Sourate al-Baqara

La structure syntaxique de ce verset présente plusieurs ambiguïtés :

1. Tout d'abord, on peut voir dans (ÐᘠÇá˜ÊÇÈ) un groupe nominal dont (åÏی) ou (Ýیå åÏی) serait le ÎÈÑ, mais on peut aussi y voir une phrase nominale. Cette dernière analyse paraît la plus probante lorsqu'on fait le rapprochement avec le début des sourates 10, 12, 13, 15,26, 27,28 et 31, où (ÊᘠÂیÇÊ Çá˜ÊÇÈ) et (ÊᘠÂیÇÊ ÇáÞÑÂä) sont indubitablement des phrases nominales.

2.     Ensuite, Ýیå)) peut aussi bien être rattaché à l'expression qui précède, (áÇÑیÈ), ou au mot qui suit, (åÏیð). La présence de la tournure (áÇÑیÈ Ýیå) aux versets 10.37 et 32.2, dans des contextes qui ne laissent subsister aucune ambiguïté, amènent à faire ici la même lecture, mais une autre question se pose alors : (áÇÑیÈ Ýیå) signifie-t-il qu'il ne se trouve pas de doute (c'est-à-dire de chose douteuse) dans le livre ou bien qu'il n'y a pas de doute à son propos ? La traduction retenue permet, comme la tournure arabe, les deux interprétations. Par ailleurs, « sans [l'ombre d'] un doute » rend, de manière plus élégante que « sans aucun doute »,

Le áÇ ÇáäÇÝیÉ ááÌäÓ .

3.   Il y a  enfin plusieurs possibilités d'analyse pour (åÏیð), mais dans le cadre de  la lecture que l'on a retenu, le plus probant est qu'il est en position de complément d'état (Ýí ãæÖÚ ÇáÍÇá), tout comme en 7.52 et 31.3.

Le verbe åóÏی, que l'on a déjà rencontré en 1.6, a pour sens premier celui de « précéder quelqu'un pour le guider dans la bonne voie »

 (åÏیÊå Ãí ÊÞÏøãÊå        áÃÑÔÏå; Mu'gam maqaylsi l-luga). Le verbe «guider» en est donc un équivalent assez exact, puisque la première définition qu'en donne Le Robert est « accompagner (qqn) en montrant le chemin ».

Toutefois, åÏی peut aussi tout simplement signifier « indiquer » le chemin

(Ïáøå Úáی ÇáØÑیÞ ; cf. 76.3, (ÅäÇ åÏیäÇå ÇáÓÈیá ÅãÇ Ô˜ÑÇ æÅãÇ Ô˜æÑÇ)), voire « faire connaître » différentes voies ÚÑøÝå ÇáØÑیÞ æÈیøäåÇ áå); cf. 90.10, (æåÏیäÇå ÇáäÌÏیä), sens que l'on rendra alors par le verbe « montrer »41. Il faut d'ailleurs remarquer que les occurrences coraniques interdisent d'établir des liens stricts entre ces sens et chacune des diverses constructions de åÏی »

 (à savoir :åÏÇå ÇáØÑیÞ æááØÑیÞ æÅáی ÇáØÑیÞ), à l'exception de la construction   åÏی áå, qui n'apparaît que trois fois (en 7.100, 20.28 et 32.26) toujours avec le sens de Èیøä áå..

La traduction du masdar åÏیð pose plus de problèmes. Ce terme est donné par les lexicographes comme le contraire de ÖáÇáÉ (l'égarement) et les significations de base qui lui sont attribuées sont celles de ÑÔÇÏ (le fait d'être dans la bonne voie) et de ÏáÇáÉ (le fait d'indiquer, de montrer la voie). Faute d'avoir en français des termes pour nommer « le contraire de l'égarement », « le fait d'être dans la bonne voie » et « le fait de montrer la bonne voie », on a été amené a recourir, après a autres', au néologisme « guidance » . Conformément aux valeurs du suffixe « -ance », ce terme peut évoquer :

-         « L'action de guider » ; åÏیð est toutefois peu attesté en ce sens dans le Coran (cf. 92.12, (Åäø ÚáیäÇ ááåÏی), où l'on traduira par l'infinitif « guider »).

  - « Le résultat de cette action », autrement dit « le fait d'être dans la bonne voie », qui s'oppose à « l'égarement » entendu comme « fait d'être égaré » (cf. , (ÃæáƘ ÇáÐیä ÇÔÊÑæÇ ÇáÖáÇáÉ ÈÇáåÏی.

• « Ce qui guide et montre la bonne voie », comme dans le présent verset, sens qui est le plus récurrent dans le Coran (åÏیð  s'appliquant à une chose qui guide tandis que le participe actif åÇÏreste réservé à des personnes).

Il faut enfin remarquer que, par un glissement aisément compréhensible, åÏیð peut désigner le chemin lui-même (cf. Lisân al- 'arab : æÇáØÑیÞ ÊÓãøی åÏیð) et pourra alors être rendu par « bonne voie ». On se servira aussi de cette traduction pour la tournure Úáی åÏیð (cf. 2.5), qui signifie « dans la bonne voie » et s'oppose à l'expression Ýí ÖáÇá. Puisque l'on disposait d'un terme adéquat, il a en effet paru préférable de renoncer en ces cas à l'emploi du néologisme afin que la traduction soit plus expressive. (Voir aussi les importantes remarques sur les aspects de la guidance dans le Coran faites en 2.16.2. à propos de ÇåÊÏی  etãåÊÏ æä.)

.    Le sens premier de la racine æ Þ í est « protéger, préserver » (æÞÇå Çááå æÞÇیÉ Ãی ÍÝÙå). Le sens propre de la forme réfléchie ÇÊøÞی est donc « se préserver » ou « se garder », par quoi l'on traduira parfois ce verbe. Cependant, Râgib Isfahâni fait ajuste titre la remarque suivante :

     La ÊÞæی consiste à mettre son âme à l'abri de ce qu'elle a à craindre. Ceci est son sens propre, et à partir de là, tantôt la « crainte » est nommée ÊÞæی et tantôt c'est la ÊÞæی qui est nommée « crainte », la chose impliquée étant désignée par le nom de la chose qui implique et vice versa.

     Ainsi, le verbe ÇÊøÞی est parfois employé dans le sens de ÎÇÝ et sera alors être traduit par « craindre », en particulier lorsqu'il a Dieu pour complément (il faut d'ailleurs remarquer à ce propos que l'on « se préserve » « d'une chose néfaste, d'un danger ou d'un mal » et que l'on ne peut donc en aucun cas employer ce verbe par rapport à Dieu).

     Enfin, il faut aussi prendre en compte un autre sens de ÊÞæی et d'autres termes de la même famille, sens qui est en fait devenu le sens propre de ces mots dans le vocabulaire religieux et que Râgib Isfahâni évoque en disant que « dans le vocabulaire religieux, le mot ÊÞæی en est venu à désigner le fait de préserver son âme du péché ».

        C'est en raison de ce sens que l'on pense immédiatement à des termes de la famille de « piété ». Pourtant, ces mots ne semblent pas les plus adéquats et on leur a préféré des dérivés de « vertu ».

      La « vertu » est en effet définie comme une «disposition constante qui porte à faire le bien et à éviter le mal » (Larousse) ou comme une « force morale appliquée à suivre la règle, la loi morale » (Robert, sens LA.2.).

   Ces définitions du mot « vertu » correspondent donc bien au sens propre de ÊÞæی, dont on vient de donner la définition d'après Râgib Isfahâni.

  En conséquence, ÊÞæی sera en principe « la vertu », ãÊøÞ et ÊÞíø désigneront le «vertueux » ou «homme de vertu», et ÇÊøÞی variera entre «se préserver», «se garder»,    «craindre» et «être vertueux». Cette dernière traduction sera en principe préférée chaque fois que  ÇÊøÞی n'aura pas de complément d'objet, tandis que «craindre» prévaudra généralement dès qu'il y aura un tel complément, le plus souvent Dieu (ÇÊøÞæÇ Çááå) ou le Feu de l'Enfer (ÇÊøÞæÇ ÇáäÇÑ).

Trois analyses syntaxiques sont possibles pour les versets 3 à 5 (cf. Kassâf) :

1.     soit les versets 3 et 4 sont coordonnés et sont relatifs à (ááãÊÞیä), tandis que le verset 5 inaugure une nouvelle phrase. Une distinction peut alors encore intervenir suivant que l'on considère ces deux versets comme décrivant chacun un groupe différent de « vertueux » (auquel cas les deux versets devraient se trouver coordonnés dans la traduction) ou au contraire comme décrivant ensemble les qualités que doivent réunir les « vertueux ». C'est ce dernier sens qui a été retenu pour la traduction, car il est conforté aussi bien par les commentaires des Gens de la Demeure prophétique que par ceux de la plupart des autres commentateurs ;

2.     soit le verset 3 seul est relatif à (ááãÊÞیä), le verset 4 inaugurant une (Suite) nouvelle phrase dont le verset 5 constitue le ÎÈÑ : « Ceux qui ont foi en ce qui est descendu vers toi..., ceux-là sont dans la bonne voie... » ;

3.     soit, enfin, aucun des versets 3 et 4 ne sont relatifs à (ááãÊÞیä) : ils sont bien coordonnés (avec les deux distinctions possibles déjà évoquées en 1.), mais inaugurent ensemble une nouvelle phrase dont le ÎÈÑ est constitué par le verset 5. Le sens serait donc analogue à celui de l'hypothèse précédente : « Ceux qui ont foi en l'invisible..., ceux-là sont dans la bonne voie... ».

A propos de (æیÞیãæä ÇáÕáÇÉ æããøÇ ÑÒÞäÇåã یäÝÞæä), voir 8.3, 13.22, 14.31, 22.35, 32.16, 35.29, 42.38 (et aussi 4.39).

Pour traduire (ÇáÐیä), il faut bien prêter attention aux diverses valeurs que ce pronom peut avoir dans chacune de ses occurrences (quels que soient son genre et son nombre). On distinguera principalement :

1.   une valeur déterminative (ÕÝÉ ãÞیøÏÉ), qui détermine un sous-ensemble au sein de l'ensemble qualifié, comme dans le verset 107.4-5 Ýæیá ááãÕáیä) ÇáÐیä åã Úä ÕáÇÊåã ÓÇåæä) : la malédiction concerne ici, non pas ceux qui font la Prière, mais ceux qui font la Prière en étant inattentifs à leur Prière.
Une telle valeur sera généralement rendue en français par le pronom relatif non séparé de son antécédent par une virgule (« Malheur aux orants qui sont inattentifs à leur Prière ») ;

2.   une valeur explicative simple (ÕÝÉ ãÈیøäÉ), qui décrit le qualifié, comme ce pourrait être le cas dans le présent verset, qui pourrait alors être traduit ainsi : « guidance pour les vertueux, qui ont foi en l'invisible, accomplissent la Prière... ». Dans ce cas, le pronom relatif est généralement, en français, séparé de son antécédent par une virgule ;

3.   une valeur explicative marquée (ááÅÝÕÇÍ), qui explicite le qualifié. Dans ce cas, ÇáÐí est considéré comme   le complément d'un verbe sous-
entendu ayant le sens de ÃÚäí,   « c'est-à-dire » (...ÃÚäí ÇáÐیä یÄãäæä). Cette valeur,  qui a paru mieux convenir pour le présent verset que la valeur explicative simple, sera généralement rendue par   le pronom démonstratif « celui » (ou « celle, ceux, celles ») suivi d'une proposition relative (ici : « ceux qui ont foi... », dans le sens de « c'est-à-dire ceux qui ont foi... ») ;

4.   une valeur laudative ááãÏÍ)), qui met en valeur le qualifié et équivaut à la tournure åã ÇáÐیä. Cette valeur sera généralement rendue par un pronom personnel suivi d'une proposition relative (cf. en 2.21 « …ÇÚÈÏæÇ ÑÈø˜ã ÇáÐí Îáޘ㠻) que l'on a traduit par : « Servez votre Seigneur, Lui qui vous a créés... »).

