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Mu’âwiyah se trouvait bien ennuyé devant la puissance du pouvoir de Qays. Il tenta, comme à son habitude, de ruser pour l’éliminer en essayant de le mettre en mal avec ‘Ali (P) concernant les rebelles de Kharamba.

‘Ali (P) sut éviter le piège de la zizanie tendu par Mu’âwiyah mais ce ne fut pas le cas de Qays. ‘Ali (P) demanda, en effet, à Qays de ramener à la raison avec fermeté les contestataires de Kharamba. Qays manqua de clairvoyance en refusant d’obéir à son Calife. ‘Ali (P) le démit de ses fonctions en nommant Muhammad Ibn Abû Bakr gouverneur d’Egypte. ‘Ali (P) venait de prouver encore une fois, s’il en était besoin, que si un de ses hommes de confiance s’écartait du droit chemin, il n’hésitait pas un seul instant à le démettre. C’était en 38 A.H.

Malheureusement Muhammad était aux antipodes de Qays. Il se mit tout de suite à pourchasser avec fracas ceux qui continuaient à vouloir venger le sang de Usmân. Son autorité en prit un coup et le désordre s’installa dans la province. ‘Ali (P) fut obligé, pour restaurer son autorité et dans sa constante quête de justice et d’équité, d’envoyer un autre homme pour le remplacer, en l’occurrence Mâlik Al-Achtar.

Avant même que celui-ci n’arrivât en Egypte, Mu'âwiyah fit empoisonner Mâlik lors d’une halte. Il promit au notable chez qui Mâlik devait observer cette halte, de le dispenser de la Zakât sur les revenus qu’il collectait. Le notable cupide mit une overdose de poison mortelle dans un verre de miel qu’il porta à boire à Mâlik.

Lorsqu’on lui apprit la réussite de son lugubre projet, Mu’âwiyah s’en enorgueillit en poussant:

«Inna lillâhi junûdun fil assal», soit «Dieu a des soldats dans le miel» pour dire qu’on peut combattre ses ennemis avec le miel. Grandissime sacrilège pour un aliment dont Dieu disait dans le Saint Coran qu’il était un remède pour l’homme à de multiples maux.

Mâlik Al-Achtar éliminé et Muhammad Ibn Abû Bakr affaibli par le désordre qui régnait autour de lui, Mu’âwiyah rendit le coup de grâce à l’autorité de ‘Ali (P) en Egypte en lançant une attaque guerrière décisive contre l’Egypte. Mu’âwiyah prit ainsi possession de l’Egypte.

Muhammad Ibn Abû Bakr fut capturé puis sauvagement tué par l’ennemi. Il fut enfermé vivant dans la peau recousu d’un âne et brûlé avec cette enveloppe. Quand sa tête grillée fut livrée à sa sœur Aïcha, la veuve du Prophète (p) en fut profondément marquée. Abûl-Fidâ nous raconte que depuis lors elle appelait à chaque prière la malédiction de Dieu sur Amr Ibn al-Âç et Mu’âwiyah.

A Basrah:

Le désarroi et l’affliction de ‘Ali (P) furent immenses devant les pertes cruelles de Muhammad Ibn Abû Bakr et de Mâlik Al-Achtar triplées de celle de l’Egypte. Ce, d’autant plus qu’il n’avait aucun moyen de riposter malgré tous ses appels à la levée d’une armée suffisamment forte pour attaquer Mu’âwiyah.

Dans cette même année 38 A.H., le gouverneur de Basra, Abdullah Ibn Abbâs vint à Kûfa consoler son cousin ‘Ali (P). Mais son absence fut exploitée par Mu’âwiyah pour lancer une attaque contre Basra. ‘Ali (P) y dépêcha un renfort commandé par Jariya Ibn Qidâmah. Les forces de Ali réussirent à reprendre la ville et à réinstaller Abdullah Ibn Abbâs revenu de Kûfa.

