lui aussi (comme l'affirment certains textes exégétiques) attiré l'attention de son peuple sur les difficultés qu'il rencontrerait dans l'avenir.
Cela signifie que l'évocation par le Croyant du peuple de Pharaon de la personnalité de Joseph implique un élément artistique et psychologique clair, relatif à la situation nouvelle (celle du peuple de Pharaon). Car en effet, la prédication de Joseph s'était réalisée, puisque les hommes ont été tués, les enfants égorgés et les femmes enceintes éventrées, de la façon qu'on sait à propos du traitement que les Coptes avaient réservé aux israélites.
Nous devons attirer l'attention sur le fait que lorsque le récit coranique rappelle à un peuple donné le sort qui a été assigné à un autre peuple, il vise à mettre ce dernier en garde d'une part, et à lui promettre un sort similaire, au cas où il refuserait de tirer la leçon de l'exemple des peuples passés, d'autre part.
Ainsi, nous remarquons dans l'un des récits coraniques relatifs à Moïse (P) que l'accent est mis sur les bienfaits prodigués par le Ciel aux Israélites, et en premier lieu, sur leur délivrance des griffes des Coptes. Mais les Israélites se sont montrés ingrats à l'endroit de ces bienfaits, et ont perdu la tête au point que leurs crimes ont surpassé ceux de leurs bourreaux et persécuteurs. Aussi le Ciel a-t-il dépeint dans le récit précité (relatif à Moïse) des sorts noirs proportionnels aux crimes qu'ils (les Israélites) avaient commis, ce qui veut dire que le rappel des bienfaits, fait à ces derniers est associé (sur le plan romanesque) au sort qui leur est réservé en fin de compte, en récompense de leur ingratitude envers les bienfaits dont ils avaient bénéficié.
Ici dans le récit du Croyant du peuple de Pharaon, le rappel du passé prend une direction différente dont le but n'est pas déterminé par le même souci de dessiner un sort particulier à un tel ou tel autre peuple, mais plutôt pour adresser seulement une mise en garde générale, afin d'amener les gens à croire en Dieu.
Effectivement, le Message du Ciel a frayé son chemin parmi de grands nombres de gens, sujet qui ne nous intéresse pas actuellement, étant donné que le récit vise autre chose.
En tout état de cause, lorsque, à travers le Croyant, le récit fait le rappel de la personnalité de Joseph à l'exclusion de toute autre personnalité historique, il cherche par ce procédé romanesque et psychologique à introduire la prédiction de Joseph d'une part, et l'incroyance des Israélites - après sa mort - aux messages des Prophètes, d'autre part: «mais lorsque Joseph eut disparu, vous avez dit: "Dieu n'enverra plus jamais de prophète après lui»[20], et à établir, enfin, un lien entre tout ce qui précède avec l'état d'incroyance que vivait le peuple de Pharaon, quand Moïse a présenté son message.
* * *
Pendant que le héros, le Croyant poursuivait, lors de la réunion sa mise en garde, Pharaon qui y était présent demandait à son ministre Hâmân de lui construire une tour pour qu'il voie ce qui se passe dans le Ciel (Pharaon dit: «Ô Hâmân, construis-moi une tour pour que j'atteigne les cordes célestes et je monterai vers le Dieu de Moïse»[21]).
Mais le héros, fait l'ignorance totale de ce propos ridicule de Pharaon qui montre davantage son insolence, et va continuer imperturbablement son discours qui porte implicitement entre les lignes une réponse indirecte au Tyran (Pharaon).
Remarquons que sur le plan romanesque, si le Croyant a conclu la dernière séquence de son discours par: «Dieu met un sceau sur le coeur de tout tyran orgueilleux»[22] - et si l'on considère cette phrase comme un commentaire du Ciel et non du Croyant - c'est parce que la dernière proposition sarcastique de Pharaon, apparaît comme l'application concrète de cette Parole d'Allah: «Dieu met un sceau sur le coeur de tout tyran orgueilleux», laquelle signifie qu'il n'y a plus aucun espoir de ramener la personne égarée de la sorte sur le Chemin de la guidance.