     On a traduit Âãä par « avoir foi » ou « avoir la foi » plutôt que par « croire », d'abord en raison de la dévalorisation du terme « croire » en français contemporain (on « croit » maintenant en toutes sortes de choses, puisque l'on n'a plus foi en Dieu). Mais il y a plus que cela : c'est que ÇáÅیãÇä désigne bien autre chose que la simple « croyance » en l'existence de Dieu (qui correspondrait plutôt à l'arabe ÇÚÊÞÇÏ). Ainsi, le Diable (Iblis, en arabe) est bien convaincu de l'existence de Dieu, puisque, comme le rapporte le Coran, il s'est entretenu avec Lui, mais on ne peut en aucun cas dire du Diable qu'il est ãÄãä, parce qu'il lui manque cette attitude de confiance et de fidélité qui fait précisément la « foi ».

  Donc, ÇáÅیãÇä étant la « foi », ÇáÐیä ÂãäæÇ (ou ÇáÐیä یÄãäæä) sont « ceux qui ont foi en... » ou «ceux qui ont la foi» (suivant que le verbe a un complément ou qu'il est employé absolument) ; le participe actif ãÄãä sera traduit par «ayant la foi » lorsqu'il a une valeur adjectivale ou participiale (cf. 2.221 ÃãÉ ãÄãäÉ)), « une esclave ayant la foi ») ; le même participe actif sera généralement traduit par « gens de foi », lorsqu'il a valeur de substantif (cf. 2.8 æãÇ åã ÈãÄãäیä)), « alors qu'ils ne sont pas gens de foi », et 2.93, 248, 278..Åä ˜äÊã ãÄãäیä)), « si vous êtes gens de foi »).

Lorsqu'il est déterminé et désigne la communauté du Prophète, le même substantif ÇáãÄãäæä sera le plus souvent traduit par « les fidèles » (cf.  (æÈÔÑی ááãÄãäیä), « et bonne nouvelle pour les fidèles)). Les « fidèles » apparaissent en effet, et sont parfois explicitement mentionnés, comme un groupe déterminé aux côtés du Messager de Dieu, ce qui ne permet pas de traduire alors par « ceux qui ont la foi » ou par « les gens de foi » (cf. 2.285

Âãä ÇáÑÓæá...æÇáãÄãäæä)) , « le Messager a foi... Les fidèles [aussi]) ; 9.26 (Ëã ÃäÒá Çááå Ó˜یäÊå Úáی ÑÓæáå æÚáی ÇáãÄãäیä), « Dieu a fait descendre Sa Sakïna sur Son Messager et sur les fidèles). Mais le terme « fidèle », malgré sa parenté avec le mot « foi », n'aurait pas pu être employé de manière adjectivale ( (ÃãÉ ãÄãäÉ)=esclave fidèle ») ou en tant que substantif indéterminé

   Åä ˜äÊã ãÄãäیä)),  « si vous êtes fidèles » ou « des fidèles »), en raison de la confusion avec d'autres sens du même mot.

    L'expression ÈÇáÛیÈ)) apparaît spontanément comme le complément de (یÄãäæä). Ce sens est évoqué dans les commentaires des Gens de la Demeure prophétique ainsi que dans la plupart des autres commentaires : on l'a donc retenu pour la traduction. Certains commentateurs (cf. Zamahsarï, Ibn Katir, etc.) mentionnent néanmoins que cette expression pourrait aussi être en position de complément d'état (Ýí ãæÖÚ ÇáÍÇá) comme dans d'autres occurrences coraniques de cette expression (cf. 5.94, 12.52, 36.11, 50.33, 57.25 et plus particulièrement la tournure ((ÇáÐیä یÎÔæä ÑÈåã ÈÇáÛیÈ aux versets 21.49, 35.18 et 67.12). Le sens de l'expression pourrait alors être soit qu'« ils ont foi alors qu'ils ne voient pas ce en quoi ils ont foi » (Kassâf), sens qui se rapproche de celui retenu pour la traduction ; soit qu'« ils ont foi lorsque personne ne les voit » (cf. Ibn Katir : یÄãäæä ÈÇáÔåÇÏÉ æ ÞÇá ÈÚÖåã یÄãäæä ÈÇáÛیÈ ˜ãÇ) et qu'ils ne sont donc pas comme les hypocrites qui « n'ont foi qu'en public » (cf. 2.14).

               Le verbe ÑÒÞ a trois significations principales et il ne semble pas qu'il y ait un terme français qui permette de rendre compte de ces trois sens. Il faudra donc recourir à plusieurs termes pour traduire ces divers sens, en particulier :

•      celui   d'« accorder»   un   don traduction   qui   s'impose   pour des invocations telles   que ÇÑÒÞäی æáÏðÇ ÕÇáÍÇ æÍÇÌøÇ ãÈÑæÑðÇ, mais qui ne semble pas intervenir dans le Coran ;

•      celui   de   « nourrir »,   dans   le sens de « pourvoir en nourriture », l’emploi de ces termes s'imposant clairement dans des versets comme 2.233(æÚáی ÇáãæáæÏ áå ÑÒÞåäø æ˜ÓæÊåä) 16.67 (ÊÊøÎÐæä ãäå Ó˜ÑðÇ æÑÒÞðÇ ÍÓäðÇ) ou18.19 (ÝáیäÙÑ ÃیøåÇ ÃÒ˜ی ØÚÇãÇ ÝáیÃʘã ÈÑÒÞ ãäå)) ;

•      enfin, celui plus général de « pourvoir », en choses matérielles comme immatérielles (les connaissances, par exemple), en ce monde ou dans l'autre.

 Comme la notion de « pourvoir » inclut celle de « nourrir », on peut parfois hésiter pour la traduction, mais l'on a en principe choisi « nourrir » et « nourriture » chaque fois qu'il est clairement question de choses qui se mangent ou se boivent, « pourvoir » étant réservé aux cas où ce qui est donné ne relève pas uniquement du domaine alimentaire.

      A l'occasion de la traduction du "passé" ÑóÒóÞäÇ par le présent « pourvoyons », il n'est pas inutile de faire une remarque à propos de l'utilisation des "temps" en arabe et de leur traduction en français. Pour simplifier les choses, il vaut d'ailleurs mieux renoncer à la notion de « temps » au profit de celle d'« aspects » ou «modalités de réalisation». On peut en effet remarquer qu'en arabe, et plus particulièrement en arabe classique, un état ou une action sont considérés soit comme « réalisés », soit comme encore « non réalisés » et que le ãÇÖí et le ãÖÇÑÚ (que l'on nommera dorénavant « accompli » et « inaccompli ») servent précisément à dénoter ces deux
modalités de réalisation. Dès que l'on voit les choses ainsi, l'emploi de ces deux « aspects » en arabe n'apparaît plus aussi problématique ou incohérent que certains l'ont pensé, bien au contraire. En effet, même l'emploi de l'accompli dans des phrases conditionnelles qui évoquent des réalités qui n'ont encore aucune réalisation et ne sont en rien « accomplies » relève encore de la plus grande rigueur logique. Ce n'est qu'en apparence, en effet, qu'il peut paraître surprenant de dire Åä ÏÑÓÊó äÌÍÊó, alors que ni l'étude, ni la réussite n'ont encore la moindre réalisation effective.

 En réalité, la proposition arabe est d'une logique mathématique et revient à dire : si A est réalisé, B est réalisé (en symboles mathématiques : A =>  B). Il n'y a non plus rien d'étonnant à ce que l'on doive souvent rendre en français un « accompli » par un présent ou un futur. Quelques exemples permettront d'illustrer la chose.

  Dans l'expression (˜áÇ ãäåÇ ÑÛÏðÇ ÍیË ÔÆÊãÇ) (2.35), il est clair que ÔÆÊãÇ ÍیË) correspond en français au futur

 « Partout où vous voudrez ». L'emploi de l'accompli est pourtant pleinement justifié en arabe, parce que le fait de «vouloir» précède nécessairement celui de «manger» et qu'il est donc toujours

« Accompli » au moment de manger. En français, par contre, l'emploi d'un passé (« partout où vous avez voulu ») ferait référence à un acte de volition qui aurait déjà eu lieu une fois pour toute.

    De même, l'expression ÌÚáäí ãÈÇјðÇ ÃیäãÇ ˜äÊ)) (19.31) signifie « II a fait de moi une bénédiction partout où je serai » : c'est l'accompli qui doit être employé en arabe, car il ne peut être une bénédiction que là où sa présence est devenue un fait accompli, mais on ne peut employer le passé en français, car cela voudrait dire qu'il est une bénédiction partout où il est passé, alors qu'il n'est encore passé nulle part.

   Même chose encore pour l'expression ÃÚÏøæÇ áåã ãÇ ÇÓÊØÚÊã ãä ÞæøÉ )   ) (8.60), « préparez pour eux les forces que vous pourrez », ou l'emploi de l'accompli est parfaitement logique, puisqu'il faut bien d'abord pouvoir avant de préparer.

L'on pourrait ainsi multiplier les exemples qui illustrent (mais avec une explication différente) une remarque faite par Sylvestre de Sacy dans sa Grammaire arabe (v.l p.85), à savoir que les verbes employés au ãÇÖی après des mots conjonctifs tels que ˜یÝãÇ ¡ ˜یÝ ¡ÃیäãÇ ¡Ãیä ¡Ãäøی ¡ãÊی ¡ãåãÇ ¡ÍیË ¡˜áãÇ ¡Ãíø ¡ ãóä ¡ ãÇ , etc., doivent être entendus comme des futurs, « ce qui n'empêche   pas   qu'on   ne    doive souvent les rendre en français par le présent ».

    C'est précisément le cas ici pour (æããÇ ÑÒÞäÇåã یäÝÞæä) comme pour d'autres expressions analogues (par exemple, en 2.57, ˜áæÇ ãä ØیøÈÇÊ ãÇ ÑÒÞäǘã)). L'emploi de l'accompli est, là encore, logiquement justifié puisqu'il faut bien que l'action de pourvoir en nourriture soit accomplie pour qu'il soit possible de prodiguer ou de manger. Mais l'acte de pourvoir est permanent et non pas révolu dans le passé, et c'est pourquoi il doit être traduit par un présent de valeur permanente. C'est en effet de ce « dont Nous vous pourvoyons » chaque jour qu'il vous faut prodiguer ou manger, et non pas de quelque chose « dont Nous vous avons pourvus » une fois pour toutes. (Voir aussi l'étude 2.23.2. sur l'emploi deßÇä à l'accompli).

           On pourrait s'étonner du fait qu'il soit parlé au passé de la Révélation descendue sur le Prophète Muhammad, Dieu le bénisse lui et les siens. Il faut d'abord remarquer à ce propos que deux formes verbales de la même racine servent essentiellement à parler de la « descente » du Coran : la forme ÃäÒá et la forme äÒøá - Les lexicographes font correspondre ces deux formes verbales à deux modalités ou deux étapes de la révélation du Coran. La forme ÃäÒá désignerait ainsi plus particulièrement la révélation du Coran de manière globale et synthétique, révélation qui eut lieu une fois pour toute dans cette nuit du mois de Ramadan que le Coran nomme áیáÉ ÇáÞÏÑ. Quant à la forme äÒøá, elle évoquerait plutôt la révélation successive des versets du Coran «étoile par étoile» au cours des vingt-trois années de la mission du Prophète, que les Bénédictions et la Paix divines soient sur lui et les siens53. On peut d'ailleurs remarquer à ce propos que seule la forme äÒøá apparaît parfois au ãÖÇÑÚ pour parler de la descente du Coran, ce qui n'est jamais le cas de la forme ÃäÒá, et pour cause, puisque la descente du Coran sous forme synthétique est déjà accomplie. Telle est la raison pour laquelle Dieu parle, au passé, de « ce qui fut descendu vers toi [comme Révélation] ».