Tout le long de l’année 39 A.H. qui suivit, l’armée de Mu’âwiyah sema le désordre et l’insécurité sur la quasi-totalité du territoire soumis à l’autorité du Calife ‘Ali (P). Le but visé fut en partie atteint: diminuer le charisme de ‘Ali (P) auprès des populations et donc fragiliser son pouvoir en instaurant un sentiment permanent d’insécurité.

Au Hidjâz:

C’est en l’an 40 A.H. que Mu’âwiyah décida de prendre Médine et la Mecque, les deux villes phares du Hidjâz. Bosar, le chef de guerre du contingent Syrien réussit à extorquer aux notables de ces villes le serment d’allégeance à Mu’âwiyah puis il prit la direction du Yémen.

Au Yémen, les partisans de Mu’âwiyah massacrèrent un grand nombre de partisans de ‘Ali (P). D’une cruauté inégalable, Bosar y mit à mort de façon atroce deux garçons, petits-fils de Ubaydullâh Ibn Abbâs qui était un cousin de ‘Ali (P) et gouverneur du Yémen. Ce dernier s’était enfui devant la supériorité de l’adversaire.

‘Ali (P) envoya sa cavalerie à la rescousse des Yéménites. A leur arrivée au Yémen, Bosar était déjà parti. Les soldats de Jariya Ibn Qidâmah poursuivirent leurs ennemis à Najrân où ils avaient été bien accueillis. Les rebelles s’enfuirent à la vue de leurs poursuivants tandis que ceux des collaborateurs des envahisseurs dont la culpabilité était avérée furent exécutés par Jariya et ses soldats.

Jariya continua sa reconquête jusqu’à la Mecque puis Médine où, à chaque fois, il chassa l’envahisseur et restaura l’autorité de Ali (P).

La mort atroce des deux petits-fils de son cousin Ubaydullah provoqua la colère de ‘Ali (P) qui appela la malédiction de Dieu sur Bosar. Il devint effectivement fou jusqu’à la fin de sa vie.

Les défections de certains proches:

Le Calife ‘Ali (P) n’eut véritablement jamais le temps de gouverner pendant les cinq années que dura ce qu’on appelle injustement son règne. Il devait consacrer tout son temps et son énergie à la lutte contre les ennemis qui attaquaient de toutes parts – Nous y reviendrons.

Cependant parmi toutes les défections d’hommes qu’il connut dans cette période trouble, il y en eut deux qui l’affligèrent particulièrement.

La première fut celle de son cousin Ubaydullah Ibn Abbâs, le gouverneur de Basra. ‘Ali (P) avait reçu plusieurs plaintes contre Ubaydullah pour des malversations et autres détournements de deniers publics. Il le fit convoquer en vue de vérifier les comptes du trésor public Ubaydullah refusa d’obtempérer et même en rajouta en s’enfuyant vers la Mecque avec un important pactole malgré l’opposition des gens de Basra. La deuxième défection, fort pénible pour ‘Ali (P), fut celle de son propre frère ‘Aqîl. Celle-là suivit de peu la première citée. ‘Aqîl avait demandé avec insistance à ‘Ali (P) une aide supplémentaire provenant du trésor public. ‘Ali (P) qui souhaitait vraiment satisfaire la demande de son frère, lui proposa pour l’éprouver de pénétrer à la faveur de la nuit dans la maison d’un riche voisin. Et là ‘Aqîl allait pouvoir satisfaire sa demande. Le frère interloqué lui demanda s’il était sérieux. ‘Ali (P) lui expliqua qu’il trouvait plus facile, le Jour du Jugement de se défendre contre un seul individu (le riche voisin) que contre toute la Umma.

Après cela ‘Aqîl, toujours insatisfait, alla trouver Mu’âwiyah qui l’accueillit avec bonheur et le couvrit de biens.

La conspiration d’un trio de khawârij:

Les khawârij avaient continué à mener des actions subversives pendant l’an 39 A.H. mais ces soulèvements furent à chaque fois annihilés par les forces de ‘Ali (P). Ils s’étaient finalement confinés dans une retraite de façade. Les forces auxquelles ils s’opposaient, celles de ‘Ali (P) et de Mu’âwiyah à la fois, étaient nettement supérieures à la leur.