Donc, comme nous l'avons dit, le Croyant n'a prêté aucune attention à cette sottise (la construction d'une tour), et poursuivi son discours:
«Le Croyant dit: "Ô mon peuple! Suivez-moi! Je vous dirigerai sur le Chemin de la rectitude.
»Ô mon peuple! La vie de ce monde n'est qu'une jouissance éphémère. La vie future est la demeure de la stabilité».[23]
Il ne faut pas perdre de vue que dans la réunion Pharaon avait déjà adressé la parole au peuple, en prétendant qu'il le guiderait sur la voie de la rectitude:
«Je ne vous montre que ce que j'ai vu moi-même. Je ne vous dirige que sur le chemin de la rectitude».[24]
Mais le récit répond à cette prétention en faisant dire au Croyant que la rectitude réside dans la soumission aux principes du Ciel.
Suivons encore le héros qui continue son discours à l'attention de son peuple:
«Ô mon peuple! Pourquoi vous appellerais-je au salut, alors que vous m'appelez au Feu?
»Vous m'appelez à l'incrédulité envers Dieu, au polythéisme dont je n'ai aucune connaissance, mais moi, je vous appelle auprès du Tout-Puissant, auprès de Celui qui ne cesse de pardonner.
»Celui auprès duquel vous m'appelez ne peut, sans aucun doute, être invoqué ni en ce monde, ni dans la vie future. Oui, notre retour sera vers Dieu et les pervers deviendront les hôtes du Feu.
»Vous vous souviendrez de ce que je vous dis: je confie mon sort à Dieu. Dieu voit parfaitement Ses serviteurs».[25]
Par ces séquences, se termine le discours du héros, le Croyant du peuple de Pharaon, et le récit s'engage dans un autre tournant.
De là, il convient d'attirer l'attention sur l'importance de ces propos par lesquels le héros achève son discours. Leur importance réside en ceci qu'ils révèlent des traits spécifiques de l'art ou de la technique romanesque utilisés dans ce récit et dont la suite sera reflétée sur le mouvement des péripéties, le sort du héros et sur les fins que connaîtra son peuple, comme nous les détaillerons dans les pages suivantes.
* * *
La valeur des mots par lesquels le héros a clos son discours, considérée sur le plan de la structure organique du récit et l'adhésion de ses lignes architecturales, tient au fait qu'ils amènent le lecteur ou l'auditeur à se creuser la tête pour prédire ou deviner les fins ou les cheminements des péripéties. Si certains de ces propos du héros laissent entrevoir la suite des événements, d'autres restent entourés de mystère. Les uns suscitent chez le lecteur la crainte et l'appréhension relativement au sort du héros, d'autres éveillent en lui des sentiments de pitié et d'affliction pour les sorts réservés au peuple qui n'a pas voulu entendre raison.
En tout état de cause l'élément d'intéressement (ou de suspense) à la suite des événements, pourrait ne pas paraître à un lecteur non averti, mais pour un connaisseur ou un lecteur assidu de roman, cet élément de suspense est présent dans son esprit, puisqu'il ressent que chaque mot prononcé par le héros et chaque geste qu'il esquisse porte un sens ou une signification, surtout lorsqu'on sait que ce héros n'était pas un personnage ordinaire, mais un des tout premiers pionniers des Croyants, quelqu'un qui a cru en Dieu très tôt, au point que certains textes d'exégèse le considèrent comme au nombre des quatre personnages de l'histoire, à incarner ceux qu'Allah a désignés sous le vocable: «...les premiers arrivés[26], qui seront bien les premiers»[27], c'est-à-dire à la tête des "premiers" à avoir la Foi, dans des circonstances où personne d'autre n'avait cette chance. Or une personnalité d'une telle piété, qu'Allah à entourée de Ses soins particuliers ne saurait prononcer une mise en garde ou lancer un avertissement sans que cet avertissement ou cette mise en garde n'influe sur le mouvement du récit et le futur des péripéties.
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