A propos des verbes äÒøá et ÃäÒá, il faut encore remarquer que le sujet des formes actives est généralement Dieu et que, de ce fait, le sens de ces verbes est factitif : Dieu « fait descendre » la Révélation (2.23, 41, 90, 91, 102...), la manne (2.57),   un fléau (2.59), une faveur (2.90) ou des signes (2.99). Ce n'est que dans des cas exceptionnels, comme en 2.97 où le sujet de äÒøá est
Gabriel, que l'on peut traduire ces verbes par « descendre », car Gabriel «descend» effectivement lui-même le Coran en ce sens qu'il le « porte de haut en bas ». Que faire alors avec les formes passives ÃäÒá et äÒøá, puisque le factitif « faire descendre » n'a pas de passif ? Trois solutions se présentent.

        La première serait de recourir au pronom indéterminé « on », qui sert souvent à rendre le ãÌåæá de l'arabe, et de traduire ainsi (ãÇ ÃäÒá Åáی˜) par « ce que l'on fit descendre vers Toi », mais il n'apparaît vraiment pas convenable d'employer à propos de Dieu un pronom qui désigne « les hommes en général », « les gens » ou « une personne quelconque ».

   La seconde solution serait d'utiliser le passif du verbe « descendre » (« ce qui fut descendu vers toi »), mais cela laisserait entendre que le sujet réel du verbe (ÃäÒá) serait l'ange porteur de la Révélation, puisque « ce qui fut descendu » est le passif de « ce que l'on descendit » et non pas de « ce que l'on fit descendre ».

     La troisième solution consiste alors à employer la forme active du verbe « descendre ». En effet, par rapport à l'objet de la descente, « ce que l'on fit descendre » est bien la même chose que « ce qui est descendu ». Or, non seulement cette dernière solution ne présente pas d'inconvénient majeur, mais elle offre l'avantage de permettre l'emploi de formes verbales simples (« descend » vs. «Est descendu» ; « descendit » vs. « Fut descendu » ; « est descendu » vs. « A été descendu »...).

ÇáÂÎÑÉ  s'oppose à ÇáÏäیÇ  et, dans les deux cas, il faut sous-entendre le substantif ÇáÏÇÑ : ÇáÏäیÇ signifie donc littéralement « [la demeure] la plus proche » ou « la plus basse » et désigne « ce (bas) monde » ou « le monde d'ici-bas», tandis que ÇáÂÎÑÉ signifie «[la demeure] dernière » et désigne l’« autre   monde ». On ne peut pourtant adopter la traduction « dernière demeure » pour la raison qu'en français, cette expression désigne la tombe, et non pas l'au-delà.

Une structure récurrente du Coran est celle qui est constituée par un pronom démonstratif en position de ãÈÊÏà (le plus souvent ÃæáƘ) suivi d'un ÎÈÑ qui peut être :

1.     un nom (cf. 2.39, ÃæáƘ ÃÕÍÇÈ ÇáäÇÑ)));

2.      une expression introduite par une préposition (ÌÇÑø æãÌÑæÑ, comme dans le présent verset : (ÃæáƘ Úáی åÏیð)) ;

3.     une proposition constituée d'un verbe et de son sujet (cf. 2.121, (ÃæáƘ یÄãäæä Èå));

4.     ou une proposition introduite par un pronom relatif (cf. 2.16 « ÃæáƘ ÇáÐیä ÇÔÊÑæÇ ÇáÖáÇáÉÈÇáåÏی

5.     On trouve aussi fréquemment une tournure d'insistance avec reprise du pronom, comme dans le présent verset (ÃæáƘ åã ÇáãÝáÍæä)), tournure qui peut être analysée de diverses manières.

    Deux tournures seront proposées pour rendre ces structures, suivant que ÃæáƘ (ou tout autre pronom démonstratif) sera traduit par « ceux-là » (ou le pronom démonstratif adéquat) ou bien par le présentatif« voilà ». D'une manière générale :

•      la tournure de base « ceux-là ont/sont/etc. » sera presque toujours employée dans les      cas 1, 2 et 3 (mais on a déjà rencontré « voilà le Livre » pour (ÐᘠÇá˜ÊÇÈ) ;

•      le cas numéro 4 sera normalement rendu par « voilà ceux », car «ceux-là sont ceux » ne serait pas heureux ;

•      enfin la tournure d'insistance ...ÃæáƘ åã sera en principe rendue par «les voilà...», le gallicisme « ce sont eux... » se trouvant mieux employé pour traduire d'autre structures pronominales : la tournure ÎÈÑ+Åäåã åã (ou ...Åäøå åæ, ...Åäø˜ã ÃäÊã ; cf. 2.12-13, 37...), ainsi que la tournure ...åæ ÇáÐí ,åã ÇáÐیä ... (« c'est lui qui », « ce sont eux qui » ; cf. 2.29, 48.25...)

     On   peut légitimement s’interroger sur la nécessité et l'opportunité de
traduire   la particule Å ä Cette particule est traditionnellement définie par les
grammairiens comme «particule d'insistance»  (ÍÑÝ Êæ˜یÏ ; cf. Mugnï l-
labïb, v. 1 p.37), mais cette valeur apparaît considérablement estompée dans
les emplois de Åäø en arabe médiéval et moderne. En effet, il est quasiment
devenu   de   règle d’employer Åäø  dans deux cas : pour introduire une
proposition nominale indépendante et pour introduire un discours rapporté
après le verbe ÞÇá, « dire ». Dans ces deux cas, il n'est donc plus possible
d'attribuer à Åäø une valeur d'insistance : il ne s'agit plus que d'une marque
signalant le début d'un discours, marque qui n'a donc pas à être traduite
lorsqu'elle est en position d'ouverture d'une phrase nominale indépendante
et qui est rendue par les guillemets ouvrants lorsqu'elle introduit des propos rapportés.

  Seulement voilà : pour les deux cas qui viennent d'être mentionnés, cette règle ne s'applique pas à l'arabe du Coran.

    En effet, on trouve fréquemment dans le Coran des propositions nominales indépendantes commençant directement par leur ãÈÊÏÃ, sans présence de Åäø, alors que l'on retrouve dans un autre verset la même structure introduite par Åäø, ce qui confère nécessairement à cette particule une valeur significative. Ainsi, dans la sourate al-Baqara, on trouve neuf occurrences de proposition nominale commençant par (Åäø ÇáÐیä ...) (2.6, 62, 144, 159, 161, 174, 176, 218, 277), mais l'on en trouve sept autres qui commencent directement par ÇáÐیä...)) (2.39, 121, 146, 234, 262, 274, 275). De plus, il apparaît impossible de vouloir faire ici des distinctions entre divers types de propositions nominales, car on retrouve les mêmes structures avec et sans Å ä On trouve ainsi au verset 2.144(Åä ÇáÐیä ÃæÊæÇ Çá˜ÊÇÈ áیÚáãæä ...) et au verset 2.146 (ÇáÐیä ÂÊیäÇåã Çá˜ÊÇÈ یÚÑÝæäå...) deux phrases nominales dont le ÎÈÑ est une proposition verbale, l'une avec Åäø et l'autre sans Åäø ; on trouve aussi, aux versets 2.39 et 2.121, deux phrases nominales dont la structure est (ÇáÐیä... ÃæáƘ...), tandis que cette même structure est introduite par Å ä aux versets 2.159, 161, 174 et 218 ; enfin, les versets 2.262 et 2.274 présentent la structure (ÇáÐیä... áåã ÃÌÑåã ...) tandis que le verset 2.277 introduit cette même structure par Åäø .

    Il en va de même pour les discours rapportés après le verbe ÞÇá. Pour ne donner qu'un exemple, on pourrait être tenté de considérer Åäø comme non significatif dans le verset 2.14 (ÞÇáæÇ ÅäÇ ãÚ˜ã...). Pourtant, le rapprochement avec le verset 3.52 (ÞÇá ÇáÍæÇÑیæä äÍä ÃäÕÇÑ Çááå), par exemple, impose au contraire de ne pas dépouiller Åäø de sa valeur. Faute d'une particule équivalente en français, on a rendu cette valeur d'insistance de Åäø par l'expression « en vérité », préférant garder l'adverbe « certes » pour rendre la particule d'insistance á (áÇã ÇáÊæ˜یÏ). L'arabe fait un intense usage de particules et tournures d'insistance, qui se trouvent même parfois combinées, alors qu'une telle récurrence est insolite en français. Il a cependant paru nécessaire de conserver autant que possible ces structures afin de mieux refléter la constitution originelle du texte révélé.

Le verbe ˜ÝÑ, ses masdar-s et son participe actif ont de multiples sens, lesquels dérivent tous d'un sens premier qui est celui de « cacher », « dissimuler », « recouvrir » (cf. Mufradât : Çá˜ÝÑ Ýí ÇááÛÉ ÓÊÑ ÇáÔíÁ elKitâb al- 'ayn : ˜á ÔíÁ ÛØی ÔیÆÇ ÝÞÏ ˜ÝÑå). Ainsi, ;˜ÇÝÑ peut désigner des choses aussi différentes qu'un habit qui en couvre un autre, la nuit, la mer ou un grand fleuve, le coucher du soleil, une terre isolée ou un hameau perdu, un cultivateur, etc. (cf. Kitâb al- 'ayn, Sihâh, etc.).

   Dans le Coran, en dehors d'une occurrence (57.20) où ˜ÇÝÑ est à entendre dans le sens de « cultivateur », le verbe ßÝÑ les noms ˜ÝÑ, ˜ÝÑÇä, ˜ÇÝÑ (avec ses pluriels ˜ÝÇÑ et ˜ÝÑÉ) et les intensifs ˜ÝæÑ et ˜ÝÇÑ interviennent soit avec la signification première que nous venons de voir (« cacher, dissimuler, recouvrir », voire « renier »), soit, le plus souvent, avec deux sens parti­culiers s'opposant, l'un à « la gratitude », l'autre à « la foi », ce dernier sens, spécifiquement « islamique », apparaissant lui-même comme dérivé du pré­cédent. L'Imam Sâdiq donne à ce propos les précisions suivantes :

   « Le kufr apparaît dans le Livre de Dieu avec cinq significations :

1. et 2. Le kufr qui est «refus de reconnaître» (˜ÝÑ ÇáÌÍæÏ), et qui a lui-même deux aspects :

a)[d'une part] nier la Seigneurie divine (ÌÍæÏ ÇáÑÈæÈیÉ) et [dire] qu'il n'y a ni Paradis ni Enfer, comme le professent certains hérétiques et matérialistes-[...] ;

b)d'autre part nier ce que l'on sait fort bien être la vérité, comme le rapporte le Très-Haut lorsqu'il dit : « ils le nièrent alors qu'ils le savaient en toute certitude » ;

3- le troisième sens est l'ingratitude (˜ÝÑ ÇáäÚãÉ) ; le Très-Haut dit : « Si vous   êtes   reconnaissants, Je vous donnerais davantage, et si vous êtes ingrats, Mon tourment est en vérité fort sévère » ;

4- le quatrième sens est l'abandon de ce que Dieu a ordonné. C'est ce
sens que l'on trouve dans la parole du Très-Haut : « Auriez-vous donc foi en
une partie du Livre tout en mécroyant en une [autre] partie ? »

5- le cinquième sens est le kufr de désaveu (˜ÝÑ ÇáÈÑÇÁÉ). C'est celui que
l'on trouve dans la parole du Très-Haut rapportant ce qu'Abraham dit à son
peuple : "(nous vous renions).