Tout de même trois d’entre eux se rencontrèrent lors du Pèlerinage à la Mecque de l’an 39 A.H. Ils s’engagèrent à venger le sang de leurs nombreux martyrs et à «libérer l’Islam de ses apostats» qui étaient ‘Ali, Mu’âwiyah et Amr Ibn al-Âç. Borâq Ibn ‘Abdullah al-Taymî, Amr Ibn Bakr al-Taymî et Abdou Rahman Ibn Muljim firent le serment de se sacrifier pour tuer respectivement Mu’âwiyah, Amr et ‘Ali (P).

Les deux premiers manqueront leur objectif. A Damas, Borâq réussit effectivement à porter un coup de poignard à Mu’âwiyah au niveau de l’aine sans pour autant le tuer. Devant le dilemme de choisir entre une potion qui devait le rendre impuissant et la cautérisation de l’ouverture provoquée par le poignard, Mu’âwiyah préféra la potion. Il eut la vie sauve tandis que le coupable eut les mains et les pieds coupés en guise de sanction avant d’être tué plus tard à Basra où on l’envoya. Le gouverneur de cette ville le punira de la sorte pour avoir eu un fils après avoir privé son Calife de cette capacité.

Le deuxième terroriste, lui, tua un certain Khadija à la place de Amr Ibn al-Âç qui s’était fait remplacer ce jour-là pour une diarrhée qui lui valut la vie sauve. Il n’épargnât pas pour autant la vie de son homonyme qu’il ordonna d’exécuter immédiatement.

Seul des trois khawârij, Abdou Rahmân Ibn Muljim arrivera à ses fins pour le grand mal de l’Islam.

Toutes les trois tentatives de meurtre avaient un dénominateur commun. Elles se déroulèrent pendant la prière du matin du même jour convenablement fixé plusieurs mois à l’avance. Il faut dire que l’heure de la prière du matin était le moment favori des assassins de l’époque pour accomplir leur sale besogne.

La mort de ‘Ali (P):

Le vendredi 19 du mois de Ramadhân de l’an 40 A.H. fut un triste jour pour la Umma. C’est ce jour-là que l’Imam ‘Ali (P) fut blessé à la tête par Abdou Rahmân Ibn Muljim.

Dés que son assassin l’eut frappé avec son sabre pendant la prière du matin, Ali réussit à se retourner et à l’attraper par le bras. Il prononça ces mots: «Fûztu wa Râbûl-Kâbah», soit à peu près «J’ai gagné! Au nom du Seigneur de la Kâbah»

Ce cri de victoire de ‘Ali (P), attesté par un parjure, se rapportait à tout le cheminement de l’Imam ‘Ali (P). En somme la victoire de la vérité, de la justice et du bien sur le mensonge, l’injustice et le mal.

Ensuite l’Imam ‘Ali (P) le confia à Al Hassan (P) à qui il indiqua: «Garde-le en prenant bien soin de lui. Si je meurs, tu le fais tuer d’un seul coup comme il a fait avec moi. Si je ne meurs pas alors je jugerai son affaire.»

Puis il désigna Al-Hassan (P) comme son successeur [66] avant de lui demander de faire la même chose avec Al-Hussein (p). Il lui donna ensuite la liste complète des onze Imams qui devaient lui succéder.

Il s’éteignit à l’âge de soixante trois ans dans la nuit du Samedi au Dimanche [67], soit le 21 Ramadhân A.H. de l’an 40 A.H. Ses fils Al-Hassan (P) et Al-Hussein (P) et le fils de son frère Jâ’far, Abdullah, procédèrent au lavage mortuaire. Al-Hassan dirigea la prière sur le corps de l’Imam. Il fut ensuite enterré à Al Nadjaf Al-Achraf situé à sept kilomètres de Kûfa. Cet endroit sera plus connu sous le nom de Machhad ‘Ali (P) (le sépulcre de ‘Ali).