   En ne considérant pour le moment que le verbe, on voit qu'il faut envisager des traductions multiples selon ses diverses occurrences. Ainsi :

1.                 lorsqu'il s'agit du contraire de Âãä, il faut envisager quelque chose comme « refuser de croire ». Il faut en effet considérer que le verbe ˜ÝÑó évoque le plus souvent une attitude active et non la simple absence d'un état (Suite) d'âme. Pour cette raison, il faut renoncer aux traductions telles que « ne pas croire » ou « être infidèle ». Il ne s'agit pas simplement de « ne pas croire », il s'agit d'un «refus de croire», «d'admettre » et de « reconnaître ». On a donc songé à remettre en vigueur l'ancien verbe français « mécroire », qui signifie précisément «refuser de croire», et qui présente l'immense avantage d'être de la même famille que le substantif « mécréance » et l'adjectif « mécréant ». En se reportant au Littré, on peut de plus constater que, tout comme «croire», le verbe « mécroire » peut se rapporter à des personnes comme à des choses et qu'il est susceptible des mêmes construc­tions, puisqu'il peut être employé sans complément ou avec un complément d'objet direct ou encore avec un complément indirect introduit par « en » (le régime avec « à », tout en devant analogiquement être possible, n'est pas signalé).

2.                 Lorsqu'il est question du contraire deÔó˜óÑó, le sens de ˜óÝóÑó sera celui de « faire preuve d'ingratitude » ou « se montrer ingrat » ou encore « refuser de rendre grâce », « refuser sa reconnaissance », etc.

3. Lorsque ˜óÝóÑó reprend son sens premier et devient synonyme de ÌóÍóÏó, il
faudrait le traduire tantôt par « nier » et tantôt par « renier ».

Lorsque ˜óÝóÑó reprend son sens premier et devient synonyme de ÌóÍóÏó, il
faudrait le traduire tantôt par « nier » et tantôt par « renier ».

4-           Parfois, ˜óÝóÑ évoquera, non pas une attitude générale, mais simplement le fait de prononcer une parole ou de faire un acte qui relève de la mécréance
ou de l'ingratitude. En ce cas, il faudrait songer à des structures telles que «se montrer ingrat» ou «mécréant», ou encore «parler / agir en ingrat » ou « en mécréant ».

5-           D'autres   fois,   enfin,   ˜óÝóÑ désignera bien l'état de la personne,
autrement dit le fait d'« être ingrat » ou « mécréant ».

   Les structures du type (æáåã ÚÐÇÈ ÚÙیã) á + ÖãیÑ + ãÈÊÏà ãÄÎøÑ)) seront, chaque fois que c'est possible, rendues par la tournure impersonnelle « il y a pour (eux, vous, etc.) telle chose ». Cette traduction peut paraître moins esthétique qu'une phrase personnelle du genre : « ils auront un immense tourment», mais il vaut   mieux s'y tenir, car des implications théologiques sont souvent en jeu.   Il n'est en effet pas indifférent de dire que les gens du Paradis « auront » des Paradis et des épouses sans souillures (cf. 2.25) et que les gens de l'Enfer « auront » un immense et douloureux tourment (cf. 2.7, 10), ou de dire au contraire que «il y a pour eux » Paradis et épouses ou flammes et tourments. C'est toute la question théologique de l'existence actuelle des récompenses et châtiments qui est là enjeu : ce n'est certes pas ici le lieu de la développer, mais il est clair, avec un tel enjeu, que le mieux à faire est de s'en tenir aussi strictement que possible au texte et de ne pas ajouter de valeur temporelle là où il n'y en a pas. On peut d'ailleurs remarquer que dans des cas où l'on se trouve presque inévitablement conduit à introduire une valeur temporelle, celle-ci est généralement appelée par le temps du verbe d'une autre proposition (ainsi, en 2.61 : « Descendez dans un lieu habité, et certes vous aurez ce que vous demandez ! », c'est l'impératif qui entraîne et justifie le futur).

       Sur le comportement hypocrite et le fait de prétendre mensongèrement avoir la foi, voir 2.14, 3.119, 167, 5.41, 61, 9.8, 48.11, 49.14...

     La graphie du texte coranique ne distingue pas les deux formes verbales dérivées de la racineÎ Ï Ú qui se trouvent dans ce verset. La   lecture   de Hafs, qui sert de base aux éditions actuellement les plus répandues du Coran, lit ici deux formes différentes (یÎÇÏÚæä) et یÎÏÚæä)).
  De ce fait, on a traduit la forme simple par « tromper » et la forme dérivée
par « chercher à tromper », l'une des valeurs évoquées par le schème ÝÇÚá
étant l'idée de faire effort pour réaliser l'acte évoqué par la racine (cf. ÞÊá et
ÞÇÊá). Cependant, d'autres lectures (dont celle de Wars", répandue en Afrique
du Nord et dans le Sahel) ne distinguent pas ces deux formes et lisent
یÎÇÏÚæä)) dans les deux occurrences-. Toutes deux auraient ainsi le sens de
« tromper », la forme dérivée se ramenant alors au sens de la forme simple.
Bien entendu, il faudrait en ce cas prendre la phrase « ils trompent Dieu »,
non pas au sens propre, mais en ce sens qu'« ils agissent envers Dieu comme
agit un trompeur » (cf. KaSSâf).

Au contraire de verbes tels que ÝÞå, ÚÞá, Úáã, etc., le verbe ÔÚÑ évoque une modalité de connaissance relevant de la « sensation » et ne nécessitant pas l'intervention de l'intelligence et de la réflexion. Ce genre de perception intuitive correspond   assez bien au français « avoir ou prendre conscience », qui réfère précisément à une « connaissance immédiate, intuitive, plus ou moins vague (dans quelque domaine que ce soit) » (Le Robert).

   Voir 9.77 et, pour l'expression (Ýí ÞáæÈåã ãÑÖ), 5.52, 8.49, 9.125, 22.53, 24.50, 33.12, 32, 60,47.20, 29,74.31.

. Peu de commentateurs ont évoqué, sans forcément la retenir d'ailleurs, l'idée que ÝÒÇÏåã Çááå ãÑÖÇ)) puisse être une formule de malédiction signifiant : « Que Dieu ajoute à leur mal » (voir Qurtubî, par exemple). Pour la quasi-totalité des commentateurs, cette phrase est énonciative et coordonnée à la précédente. Ce sens se retrouve d'ailleurs explicitement dans les versets 9.124-125 :

     «æÅÐÇ ãÇ ÃäÒáÊ ÓæÑÉ Ýãäåã ãä یÞæá Ãیø˜ã ÒÇÏÊå åÐå ÅیãÇäÇ ÝÃãÇ ÇáÐیä ÂãäæÇ ÝÒÇÏÊåã ÅیãÇäÇ æåã یÓÊÈÔÑæä æÃãÇ ÇáÐیä Ýí ÞáæÈåã ãÑÖ ÝÒÇÏÊåã ÑÌÓÇ Åáی ÑÌÓåã æãÇÊæÇ æåã ˜ÇÝÑæä» 

L'expression ((ÝÒÇÏÊåã ÑÌÓÇ Åáی ÑÌÓåã)) montre bien que le mot (ãÑÖÇ) n'est pas un «spécificatif » (ÊãییÒ), mais un second complément d'objet. La tournure signifie donc littéralement       « Dieu leur ajoute un mal ». L'expression n'étant pas correcte en français, il faut recourir à une autre tournure. On peut de prime abord penser à employer un verbe tel que « accroître » ou « augmenter » (« Dieu augmente leur mal » ou « Dieu accroît leur mal »), mais deux problèmes se posent alors : d'une part ces emplois bouleversent complètement la structure de la phrase arabe ; d'autre part ces tournures ne sont plus d'aucune utilité dans le cas d'expression comme celle qui vient d'être cité

 ((ÝÒÇÏåã ÑÌÓÇ Åáی ÑÌÓåã), littéralement : « elle leur ajoute une souillure à leur souillure »). Il paraît donc préférable de conserver le verbe « ajouter », qui peut être doublement transitif et qui sera alors employé tantôt avec deux compléments (direct et indirect : « elle ajoute une souillure à leur souillure ») et tantôt avec un unique complément direct (« Dieu [y] ajoute un mal », avec remplacement du complément indirect « leur » par un complément de lieu « [y] » référant à « leurs cœurs »).

. La lecture de Hafs est ici ی˜ÐÈæä)), « mentir », tandis que d'autres, dont WarS, lisent ی˜ÐÈæä)), « traiter de menteur ». Dans le premier cas (qui a servi de base à la traduction puisqu'il s'agit de la lecture actuellement la plus courante), c'est pour avoir menti sur leur foi que les hypocrites seront sévèrement châtiés ; dans le second cas, c'est pour avoir considéré le Prophète comme menteur. On remarquera cependant que sur ce dernier point les hypocrites ne se distinguent pas des autres mécréants et qu'il n'y a donc pas de raison de justifier spécifiquement leur châtiment par ce motif. Par contre, leur mensonge à propos de leur foi est bien ce qui les caractérise en propre et ce point mérite donc bien d'être mentionné en rapport avec leur châtiment. Comme c'est ce mensonge particulier qui est la raison de leur douloureux châtiment, et non pas n'importe quel mensonge, on a ajouté la précision « ainsi » entre crochets : « d'avoir [ainsi] menti ».

A propos de áÇÊÝÓÏæÇ Ýí ÇáÃÑÖ)), voir 2.11, 7.56, 85 ; voir aussi l'expres­sion apparentée (áÇÊÚËæÇ Ýí ÇáÃÑÖ ãÝÓÏیä) (2.60, 7.74, 11.85, 26.183, 29.36) et, plus généralement, la notion de ÝÓÇÏ Ýí ÇáÃÑÖ)) (2.27, 30, 205,7.127, 12.73, 13.25, 17.4, 26.152, 7.47, 38.28, 47.22).

 L'idée de la racine (Ý Ó Ï) est celle de « perte du juste équilibre »

 (ÇáÝÓÇÏ ÎÑæÌ ÇáÔíÁ Úä ÇáÇÚÊÏÇá), de cet équilibre qui fait qu'une chose est « en bon ordre » et conforme à ce qu'elle doit être (ÇáÝÓÇÏ äÞیÖ ÇáÕáÇÍ).

 Le sens précis de cette altération de l'ordre et de l'équilibre varie ensuite selon les domaines auxquels elle se rapporte : pourriture, croupissement, corruption, décomposition, dérèglement, dépravation, perturbation, désordre, confusion, trouble, iniquité, etc.

Dans le Coran, seuls quatre dérivés de cette racine sont employés, à savoir : ÃÝÓÏ¡ ÝÓÏ ¡ÝÓÇÏ et ãÝÓÏ. La plupart du temps, ils sont employés de manière absolue (comme dans le présent verset áÇÊÝÓÏæÇ Ýí ÇáÃÑÖ)) ou en 2.220

 æÇááå یÚáã ÇáãÝÓÏ ãä ÇáãÕáÍ))...) , ce qui ne permet pas d'en déterminer le sens précis avec rectitude. Lee sas où ces termes sont employés en situation permettent cependant de voir que la notion morale de corruption et de dépravation n'est pas prédominante, même si elle est généralement impliquée, et que l'idée centrale est celle de désordre :

Soit par rapport à l’ordre de l'univers, comme dans les versets 23.71
áÝÓÏÊ ÇáÓãÇæÇÊ æÇáÇÑÖ)) et 21.22 áæ ˜Çä ÝیåãÇ ÂáåÉ ÅáÇ Çááå áÝÓÏÊÇ)) (on
pourrait en ces cas parler de « sombrer dans le chaos ») ; soit par rapport à l'ordre social (voir, par exemple, les versets 27.34
(Åä Çáãáæ˜ ÅÐÇ ÏÎáæÇ ÞÑیÉ ÃÝÓÏæåÇ æÌÚáæÇ ÃÚÒøÉ ÃåáåÇ ÃÐáøÉ) ou 12.73

(ãÇ ÌÆäÇ áäÝÓÏ Ýí ÇáÃÑÖ æãÇ ˜äøÇ ÓÇÑÞیä)) ;    soit même du point de vue des partisans d'un ordre social réprouvé (comme en7.127

(æÞÇá Çáãáà ãä Þæã ÝÑÚæä ÃÊÐÑ ãæÓی æÞæãå áیÝÓÏæÇ Ýí ÇáÃÑÖ)
ou 40.27 (æÞÇá ÝÑÚæä ÐÑæäí ÃÞÊá ãæÓی æáیÏÚ ÑÈøå Åäøí ÃÎÇÝ Ãä یÈÏøá Ïیä˜ã Ãæ Ãä یÙåÑ Ýí ÇáÃÑÖ ÇáÝÓÇÏ)) ;   le désordre pouvant enfin aller jusqu'au ravage et à la dévastation (comme dans les versets 2.205 (áیÝÓÏ ÝیåÇ æیåᘠÇáÍÑË æÇáäÓá) ou 28.4

                                                            (یÐÈøÍ ÃÈäÇÁåã æیÓÊÍí äÓÇÁåã Åäøå ˜Çä ãä ÇáãÝÓÏیä)

Si l'on peut traduire ÝÓÇ Ï par « chaos » lorsque le désordre est considéré par rapport au cosmos (« les cieux et la terre »), on a pensé que le terme

 « Iniquité » était   le plus adéquat pour rendre cette notion chaque fois que le trouble et le désordre sont envisagé par rapport à l'homme, aussi bien dans
   le domaine social que dans le domaine moral. En effet, l’« iniquité » désigne d'une part une grave injustice (or le contraire de la justice, ÚÏá, est aussi le contraire de l'équilibre, ÇÚÊÏÇá), mais il est aussi synonyme de « corruption des mœurs, dépravation, état de péché » (voir Le Robert, qui donne d'ailleurs ce sens comme premier) et désigne par extension tout « acte contraire à la morale et à la religion » (ibid.) et tout « acte inique » du genre «assassinat, crime, usurpation» (ibid.). On a alors traduit le participe actif ãÝÓÏ par « ouvrier d'iniquité » et le verbe ÃÝÓÏ par « faire œuvre d'iniquité », gardant l'expression « répandre l'iniquité » pour rendre la tournure

 (یÓÚæä Ýí ÇáÃÑÖ ÝÓÇÏÇ) (5.33, 64).

         ÃÕáÍ signifie, soit «faire le bien» (auquel cas on traduira ce verbe par « faire œuvre de bien »), soit « agir pour rétablir le bien, le bon ordre des choses, la bonne entente, etc. » (auquel cas on  le rendra par «œuvrer au bien », puisque « œuvrer à quelque chose » ou « travailler à quelque chose » signifie « agir dans ce  but »). Dans les deux cas, le ãÕáÍ est l’« ouvrier de
bien », qui s'oppose au ãÝÓÏ, l’« ouvrier d'iniquité ».

A propos de ÃáÇ : grammairiens et commentateurs sont unanimes à considérer que cette particule, dans ce verset et dans la plupart de ses autres occurrences coraniques, a pour fonction d'« attirer l'attention sur le fait que ce qui la suit est bien réel » (áÅÚØÇÁ ãÚäی ÇáÊäÈیå Úáی ÊÍÞÞ ãÇ ÈÚÏåÇ ; Kassâf, v.l p.62).

Il importe alors de constater que, même si la particule ÃáÇ est bien étymologiquement composée d'une particule interrogative et d'une particule négative, elle a complètement perdu, dans son emploi le plus fréquent, tout sens interrogatif pour prendre, au contraire, le sens pleinement affirmatif d’« attirer l'attention sur l'effectivité de ce qui la suit ». Si, donc, la tentation peut être grande de traduire ÃáÇ par une interrogation négative du genre  « n'est-ce pas » ou « n'est-il pas vrai », il faut absolument y résister, car cet apparent purisme étymologique couvre en réalité une déformation du sens.

      En effet, ces interrogations négatives ont en français le rôle d'« appeler l'approbation », de « solliciter le consentement », de « requérir l'adhésion » (Le Robert, Le Larousse) et non pas d'« attirer l'attention sur l'effectivité de ce qui suit ».

   L'adverbe « vraiment », qui sert en tête de phrase à « souligner une affirmation » {Le Robert), semble tout à fait propre à rendre .ÃáÇ Dans les cas où l'aspect d'interpellation éclipse celui d'

« attirer l'attention sur l'effectivité de ce qui suit », on pourrait aussi songer aux impératifs « va », «allez», «allons» qui «jouent le rôle d'interjection exprimant le souhait, l'exhortation, la menace, l'indignation, la négation » (ibid.) ou encore à l'interjection «or çà » qui «s'emploie pour interpeller, pour exciter, pour convier à faire quelque chose » (ibid.).

   Le gallicisme «ce sont eux... » sera généralement employé pour traduire les structures du type ÎÈÑ+Åäøåã åã

 (ou ...Åäø˜ã ÃäÊã...¡Åäøå åæ  cf. 2.12-13, 37...).


Les formes « c’est lui qui », « ce sont eux qui », etc. serviront quant à elles pour rendre les tournures ...åã ÇáÐیä... ¡åæ ÇáÐí, etc.

(cf. 2.29...).

    Le mot äÇ Ó est un collectif qui n'a pas de singulier de sa racine (ÇáäÇÓ ÌãÇÚÉ áÇ æÇÍÏ áåÇ ãä áÝÙåÇ), le singulier qui lui correspond étant ÅäÓÇä, « homme, être humain ». Pour la traduction de ce terme, il fallait tenir compte du double sens qu'a le mot « homme », qui désigne en français tantôt le « mâle » et tantôt « l'être humain ». En raison de cette ambiguïté, il est le plus souvent délicat de recourir au mot « homme » pour rendre äÇÓ, problème que ne connaît pas l'allemand, par exemple, qui peut se permettre de traduire uniformément par « Menschen ». On a donc été amené à recourir au mot « gens », qui évoque généralement des « personnes en nombre indéterminé » mais peut aussi désigner  « les hommes en général » (comme dans « les bêtes et les gens »  Malheureusement, ce mot ne peut pas être utilisé dans tous les cas et l'on devra donc recourir, suivant le contexte, à «gens», à « hommes ». voire à « humains ».

   Dans le présent verset, (ÇáäÇÓ) signifie donc littéralement « les hommes » ou   « les   gens », mais l'article Çá n'est évidemment pas employé pour désigner  «tous   les   gens» (ááÇÓÊÛÑÇÞ). Il est parfois interprété comme (Suite)   désignant « ceux qui ont véritablement les qualités qui font un être humain » (ááÌäÓ). En ce cas, le verset signifierait : « Ayez foi tout comme ont foi les gens [qui sont de vrais humains] ».

    Cependant, la plupart des commentateurs penchent pour entendre l'article comme désignant des gens connus de l'interlocuteur (ááÚåÏ), à savoir les fidèles compagnons de l'Envoyé de Dieu, que les Bénédictions et la Paix divines soient sur lui et les siens. Le verset signifiera alors : « Ayez foi tout comme ont foi les gens [que vous connaissez et qui sont devenus compagnons du Prophète] ».

   Quoi qu'il en soit, ces deux interprétations se rejoignent dans leur réfèrent extérieur, puisque les « fidèles compagnons du Prophète » sont par excellence « ceux qui ont véritablement les qualités qui font un être humain ». Enfin, bien que fort peu de commentateurs y fassent allusion, ce verset peut encore vouloir dire, de manière plus générale : « Ayez [sincèrement] foi tout comme ont [généralement] foi les gens ».

«Les laisse à loisir » est mis pour (یãÏøåã). La précision « à loisir » (qui est comprise dans la notion de ãÏø) permet d'introduire une nuance par rapport
au verbeæÐ Ñ qui est employé dans des versets analogues.

    «Errant aveuglément» est mis pour (یÚãåæä). En effet, ÇáÚãå est défini comme ÇáÊÑÏøÏ Ýí ÇáÖáÇáÉ æÇáÊÍیøÑ, mais il est aussi dit que

                                                                                                          ÇáÚãå Ýی Ç ÇáÈÕیÑÉ ˜ÇáÚãå Ýی ÇáÈÕÑ  ( Lisan al-arab, etc).

Par ailleurs, du point de vue de la syntaxe, (یÚãåæä) est considéré, dans ce verset et les autres analogues, en position de complément d'état (Ýí ãæÖÚ ÇáÍÇá ; voir Magma' al-bayân, Durra, etc.). Parallèlement, Ýí ØÛیÇäåã)) est considéré comme complément de (یãÏøåã) et non pas de (یÚãåæä) (ibid.). Il ne faudrait donc pas traduire ce passage par :

«et les laisse à loisir errer aveuglément dans leur rébellion ».

  Pour le sens du verbe åÏی, voir l'étude 2.2.2. La forme pronominale ÇåÊÏی et son participe actif ãåÊÏò n'ont pas d'équivalents en français. Le verbe « se guider », qui pourrait au mieux servir à rendre la forme réfléchie ÇåÊÏی, ne se rencontre pratiquement jamais employé absolument et ne couvre pas non plus toute l'étendue de sens du verbe arabe. En dehors, donc, des rares cas où l'on peut employer « se guider » (cf. 7.43) ou « se guider sur » (cf. 6.97 et 16.16), il fallait trouver une autre traduction.

On a d'abord pensé à rendre ÇåÊÏی par « être guidés » et ãåÊÏò par « guidé » ou « bien guidé », mais il vaut finalement mieux éviter ces traductions, pour la bonne raison que ÇåÊÏی véhicule un sens pleinement actif et non passif : il est question de « se guider » et non pas d'« être guidé » (sens qui correspondrait au participe passif ãåÏí). Cette distinction grammaticale et sémantique a d'importantes implications théologiques. Il n'est en effet pas indifférent de dire de ceux qui sont égarés qu'« ils n'ont pas été (bien) guidés » ou de dire qu'« ils ne se sont pas (bien) guidés » : dans le premier cas on laisse entendre que Dieu ne leur a pas donné de guidance, ce qui n'est pas le cas, tandis que dans l'autre on dit qu'ils n'ont pas accepté, trouvé ou suivi la guidance, ce qui est effectivement le cas.

Cette distinction garde toute sa valeur même si l'on reconnaît que l'on aurait été incapable de se guider si Dieu ne nous avait pas guidé (cf. 7.43) et même si l'on peut trouver en certains passages du Coran des formulations qui laisseraient penser que Dieu n'a pas guidé quelqu'un. En effet, il faut bien remarquer avec Râgib Isfahâni (à l'article å Ï í) qu'il y a en réalité deux éléments actifs qui interviennent pour qu'il y ait guidance : quelqu'un qui donne la guidance et quelqu'un qui, volontairement, accepte de suivre la guidance. Dès lors, si le deuxième élément refuse de suivre la guidance, on peut bien dire de lui qu'il n'a pas été guidé (on prend alors en considération les conséquences de son refus de suivre la guidance), mais on peut aussi bien dire qu'il a été guidé, puisque la guidance lui a été donnée. C'est dans le premier sens que Dieu dit qu'« II ne guide pas les gens injustes » (2.258, 3.86...), «les gens mécréants» (2.263, 5.67...) ou «les gens impies» (5.108, 9.24...), et dans le second sens qu'il dit ailleurs : « Nous avons guidé les Tamûd, puis ils ont préféré l'aveuglement à la guidance » (41.17) :

Qui plus est, il faut envisager plusieurs aspects dans la guidance divine, que Ràgib Isfahânî résume comme suit :

  1. Il y a d'abord une guidance divine universelle (cf. 20.50, 87.3) qui consiste à doter toute créature de ce dont elle a besoin pour suivre la voie de développement qui est la sienne : c'est en vertu de cette guidance que    l'homme est pourvu de l'intelligence et des évidences premières qui sont la base nécessaire de toute connaissance.