LE MAUSOLLEE DE ‘ALI (P):

Le Prophète Ibrahim (P) et son fils Isaac (P) se rendirent un jour à Nadjaf; à l’époque, cette région était le théâtre de fréquents tremblements de terre. Mais durant tout leur séjour les habitants de cette contrée connurent l’accalmie.

Une nuit, les Prophètes Ibrahim (P) et Isaac (P) quittèrent Nadjaf pour un village voisin et après leur départ, les tremblements reprirent. A leur retour le Prophète Ibrahim (P) et son fils Isaac (P) acceptèrent de demeurer à Nadjaf à la demande insistante des habitants à condition que ces derniers acceptent de leur vendre la vallée située à l’arrière du village pour qu’ils puissent y pratiquer l’agriculture.

Isaac (P) tenta de convaincre son père d’y renoncer. Mais le Prophète Ibrahim (P) prédit

Un grand événement à son fils: «un jour, on y trouverait une tombe et il y serait érigé un mausolée par la grâce duquel soixante douze mille personnes accéderaient au Paradis. En outre, ces heureuses personnes pourraient intercéder en faveur d’autres croyants».

La Vallée qu’ Ibrahim (P) souhaitait acquérir s’appelle la Vallée de la Paix ou Wadi Salaam.

Et, il a été rapporté de l’Imam ‘Ali Ibn Al Hussein (P) un Hadith d’Imam ‘Ali (P) selon lequel «cette Vallée de la Paix fait partie intégrante du Paradis. Et que tout croyant où qu’il se trouve, à l’Est comme à l’Ouest, après la mort, son âme est transportée dans ce Paradis pour y demeurer dans la paix et la quiétude».

Imam ‘Ali (P) poursuit. «Comme rien dans l’univers n’est caché à mes yeux, je vois les habitants du Barzakh (inter monde), assis ici même, en groupes, discutant entre eux.»

L’origine de l’appellation de Nadjaf:

Autrefois, une montagne dominait la région de Nadjaf. Lorsque le Prophète Nuh (P) {dont la tombe ainsi que celle d’Adam (P) le père de l’humanité se trouve à l’intérieur du mausolée de ‘Ali (P} finit de construire son arche, il reçut l’ordre d’Allah de monter à bord avec quelques paires d’animaux et les croyants.

Kanaîn, un de ses fils qui avait rejeté la croyance en Un Seul Dieu, refusa alors de prendre place à bord de l’arche. «J’irai au sommet de cette montagne aussitôt que je verrai apparaître les premières eaux» dit-il.

Et aussitôt, toute la montagne s’effondra en un temps record: et c’est ainsi que Kanaîn fut emporté par les vagues. Une large rivière se forma à l’endroit où se trouvait la montagne. Mais au fil du temps, la rivière s’est tarie, et l’endroit fut appelé Nay-Jaff, c’est-à-dire «la rivière asséchée».

III – LE REGNE DES UMAYYADES:

Les difficultés puis la mort de Al-Hassan (p):

Les gens de Kûfa firent allégeance à Al-Hassan Ibn ‘Ali (P) en tant que nouveau Calife de la Umma islamique. Il ne restait à cette époque sous la domination de ‘Ali (P) plus que le Hidjâz (Médine et la Mecque) et Kûfa.

Al-Hassan (P) resta six longs mois sans la possibilité de reprendre la lutte armée – malgré toutes ses vaines tentatives à l’instar de son père – contre Mu’âwiyah, un ennemi réellement puissant. L’armée dont il avait hérité de ‘Ali (P) était affaiblie par son manque d’effectifs, ses querelles internes et son inorganisation.

Dans cette situation déjà critique, Mu’âwiyah envoya une forte armée à Kûfa pour assujettir Al-Hassan (P).

Compte tenu de cet état de fait, il comprit qu’il devait négocier avec l’ennemi. Un mauvais arrangement valant mieux qu’un bon procès, de la même façon on pouvait dire qu’un pacte de paix circonstancié valait mieux qu’une bonne guerre qui aurait hypothéqué définitivement l’avenir de l’Islam à travers l’extermination de ses ultimes et rares représentants.