2. Il y a ensuite la guidance qui consiste à appeler les gens à la voie droite par l'intermédiaire des Prophètes et Envoyés qui sont chargés de la faire connaître et de montrer le chemin (cf. 21.73, 32.24).

3. Vient alors la guidance qui consiste à assister ceux qui cherchent la voie et à conforter ceux qui s'y sont engagés. C'est en ce sens que Dieu guide « ceux qui font effort pour Lui » (cf. 29.69) et « ceux qui ont foi » (cf. 10.9, 64.11) ou qu'il «guide encore plus» «ceux qui suivent la bonne
voie» (cf. 19.76, 47.17).

4. Enfin, il y a le fait de conduire quelqu’un au Paradis dans l'autre monde (cf. 7.43, 47.5).

   En fonction du sens que l'on prend en considération, on peut alors dire que Dieu guide les égarés (sens 1 et 2) et qu'il ne les guide pas (sens 3 et 4). De même, en fonction du sens considéré, un homme peut guider les autres (sens 2 ; cf. 13.7, 21.73, 42.52...) ou au contraire n'avoir aucune capacité de guidance (sens 1, 3 ou 4 ; cf. 10.43, 28.56...).

  Dans tous les cas, il est une part active et volontaire qui revient à l'homme et dont il ne convient pas de le priver, sous peine qu'il ne lui reste rien et que l'on tombe dans un pur déterminisme, et cette part est précisément désignée par le verbe ÇåÊÏی, que l'on ne peut donc pas rendre par

 « être guidé ».

    A partir du sens premier « se guider » entendu de manière absolue, ÇåÊÏی en arrive ainsi à désigner :

  1. Le fait de « se guider sur » quelqu'un ou quelque chose (= ÇÞÊÏÇÁ), et en particulier le fait de « suivre la guidance (ou une guidance) ».

 2. Les diverses étapes du processus qui mène à être dans la bonne voie, à savoir : chercher la bonne voie, la trouver (cf. 27.24), et surtout la prendre (cf. 2.137) et la suivre (cf. 5.105).

ÇåÊÏی sera alors le plus souvent traduit par des expressions telles que « trouver la bonne voie », « prendre la bonne
voie », «suivre la bonne voie» ou «être dans la bonne voie ».

Il faut enfin remarquer que, la bonne voie étant ce qui conduit au but que l’on veut atteindre, ÇåÊÏی peut signifier tout simplement « trouver, découvrir » (mais par un « cheminement », en suivant des indices ou un raisonnement, contrairement à æÌÏ ou ÚËÑ Úáی) ou encore « aboutir, parvenir au but et atteindre un objectif». Ces sens, qui sont les seuls à être donnés par un dictionnaire moderne comme celui de Daniel Reig, sont déjà sensibles en plusieurs endroits du Coran, comme en 2.70 et dans le présent verset.

Comme le font remarquer les commentateurs (cf. Magma' al-bayân, KaSsâf, etc.), il n'est pas question dans ce verset de dire que « ceux qui ont troqué la guidance contre l'égarement n'ont pas été bien guidés », car cela va de soi, mais qu'ils n'ont pas « réussi en affaire » ou « dans cette affaire » (cf. Ma^ma ' al-bayàn : áã یÕیÈæÇ Ýí ÊÌÇÑÊåã ', Durra : áã یæÝÞæÇ Ýí åÐå ÇáÊÌÇÑÉ). En effet, l'affaire du commerçant est de faire fructifier son capital et d'en tirer du profit, or « ceux qui ont troqué la guidance contre l'égarement », non seulement n'ont rien gagné dans l'affaire, mais ils y ont perdu leur seul capital : ils n'ont donc vraiment pas « réussi [en affaires] ».

    La structure ãóËóáåã ˜ãóËóá)) est une construction récurrente dans le Coran pour introduire une comparaison. Littéralement, elle signifie «leur exemple est comme l'exemple de...», «leur cas est comme le cas de...» ou encore «leur parabole est comme la parabole de...».

 En français, de telles formulations ne seraient ni expressives ni esthétiques, et il faut donc modifier la structure de ces phrases pour en faire des énoncés français corrects et explicites, tout en essayant de respecter autant que possible la forme originale.

 On aura donc recours au diverses tournures servant à la comparaison : « être comme », « être tel », « être comparable à », etc.

Ýåã áÇیÑÌÚæä   signifie qu'« ils ne reviendront pas » de leur égarement vers la bonne voie (cf. Kassâf, etc.).

(ÕیøÈ) désigne aussi bien la «pluie» que le « nuage porteur de pluie », mais le contexte aussi bien que les commentaires des Imams de la famille du Prophète

(cf. Burhân) amènent à opter ici pour « pluie ».

   La précision « de toutes parts » se retrouve dans les définitions que donne en particulier le Lisân al- 'arab pour le verbe ÃÍÇØ, « cerner ». Malgré son caractère redondant, l'expression « cerner de toutes parts » (qui correspond bien à ÃÍÏ Þ Èå ãä ÌæÇäÈå ˜áå) est attestée en français (Le Robert, s.v. II/2 : « Les soucis le cernent de toutes parts »).

   Comme le rappelle Tabarsi dans son commentaire de ce verset, la tournure (æáæ ÔÇÁ Çááå áÐåÈ ÈÓãÚåã æÃÈÕÇÑåã) exprime que la   chose ne s'est pas passée parce que sa condition ne s'est pas réalisée (irréel du passé). Il faut donc employer en français la combinaison « plus-que-parfait / conditionnel passé » (qui exprime l’« irréel du passé ») et non pas la combinaison « imparfait / conditionnel présent» (qui exprime une «éventualité »). Pour exprimer en arabe une «éventualité », la phrase aurait dû être introduite soit par Ç ä soit par áæ suivi de l'inaccompli.

   A vrai dire, si la définition de áæ qui vient d'être donnée est le plus souvent exacte, l'auteur du Mugnil-labïb (v.l p.257-259) fait remarquer qu'il est des cas où elle ne convient pas et où le fait que la condition n'ait pas été réalisée n'entraîne pas forcément la non réalisation de la conséquence, pour la raison que cette conséquence a, ou peut avoir, une autre cause que celle exprimée dans la condition (auquel cas le sens de áæ  devra souvent être rendu par « même si » plutôt que par « si »). Tel est, par exemple, le cas du verset 31.27 : 

æáæ Ãä ãÇ Ýí ÇáÃÑÖ ãä ÔÌÑÉ ÃÞáÇã æÇáÈÍÑ یãÏå ãä ÈÚÏå ÓÈÚÉ ÃÈÍÑ ãÇ äÝÏÊ ˜áãÇÊ Çááå

  Il n'en reste cependant pas moins vrai que áæ, outre le fait qu'elle situe catégoriquement la condition dans le passé, indique dans tous les cas la non-réalisation de cette condition. Ibn HiSâm critique vigoureusement à ce propos les rares grammairiens qui ont osé contester ce fait en disant que cela « revenait à nier l'évidence » (˜Åä˜ÇÑ ÇáÈÏیåیÇÊ ; Mugnï l-labib, v.1 p.256) et il propose simplement de corriger les défauts de la définition donnée précédemment.

    L'arabe possède de nombreuses formes de vocatif, dont deux interviennent fréquemment dans le Coran : یÇ suivi d’un nom sans article et یÇ ÃیøåÇ  suivi d'un nom avec article ou d'un pronom relatif (ÇáÐیä, etc.). یÇ sera traduit par l'interjection «ô» (dite «o vocatif»).

Quant à la tournureیÇ ÃیøåÇ, elle sera rendue par la structure

 « ô + pronom personnel de la deuxième personne (singulier ou pluriel) + pronom relatif ou nom muni de l'article défini » :
« O vous qui avez la foi » (2.104, 153...), « O vous les mécréants » (109.1), etc. En effet, la tournure یÇ ÃیøåÇ se décompose en (åÇ + Ãíø + یÇ); chacun des éléments étant analysé comme suit (cf. Mugni l-labib) :

یÇ     est la particule du vocatif (ÍÑÝ äÏÇÁ), qui est traduite par « ô » ;

åÇ     a pour fonction d'attirer l'attention sur le fait que ce qui suit est ce qui est visé par l'interpellation

   (ÍÑÝ ÊäÈیå ááÊäÈیå Úáی Ãä ãÇ ÈÚÏåÇ åæ ÇáãÞÕæÏ ÈÇáäÏÇÁ).

 Dans la traduction proposée, ce rôle est dévolu au pronom personnel de la seconde personne (« toi » ou « vous », suivant les cas) ;

Çی   sert de lien lorsque l'interpellé est muni de l'article  Ç á (æÕáÉ Åáی äÏÇÁ ãÇ Ýیå Ç á). Cet élément n'a donc pas à être traduit. Par contre, la tournure proposée  permet de conserver l'article dans la traduction lorsque l'interpellé
est un nom, tandis que traduire simplement par « ô » impliquerait de renoncer à cet article (« O vous les mécréants » vs. « O mécréants »).

 Ainsi, یÇ ÃیåÇ ÇáäÇÓ sera traduit par « ô vous, les gens », et non par « ô gens » qui correspondrait plutôt à یÇäÇ Ó .

   La particule áÚáø  est proprement un adverbe de modalité exprimant l'espoir (ÇáÊÑÌøí) ou l'appréhension (ÅÔÝÇÞ) devant une éventualité que l'on s'attend à voir se réaliser (ÊæÞÚ), ce que l'on peut résumer par l'exemple suivant, donné par Ibn  Hisâm dans son Mugni l-labib:

áÚá ÇáÍÈیÈ ÞÇÏã æáÚá ÇáÑÞیÈ ÍÇÕá                                   

La traduction qui convient le mieux, de prime abord, est donc l'adverbe de modalité « peut-être » ou, mieux encore,   l'emploi du conditionnel, l'un et l'autre   éventuellement   renforcés   par   « bien »,   (« l'aimée pourrait bien arriver, mais il se pourrait bien qu'un chaperon soit là »).

   Par ailleurs, áÚá peut aussi prendre une valeur interrogative, comme dans

 æãÇ یÏÑی˜ áÚáå یÒø˜ی)), mais cela ne semble pas la dépouiller de son sens propre et rien n'empêche de traduire encore par « peut-être ».

    Cette particule pourrait enfin avoir un sens final (ÊÚáیáí), ce qui la rapprocherait de ˜í ou de á, mais ce sens ne fait pas l'unanimité des grammairiens arabes. Quoi qu'il en soit, dans les cas où, comme dans le présent verset, on peut être amené à traduire áÚá par « afin que » ou une préposition analogue, il faudrait autant que possible essayer de réintroduire d'une manière ou d'une autre la valeur propre de cette particule.

     Car il n'est pas sans signification de conserver dans la traduction des occurrences coraniques de áÚá ses valeurs d'espoir ou d'appréhension devant une éventualité. En effet, bien que nombre de commentateurs aient fait remarquer que l'éventualité, l'espoir et l'appréhension ne conviennent pas dès lors que c'est Dieu qui parle, il est aisé de leur répondre avec Ràgib Isfahàni que le sens n'est pas, bien entendu, que Dieu espérerait quoi que ce soit, mais qu'il donne espoir à l'homme par rapport à une chose qui reste, pour l'homme, une éventualité. C'est d'ailleurs déjà avec cette même justification que Sibawayh conservait à áÚá sa valeur propre même dans un verset où d'autres lui donnent le sens de ˜ی. A plus forte raison doit-il en être ainsi lorsqu'il est question, comme dans le présent verset, des conséquences de la mise en pratique d'une injonction divine. Comme le fait remarquer l'auteur du Magma' al-bayân, l'emploi de áÚá dans son sens propre suggère alors, non pas que ces conséquences ne seraient pas garanties par Dieu pour qui remplit les conditions demandées, mais que le serviteur se doit d'oeuvrer dans l'espérance et dans la crainte, et ne jamais considérer quelque chose comme définitivement acquis tant qu'il est en ce monde.

  Cela étant dit, comment traduire áÚá dans le Coran ? On peut tout d'abord remarquer que les diverses occurrences coraniques de cette particule peuvent être distinguées comme suit :

   Il y a tout d'abord les cas typiques de ÊÑÌí ou de ÅÔÝÇÞ, du type (áÚáäÇ äÊÈÚ ÇáÓÍÑÉ) (26.40) ou (áÚᘠÈÇÎÚ äÝÓ˜) (26.3). Comme on l'a indiqué précédemment, on peut alors recourir à l’adverbe « peut-être » ou, mieux encore, au subjonctif du verbe « pouvoir » : « Nous pourrions [bien] suivre les magiciens... », « Il se pourrait que tu... », etc.

  Il y’a ensuite les nombreux versets où Dieu informe d'une chose qu'Il
a faite, puis fait suivre cette information d'une proposition introduite par la
particule áÚá :  áÚá˜ã ÊÚÞáæä) ¡ (áÚá˜ã ÊÔ˜Ñæä) ¡ (áÚá˜ã ÊÊÞæä)), etc. Dans ce genre de structure, la tentation peut être forte de considérer ces propositions comme des subordonnées de but et de prendre áÚá dans le sens de ˜ی.
Pourtant, en plus de toutes les remarques qui viennent d'être faites, certains
de ces emplois montrent clairement que l'on ne peut envisager ces propositions comme des subordonnées de but. C'est en particulier le cas de tous les versets qui se terminent par (áÚá˜ã ÊÔ˜Ñæä) (2.52, 56, 185, 3.123, 5.6, 89, 8.26, etc.), car il n'est pas possible que les bienfaits du Généreux par excellence soient prodigués « dans le but », « pour » ou « afin que vous rendiez grâce ». Un autre élément qui, dans certains de ces versets, montre que áÚá n'a pas un sens simplement final, est que la proposition qu'il introduit est parfois précédée d'une proposition finale introduite par á (voir en particulier la tournure

(áÊÈÊÛæÇ ãä ÝÖáå æáÚá˜ã ÊÔ˜Ñæä) en16.14, 28.73, 30.46, 35.12, 45.12) : si la proposition introduite par áÚá n'avait qu'un sens final, il n'y aurait aucune raison de l'introduire par une nouvelle préposition et il aurait suffi de la coordonner simplement à la proposition finale précédente, avec tout au plus une répétition de á pour insister. Dans tous ces cas, c'est plutôt à l'adverbe « peut-être » que l'on aura recours (« peut-être rendrez-vous grâce »), car l'emploi du verbe « pouvoir » au conditionnel (« vous pourriez rendre grâce ») sonnerait plus comme un reproche que comme un encouragement.

     II y a enfin le groupe des versets ou la proposition introduite par áÚá
fait suite, non pas à une information, mais à un ordre, comme (ÇÊÞæÇ Çááå áÚá˜ã ÊÝáÍæä) (2.189,3.130, 200), (ÃØیÚæÇ Çááå æÇáÑÓæá áÚá˜ã ÊÑÍãæä) (2.132), etc.,
ou à un énoncé ayant valeur d'ordre (comme (˜ÊÈ Úáی˜ã ÇáÕیÇã) en 2.183).
C’est dans ces cas que la valeur d'encouragement (ÅØãÇÚ) est la plus forte et
doit donc le plus ressortir dans la traduction. L'emploi de tournures dubitatives

(« Peut-être vous sera-t-il fait miséricorde », « vous pourriez être bienheureux ») sont certes à proscrire ici, car elles seraient plutôt propres à décourager, mais on comprendra après cette étude qu'il n'est pas non plus satisfaisant de les remplacer par de simples circonstancielles de but (« pour qu'il vous soit fait miséricorde »,

 « Afin d'être bienheureux »). Il a semblé que   la meilleure manière de rendre ces tournures en respectant le sens premier de áÚá tout en ayant pleinement valeur d'encouragement (cf. ci-dessus la citation des Mufradât :

 áی˜æä ÇáÅäÓÇä ãäå ÑÇÌیÇ), était de traduire par : « vous pourrez » ou « vous   pourrez   [espérer] ». On dira ainsi : « Craignez Dieu, vous pourrez être bienheureux »,

« Obéissez à Dieu et au Messager, vous pourrez [espérer] que vous soit fait miséricorde », etc.

   Selon le Tafsïr al Imâm al- 'Askarï (cf. Burhâri), l'expression (áÚáø˜ã ÊÊøÞæä) a dans ce verset un double sens :

    Rapportée à l'ordre de servir (ÇÚÈÏæÇ ÑÈø˜ã), elle évoque la conséquence de la mise en pratique de cet ordre : servir son Seigneur conduit à la vertu, donc à éviter les péchés et, en définitive, à se préserver du Feu (áÚá˜ã ÊÊÞæä ÇáäÇÑ) On pourrait alors traduire, conformément à ce qui fut dit dans l'étude précédente :

« Servez votre Seigneur, vous pourrez être vertueux » (sur la traduction de ÇÊÞí par « être vertueux ».

   Rattachée à ÇáÐí ÎáÞ˜ã)), la même expression exprime la raison d'être de la création (ááÊÚáیá). On peut rapprocher cette signification du verset 51.56 :

 « Je n'ai créé les djinns et les hommes que pour qu'ils Me servent ».
Le passage signifiera alors : « Servez votre Seigneur, Lui qui vous a créé
[...] pour que vous soyez vertueux ».

Zamahâari fait alors finement remarquer à ce propos que là encore áÚá peut conserver son  sens propre et qu'il faut donc entendre : « dans l'espoir que vous soyez vertueux », non pas dans le sens que Dieu « espérerait » leur  vertu, bien entendu, ni même qu'il aurait créé des êtres « espérant la vertu » (car cela n'a pas vraiment de sens), mais en ce sens métaphorique (æÇÞÚÉ ãæÞÚ ÇáãÌÇÒ) que les humains sont « dans la position de personnes dont on attend et espère qu'elles fassent preuve de vertu » (åã Ýí ÕæÑÉ ÇáãÑÌæ ãäåã Ãä یÊÞæÇ). Il en va de même lorsque Dieu dit qu'il a créé les hommes « pour éprouver lequel de vous agira pour le mieux » ((áیÈáæ˜ã Ãی˜ã ÃÍÓä ÚãáÇ), 67.2), alors que seul quelqu'un qui ignore la réalité des êtres et des choses a besoin de les « mettre à l'épreuve » : là aussi, Dieu dit métaphoriquement qu'il «éprouve» les humains parce que leur position est celle de quelqu'un qui est mis à l'épreuve.

   Le point qu'il importe de souligner maintenant est que les deux sens qui viennent d'être évoqués ne sont pas deux éventualités envisagées séparément, mais bien, comme le fait remarquer Fayd Kâsânî, deux aspects (æÌå) simultanément et synthétiquement compris dans le verset. Il a semblé alors que la seule possibilité de conserver quelque chose de ce double sens tout en respectant la valeur de áÚá était d'employer une tournure telle que « afin que vous puissiez devenir vertueux » et déjouer sur la ponctuation en ajoutant une virgule à chaque articulation de la phrase, ce qui permet de rattacher le complément de but aussi bien à « servez votre Seigneur » qu'à « Lui qui vous a créés ».

   A propos de ÇáÐí ÌÚá á˜ã ÇáÃÑÖ ÝÑÇÔÇð æÇáÓãÇÁ ÈäÇÁð)), voir 20.53, 21.32,
40.64, 43.10, 51.47, 71.19,   78.6. - « Dôme » permet de réunir à la fois le sens premier de ÈäÇÁ (puisque ce mot vient du grec dôma, maison) et le sens de « toit » que  ÈäÇÁ prend par glissement dans ce verset.

 A propos de æÃäÒá ãä ÇáÓãÇÁ ãÇÁð ÝÃÎÑÌ Èå ãä ÇáËãÑÇÊ ÑÒÞÇð á˜ã)), voir 14.32
(et aussi 6.99 avec d'autres renvois).

A propos de (ÝáÇ ÊÌÚáæÇ ááå ÃäÏÇÏÇð), voir 2.165, 14.30, 34.33, 39.8, 41.9.- Comme le fait remarquer ZamahSarï dans son commentaire du présent verset, ÇáäÏø signifie ÇáãËá, mais avec cette nuance qu'il s'emploie pour un semblable « en relation d'opposition » (æáÇ یÞÇá ÅáÇø ááãËá ÇáãÎÇáÝ ÇáãäÇæی).

    On traduira donc äÏø par « rival », réservant le terme d'« égal » pour rendre ˜Ýæ. Le «rival» est en effet «celui [...] qui prétend aux avantages, aux biens qu'un seul peut obtenir et qui s'oppose à autrui pour les lui disputer » et par extension «celui [...] qui dispute le premier rang sans s'opposer activement à d'autres, qui est égal ou comparable » (Le Robert).

En   complément   des remarques faites en 2.3 à propos de l'emploi des "temps" en arabe, il   est opportun de faire ici une remarque sur l'emploi de
˜Çä à l'accompli. Sylvestre de Sacy faisait déjà observer dans sa Grammaire
arabe « que le prétérit du verbe ˜Çä paraît être employé le plus souvent
comme simple lien entre un sujet et  un attribut, abstraction faite de toute
valeur temporelle » (v.l p. 196) ; « c'est réellement l'opposé du verbe négatif
áیÓ,  qui n'a point d'autre temps que le prétérit, et qui a la valeur du présent
indéfini » (v.l p. 197).

   Le plus souvent l'attribut de ˜Çä est alors un nom ou une expression, comme c'est le cas dans ce verset pour les deux occurrences de Åä ˜äÊã)), mais il peut arriver qu'il s'agisse d'un verbe à l'inaccompli, dans une combinaison identique à celle que l'on traduit généralement par l'imparfait. Ainsi, dans la phrase (..Þá Åä ˜äÊã ÊÍÈøæä Çááå ÝÇÊøÈÚæäí)(3.31), l'expressionÅä ˜äÊã ÊÍÈøæä) ) doit être traduite par un présent : « Dis : "Si vous aimez Dieu..." ». Un tel emploi n'a d'ailleurs rien de surprenant si l'on pense en terme d'« accompli » et non de

 « Passé », car ces verbes à l'« accompli » réfèrent bien à des états ou actions actuellement réalisés (ou supposés réalisés) de manière accomplie. Autrement dit, il faut entendre ces expressions comme : « si vous êtes de manière accomplie dans le doute ou sincères ou [tels que] vous aimez Dieu ou [tels que] vous avez foi en Dieu, etc. »

Les commentateurs mentionnent de nombreuses possibilités d'analyse pour
l'expressionÝÃÊæÇ ÈÓæÑÉ ãòä ãËáå) ), suivant le sens que l'on accorde à ãòä)),
l'antécédent que l'on retient pour le pronom de (ãËáå) et le fait que l'on
rattache (ãòä ãËáå) à ÝÃÊæÇ)) ou à (ÓæÑÉ). Deux lectures sont alors retenues
comme possibles par quasiment tous les commentateurs :

     La première rapporte le pronom de ãËáå)) à ããÇäÒøáäÇ)) et entend (ãòä) soit   comme partitif (ááÊÈÚیÖ), soit comme explicatif (ááÊÈییä), soit enfin comme explétif (ãÒیÏÉ). L'expression aurait alors le même sens que celle que l'on trouve au verset 10.38 ÝÃÊæÇ ÈÓæÑÉ ãËáå)) et devrait être traduite par : « apportez donc une sourate semblable » (voir aussi 11.13 et 17.88).