C’est ainsi qu’un accord de paix fut signé entre Al-Hassan (P) et Mu’âwiyah. Selon Al Tabari et Ibn Al-Athîr, Mu’âwiyah a envoyé une feuille blanche à Al-Hassan au bas de laquelle il avait apposé son estampille, ainsi qu’une lettre dans laquelle il a écrit:

«Pose les conditions qui te conviennent dans cette feuille que j’ai signée, je les accepterai.» [68]

Les conditions que Al-Hassan (P) a posées sur cette feuille ont été relatées de façon négligée par les historiens pour la simple raison que Mu’âwiyah avait annoncé dés sa prise du pouvoir qu’il n’en respecterait pas une seule. Toutefois une analyse des différentes versions permet de retenir le minimum qui suit.

Il était écrit que Hassan (P) devait renoncer au Califat (temporel) pour le compte de Mu’âwiyah et le remplacer à sa mort. Il conservait cependant le pouvoir spirituel de guidance de la Umma dont Dieu l’avait investi et qu’aucun homme ne pouvait lui retirer.

Mu’âwiyah s’engageait en retour à appliquer le Coran et la Sunna, à ne pas léguer son pouvoir à sa descendance mais à Al-Hassan (P) ou alors à Al-Hussein (P) s’il arrivait un malheur au premier des deux.

De plus il renonçait à poursuivre et à maltraiter les chîa’ (partisans de Ahlul Bayt) sur toute l’étendue du territoire de l’Empire suite aux différentes guerres qui les opposèrent.

Al-Hassan (P) quitta Kûfa et se retira à Médine où il mourut empoisonné le 28 du mois Saffar de l’an 50 [69]. Mu’âwiyah avait commandité le meurtre. Il promit à une dame [70], qui était déjà une épouse de Al-Hassan (P) ou qui réussit à l’être afin de réussir son acte, de la donner en mariage à son fils Yazid avec une dote très conséquente, si elle arrivait à empoissonner Al-Hassan (P). La femme réussit à empoisonner celui qui était alors son époux au moment du meurtre, Al-Hassan (P).

Quand elle s’empressa de donner la nouvelle de la réussite de son opération, Mu’âwiyah lui répondit: «Si nous ne souhaitons même pas te donner en mariage à Al-Hassan (P), comment pourrait-on alors t’offrir Yazid?» Tout de même elle aurait reçu une récompense matérielle.

Al-Hassan (P) eut le temps de dire à Al Hussein (P) qu’il avait demandé à Aïcha d’être enterré près de son grand-père Muhammad (P) dans l’appartement de la Mère des Croyants. Et que si toutefois il en venait des gens qui refusaient pareille demande, il fallait que Hussein (P) évitât de faire couler le sang pour autant.

Marwâne était en ce moment-là le représentant de Mu’âwiyah à Médine. C’est lui qui empêcha Al-Hassan (P) d’être enterré auprès de son grand-père (P). Finalement il fut enterré à Baqi, le cimetière musulman de Médine.

Al-Hussein (P) lui succéda. Il était l’Imam de sa communauté, en dirigeait la partie spirituelle et cachée sans toutefois avoir les bénéfices matériels du règne terrestre. Mu’âwiyah s’était définitivement approprié cet aspect du Califat. Cette fois le Califat (commandement uniquement temporel) s’opposait totalement au Khilafat de Dieu qui, lui, était entre les mains de Al-Hussein (P), transmis depuis le Prophète à ‘Ali (P) puis à Al-Hassan (P).

La «succession» d’ Al-Hassan (P):

A l’annonce de la mort de Al-Hassan (P), Mu’âwiyah se prosterna contre le sol. Il était tout content de cette nouvelle. Non pas que le fils de l’Imam ‘Ali (P) l’empêchait de faire ce qu’il voulait car il avait décidé de ne respecter le moindre article du pacte qu’il avait signé. Mais c’était plutôt que sa disparition le comblait de la joie de voir s’en aller un ennemi qu’il haïssait tant.

Mu’âwiyah s’empressa de désigner son fils Yazid comme son successeur au Califat, contrairement au pacte de paix où il était écrit que Al-Hussein (P) devait lui succéder s’il arrivait quoique ce soit à Al-Hassan (P).

Plusieurs personnalités de Médine vont s’opposer à cette décision de Mu’âwiyah. C’étaient Al-Hussein (P), Abdullah Ibn Oumar, Abdullah Ibn Zubair, Abdullah Ibn Abbâs, Abdou Rahmân Ibn Abû Bakr, Abdullah Ibn Jâ’far. Mais également tous les Banu hachémites.

Une anecdote [71] forte enrichissante mérite à ce niveau notre attention. En effet, Marwâne reçut le message de Mu’âwiyah lui demandant et justifiant la prestation d’allégeance à son fils Yazid en tant que futur Calife après lui. Puisque Mu’âwiyah était devenu son allié, il voulut se prêter en avocat de cette innovation [72]. Il rappela au public réuni que ce que Mu’âwiyah venait de décider n’était rien d’autre que la sunna de Abû Bakr et de ‘Umar car tous les deux avaient désigné un successeur de leur vivant.

A ces mots, le fils de Abû Bakr, Abdou Rahman, se leva et rectifia Marwâne: «Plutôt la sunna de Hiraculus et Khaïssar! Ni Abû Bakr, ni Oumar n’ont légué le pouvoir à leur fils.»

Marwâne, visiblement en colère, ordonna qu’on arrêtât Abdou Rahman. Ce dernier courut se réfugier chez sa sœur Aïcha, la veuve du Prophète (P). Marwâne renonça à le faire sortir de la demeure de la Mère des Croyants. Mais il ne s’empêcha pas de lancer des mots de dépit à l’endroit du poursuivi:

«Fi! Laissez-le! C’est de lui que parle le Coran comme ayant tourné le dos à ses parents dans un geste d’irrespect.»

Quand Aïcha entendit ces paroles de Marwâne, elle ne put s’empêcher de répondre au fils de Hakam, celui que le Prophète (P) avait maudit jusqu’à sa descendance. Elle lui dit:

«Tu mens! Aucun verset du Coran n’est descendu sur notre famille [73]. Or le Prophète a maudit ton père et toute sa descendance pendant que tu étais dans ses reins.»

Revenons au refus des notables de Médine de faire allégeance à Yazid. Le refus de Al-Hussein (P) se fondait sur l’inacceptation de se soumettre à Mu’âwiyah et par conséquent à son fils. Abdullah Ibn Zubair, lui, reprochait au père de Yazid de vouloir leur imposer deux Califes vivants. Le pire c’était que Yazid était connu pour son amour sans limite de l’alcool et son manque de piété.

Mu’âwiyah dut se rendre en personne à Médine pour essayer de s’imposer. Il s’entretint en privé avec chacun des notables influents de Médine, Hussein (P), Aïcha, Abdallah Ibn Zubair, etc. …En vain.

Malgré cela il fit un discours où il dit que tout ce monde avait accepté sa décision. Puis il rentra à Damas. Toujours fidèle à son image, il sema la zizanie encore une fois et mit le doute dans les esprits de sorte à amener les notables de Médine à se demander lequel d’entre eux avait consenti à la demande insensée de Mu’âwiyah.

Cette situation resta en l’état avec Marwâne puis Seyyed Ibn Âssi comme gouverneurs successifs de Médine pour le compte de Mu’âwiyah tandis que les Banu hachémites, avec à leur tête Al-Hussein (P) ainsi que certains fils de Compagnons du Prophète (P), refusaient de se soumettre à l’autorité du chef umayyade désigné.

Les défauts héréditaires de Mu’âwiyah:

Mu’âwiyah mourut dix ans plus tard, dans le mois de Rajab de l’an 60, laissant la même situation à Médine malgré l’extension de son pouvoir dans les autres régions de l’Empire. Il fut enterré à Damas.

Parler des défauts de Mu’âwiyah est un exercice qui nécessiterait plusieurs tomes. Tout ce que nous venons de dire n’est qu’une infime portion de la partie visible de l’iceberg de ses défauts.

Mu’âwiyah , fils d’Abû Sofian, s’était opposé à la direction de l’Imam ‘Ali (P) puis à celle de l’Imam Al-Hassan (P) sous le prétexte fallacieux de venger le sang du troisième Calife, Usmân. Ce prétexte ne résista certes pas au temps mais il eut tout de même un effet dévastateur sur l’unité de la Umma avant de laisser la place à toute la haine viscérale de Mu’âwiyah pour la famille du Prophète (P) mais également à son ambition démesurée et héréditaire pour le pouvoir.

L’origine de cette haine et de cette ambition toutes deux ancestrales de Mu'âwiyah, remonte aux ancêtres Hâchim et Umâyyah respectivement des Banu Hâchim (le clan du Prophète (P), de ‘Ali (P) et de leurs descendants) et des bani Umâyyah (le clan de Abû Sufiyân, son fils Mu'âwiyah et de leurs descendants). Lisons cet éclairage que nous en donne l’écrivain égyptien Abbas Mahmoud al-Aqqâd [74], un auteur qui ne saurait être taxé d’inconditionnel de ‘Ali (P) ou de détracteur des Umayyades:

«Hâchim et Umâyyah rivalisaient déjà, avant la naissance de Mu’âwiyah, pour le leadership; c’est ce qui poussa Umâyyah, contraint et haineux, à quitter le Hidjâz, pour la Syrie alors que Hâchim resta seul leader des Banu Abd al-Manâf à la Mecque. Ce fut ainsi la première division entre Umayyades et Hâchimites: ceux-ci établissent leur fief au Hidjâz, et ceux-là en Syrie.

Plus tard la notoriété d’Abû Sofian fils de Harb, fils d’Umâyyah grandira au Hidjâz où il jouira d’un leadership sublime à côté de celui des Hâchimites.

Lorsque l’Appel de Muhammad (P) fut lancé, Abû Sofian Ibn Harb Ibn Umâyyah (le père de Mu’âwiyah) eut des craintes pour son leadership et se mit à l’avant-garde de ceux qui combattaient le nouvel Appel. Il est rare de trouver une bataille contre les musulmans dans laquelle Abû Sofian n’eût pas sa part active dans la mobilisation des tribus et la collecte d’argent. Le hasard voulut qu’il restât pendant un temps le seul dirigeant de la tribu de Quraych dans la guerre qu’elle menait contre le Prophète (P). En effet, après la mort d’Al Walid Ibn Mughirah, le chef des Makhzoum, et la conversion des chefs de Taym et d’autres petits clans Quraychites à l’Islam, Sofian resta seul à la tête de la direction de la Jahilia et des Umayyades à affronter le Prophète (P) et ses Compagnons parmi les Muhajirins et les ançars. L’enracinement de l’animosité chez les Umayyades envers le Prophète (P) atteignit un tel degré qu’Abû Lahab fut le seul parmi les oncles paternels du Prophète (P) à comploter et à inciter les gens contre lui; et pour cause: il était marié à une Umayyade, Om Jamil Bint Harb (la propre sœur d’Abû Sofian) que le Coran désigna sous le surnom de Hammâlat al-Hatab (la porteuse de bûches) métaphore de l’effort qu’elle avait déployé en vue du mal et de l’attisement du feu de la haine.

Abû Sofian et son fils Mu’âwiyah ne se sont convertis à l’Islam que lors de la conquête de la Mecque. La conversion de cette famille fut la conversion la plus difficile qu’on ait connue après la conquête. Ainsi, sa femme Hind Bint ‘Otbah criait aux visages des gens, après la conversion de son mari à l’Islam: «Tuez cet homme bas, perfide et vaurien. Quel détestable avant-garde d’un peuple!… Allez! Battez-vous! Défendez-vous et défendez votre pays!

Abû Sofian considéra pendant longtemps la victoire de l’Islam comme une victoire sur lui. Un jour alors qu’il jetait sur le Prophète, dans la mosquée, un regard de perplexité et d’étonnement en se disant mentalement «Comme j’aimerais savoir par quoi il m’a vaincu!», le Prophète (P) qui devina la signification de ce regard s’approcha de lui… et dit: «C’est par Dieu que je t’ai vaincu, Ô, Abû Sofian!»

Dans la bataille de Hunayn (vallée qui se trouve entre la Mecque et Tâ’ef; cette bataille dirigée par le Prophète (P) en l’an 8 de l’hégire, sera finalement gagnée par les musulmans), Abû Sufiyân assistait à la première défaite des musulmans et s’enthousiasmait: «Je ne crois pas qu’ils s’arrêtent avant de gagner la mer dans leur fuite!» et on dit que dans les guerres contre les Romains chaque fois que ces derniers s’avançaient, il criait sa joie: «Bravo les fils du Jaune» (Nom donné aux Romains par les Arabes), et chaque fois qu’ils reculaient, il exprimait tout haut sa déception: «Malheur aux fils du Jaune.»

Le Prophète (P) avait fait tout son possible pour le rallier à la cause de l’Islam avant et après la conquête islamique. Il épousa sa fille Om Habibah avant la conquête, et après la conquête, il décréta l’immunité de sa maison: «Celui qui y entre est en sécurité…». Il le mit à la tête des «cœurs à rallier» à qui on augmentait la paie dans l’espoir d’éloigner de leurs cœurs la rancune due à la victoire de l’Islam.

Mais malgré cela, les musulmans l’évitaient. Ils refusaient de le regarder et de le fréquenter. Il finit par se lasser de cet isolement et voulut y mettre fin. Aussi pria-t-il le Prophète (P) d’engager son fils Mu’âwiyah comme scribe auprès de lui et de lui donner l’ordre de combattre les polythéistes tout comme il combattait jadis les musulmans.

Puis le Prophète (P) a rendu l’âme et un différend surgit entre les Muhajirins et les Ançars et certains autres Compagnons à propos de sa succession. Abû Sofian s’est réjoui de ce trouble et a cru pouvoir opérer une brèche entre ses fissures, brèche qui le conduirait à prendre la direction des Quraych, et de là la direction de la Umma tout entière. Aussi s’est-il rendu chez l’Imam Ali (P) et Al Abbas (prétendants à la succession), dans l’intention de les inciter (à agir) et de leur proposer son aide en hommes et en chevaux: «Ô Ali! Et toi Abbas! Comment se fait-il que la succession soit revenue à la plus petite et la plus basse tribu de Quraych! Par Dieu, si tu le désires, je l’inonde (Abû Bakr) d’hommes et de chevaux… [75]

Sans doute, était-il loin de s’irriter de voir la succession échapper aux Banu Hâchim. Mieux il ne se serait guère réjoui de voir la succession revenir à eux, auquel cas il n’eût aucun espoir de la leur arracher. Tout ce qu’il voulait c’était raviver un différend par lequel il espérait ouvrir une porte le conduisant à la direction de Quraych et de toute la Umma.

Sa malveillance n’échappa pas à l’Imam Ali qui lui rétorqua: «…Ô Abû Sofian…! Les Croyants sont les conseillers les uns des autres, alors que les Hypocrites se trompent et se trahissent les uns les autres, même s’ils sont proches – de maisons et de corps – les uns des autres.

Lorsque, enfin, Usmân accéda au Califat, les Umayyades obtinrent une grande victoire, car il était l’un de leurs chefs et un proche cousin de leurs familles. L’Etat islamique devint un Etat Umayyade aux avantages et au gouvernement duquel personne d’autre que les Umayyades eux-mêmes ou leurs partisans ne pouvait accéder. Ainsi, Marwâne Ibn al-Hakam, le Super Vizir du Calife distribuait généreusement les biens à ses proches et en privait les masses. Mu’âwiyah Ibn Abû Sofian, le gouverneur de la Syrie s’entourait de proches et de partisans… Lorsque Usmân mourut, les postes de l’Etat et ses biens étaient, pour ainsi dire, tous entre les mains des Umayyades et des parvenus à leur solde…» [76]

 
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