        La seconde interprétation rapporte le pronom de ãËáå)) à (ÚÈÏäÇ) et entend (ãòä) comme exprimant l'origine (áÇÈÊÏÇÁ ÇáÛÇیÉ).

Le sens du verset se rapproche alors de celui du verset 10.16 :

Þá áæ ÔÇÁ Çááå ãÇ ÊáæÊå Úáی˜ã æáÇ ÃÏÑǘã Èå ÝÞÏ áÈËÊ Ýی˜ã ÚãÑðÇ ãä ÞÈáå...). En ce cas, la sens de l'expression sera : « apportez donc une sourate provenant de semblable à lui », autrement dit « provenant d'un de ses semblables ».

     Depuis Tabari, la plupart des commentateurs penchent pour la première lecture, quelques autres, assez rares, pour la seconde (ainsi Fayd KâSânî dans son Sâfi), tandis que d'autres encore, tout aussi rares, mentionnent les deux possibilités sans prendre finalement parti (c'est en particulier le cas de 'Allâma Tabâtabâ'î dans son Mïzâri). Nous verrons que la question essentielle est ici celle du sens de (ãòä) et que, au lieu d'opter pour une lecture en fonction de ce sens, les commentateurs ont préalablement décidé d'une interprétation et cherché ensuite quel sens de (ãòä) pouvait bien s'y accorder. Commençons donc par examiner les différents sens que pourrait avoir cette particule :

1. (ãòä) partitif (ááÊÈÚیÖ), comme aux versets 2.8 (æ ãòä ÇáäÇÓ ãóä یÞæá) et 2.22

 ÝÃÎÑÌ Èå ãòä ÇáËãÑÇÊ). ). D'après ceux qui proposent cette lecture de (ãòä), l'expression signifierait : «apportez donc une partie de ce qui est semblable [au Coran] » (cf. Magma’al-bayân :

 (ÇáÓæÑÉ   ÝÃÊæÇ ÈÈÚÖ ãÇ åæ ãËá áå æåæ

Or, il se trouve que cette lecture ne tient pas. Elle aurait certes pu être envisageable (ãòä ãËáå) avait été en position de complément d'objet de (ÝÃÊæÇ) dans une expression telle que : ÝÃÊæÇ ãòä ãËáå. En ce cas, en effet, on aurait pu dire que ÝÃÊæÇ ãòä ãËáå est un défi d'apporter « une partie de ce qui serait semblable au [Coran] » tandis que l'on aurait eu ÝÃÊæÇ ãËáå pour un défi d'apporter un « semblable au [Coran] ». Mais comme, dans le présent verset, le verbe (ÝÃÊæÇ) est déjà muni du complément d'objet (ÈÓæÑÉ), ãä ãËáå)) ne peut plus être entendu comme «ÈÈÚÖ ãÇ åæ ãËá áå », car la phrase ainsi constituée (ÝÃÊæÇ ÈÓæÑÉ ÈÈÚÖ ãÇ åæ ãËá áå) n'a aucun sens, ce à quoi les commentateurs semblent avoir été inattentifs.

  2.   (ãòä) explicatif (ááÊÈییä), comme en 22.30 ÝÇÌÊäÈæÇ ÇáÑÌÓ ãä ÇáÃæËÇä)).

  Le problème, ici, est que l'on n'a besoin d'une « explicitation » que lorsqu'il faut clarifier une chose insuffisamment déterminée, comme dans le verset cité en exemple. Or, dans le verset qui nous occupe, il n'y a aucune ambiguïté ni indétermination, puisque (ããÇ äÒøáäÇ) indique la nature de ce qui fait l'objet du défi tandis que ÈÓæÑÉ)) en précise la mesure. L'objet du défi est donc clairement et explicitement déterminé, et (ãòä ãËáå) entendu comme explicatif ne fournirait aucune sorte de renseignement supplémentaire. Qui plus est, si l'on admettait ici le besoin d'une explicitation, il faudrait expliquer par quelle négligence celle-ci ne se retrouve pas aux versets 10.38 (ÝÃÊæÇ ÈÓæÑÉ ãËáå) et 11. 13 (ÝÃÊæÇ ÈÚÔÑ ÓæÑ ãËáå).

3.    (ãòä) explétif (ãÒیÏÉ). Deux problèmes se posent à propos de cette interprétation, l'un grammatical et l'autre rhétorique.

   a) Du point de vue grammatical, on s'accorde, au moins depuis Ibn
HiSàm, à considérer que ãòä ne peut être explétif qu'à trois conditions :

  . Qu’il soit précédé d'une négation, d'une interdiction ou d'une interro­gation ;

  . Que le mot qu'il régit soit indéterminé ;

  . Que ce mot soit sujet, complément ou mubtada ;

On voit que, dans notre cas, les deux premières conditions ne se trouvent pas réalisées. Or, al-Ahfas est le seul grammairien à ne pas tenir compte de ces deux conditions. Considérer ici (ãòä) comme explétif, c'est donc se raccrocher à une position exceptionnelle, et cela sans raison valable qui y pousse puisque (ãòä) peut être entendu autrement.

    b) C'est précisément ici qu'intervient la rhétorique. L'ajout d'un mot
explétif ne peut avoir que des motivations stylistiques telles que le rythme du
discours ou la recherche d'un certain effet. Or, l'emploi  de ãòä dans une
structure telle que la nôtre n'est pas attesté comme une figure recherchée ou
appréciée, contrairement aux autres cas de ãòä explétif cités dans les ouvrages
spécialisés. Mais il y a plus encore.

Comparons les trois versets suivants :

    ( æÅä ˜äÊã Ýí ÑیÈ ããøÇ äÒøáäÇ Úáی ÚÈÏäÇ ÝÃÊæÇ ÈÓæÑÉ ãä ãËáå)23/2

Ãã یÞæáæä ÇÝÊÑÇå Þá ÝÃÊæÇ ÈÓæÑÉ ãËáå) 38/ 10)

(Ãã یÞæáæä ÇÝÊÑÇå Þá ÝÃÊæÇ ÈÚÔÑ ÓæÑ ãËáå ãÝÊÑیÇÊ ) 13/11

    II apparaît clairement qu'employer un ãòä explétif en 2.23 prêterait grandement à confusion, puisque l'on pourrait aisément l'entendre comme un ãòä exprimant l'origine (áÇÈÊÏÇÁ ÇáÛÇیÉ) et référant à (ÚÈÏäÇ), et c'est bien en raison de cette ambiguïté que tant de discussions ont lieu depuis des siècles parmi les commentateurs. Par contre, dans les versets 10.38 et 11.13, l'emploi d'un ãòä explétif n'aurait pas causé la moindre ambiguïté, puisqu'il n'y a aucune hésitation sur l'antécédent de (ãËáå), et pourtant il n'y a aucune trace d'un tel ãòä. Une particule "explétive" étant, par définition, une chose dont on peut fort bien se passer, par quelle rhétorique tortueuse pourrait-on justifier l'emploi d'une telle particule là où elle serait cause d'ambiguïté et son absence là où elle n'en susciterait aucune ?

   On voit que cette troisième interprétation de (ãòä) ne résiste pas plus à l'examen que les deux précédentes. Il ne reste donc pas d'autre choix que de considérer (ãòä) comme exprimant l'origine (áÇÈÊÏÇÁ ÇáÛÇیÉ), et de le traduire en conséquence,    d'autant plus que, comme l'écrit l'auteur du Magma' al-bayân :

 áÇ ی͘ã Úáی ÇáÍÑÝ ÈÇáÒیÇÏÉ ãÚ æÌæÏ ãÚäی ãä ÛیÑ ÖÑæÑÉ

     Il faut d'ailleurs bien avouer que c'est le sens de ãä comme exprimant l'origine qui vient immédiatement à l'esprit à la lecture de ce verset, et ce n'est qu'en raison de considérations extérieures que les commentateurs ont été amenés à proposer d'autres sens. Considérant qu'entendre (ãòä) comme exprimant l'origine (áÇÈÊÏÇÁ ÇáÛÇیÉ) impliquait que (ãòä ãËáå) renvoie à ÚÈÏäÇ)), ils ont cherché d'autres possibilités d'entendre (ãòä), fussent-elles « tirées par les cheveux », de sorte que (ãòä ãËáå) renvoie ãÇ äÒøáäÇ)).

    Autrement dit, le choix qui était fait a priori était de lire ce verset exactement comme les versets 10.38, 11.13 et 17.88, et c'est pour justifier a posteriori ce choix que l'on proposait des significations de ãòä qui revenaient à vider cette particule de toute valeur réellement significative. Quant aux raisons qui ont amené ces commentateurs à faire leur choix de lecture du verset, elles relèvent de considérations qui n'ont rien à voir avec la syntaxe et l'analyse logique. On trouve déjà ces considérations chez Zamahsarï et elles seront sans cesse reprises après lui, là encore sans le moindre examen :

1-     Le premier argument, et le plus généralement invoqué, est l'assi­milation du sens de notre verset à celui des versets 10.38, 11.13 et 17.88. Puisque ces versets mettent au défi d'apporter quelque chose de semblable au Coran, on en déduit que ce doit être la même chose ici. Or, c'est là une pétition de principe, car l'on est tout à fait en droit de considérer au contraire que la différence syntaxique du présent verset est liée à une idée supplémen­taire, laquelle vient compléter celles que l'on trouve dans les autres versets évoquant la miraculeuse inimitabilité du Coran. Ce verset ne reproduit pas purement et simplement l'argumentation des autres versets analogues : il vient souligner un aspect précis de cette miraculeuse inimitabilité, à savoir le fait que le Coran fut apporté par un homme qui n'avait pas étudié les livres sacrés des autres religions (cf. 29.48) et qui ne pratiquait pas la poésie (cf. 36.69), choses que savaient bien ceux parmi lesquels il avait toujours vécu (cf. 10.16). Ainsi, pour répondre à ceux qui prétendent que le Prophète serait l'auteur du Coran, Dieu les met au défi d'apporter une sourate provenant « d'un de ses semblables » ou, plus littéralement, « d'un semblable à lui ». Une telle signification, non seulement ne diminue en rien la valeur du défi, mais ajoute au contraire un élément susceptible d'impressionner et de convaincre bien des gens.

2-     Le second argument mentionné par ZamahSarï est que le discours porte sur « ce qui est révélé » (ÇáãäÒøá), et non pas sur « celui à qui vient la révélation » (ÇáãäÒøá Úáیå), et qu'il est plus éloquent de rapporter le pronom de ãòä ãËáå)) à ce sur quoi porte le discours. Il est étonnant qu'un aussi fin rhétoricien que ZamahSarï se laisse ainsi tromper par les apparences. En réalité, «ce que Nous avons fait descendre sur Notre serviteur » forme un tout indissociable dont le mot clé est «Notre serviteur». C'est en effet ÚÈÏäÇ)) qui vient déterminer et expliciter le sens de ãÇ äÒøáäÇ)), et c'est donc (ÚÈÏäÇ) qui domine tout le discours et qui en est le véritable objet. Car ce n'est pas l'authenticité du contenu du Coran qui est ici en question, mais l'authenticité de la Prophétie de Muhammad, que les Bénédictions et la Paix divines soient sur lui et les siens. Et il ne s'agit donc pas de justifier « ce qui est révélé », mais de confirmer la véridicité de « celui à qui vient la révélation » et de l'innocenter des accusations lancées contre lui à ce propos. D'où la réponse divine, dont le sens est le suivant : « Si vous pensez que ce Coran n'est pas une Révélation et que Notre serviteur l'invente de lui-même, voyez donc si vous pouvez trouver un homme comme lui capable de produire un tel discours ! ».

3 et 4. Le troisième argument donné par ZamahSarï est qu'un défi lancé à tous les hommes ensemble de produire quelque chose de semblable à ce qui est apporté par un seul d'entre eux est plus puissant qu'un défi lancé à un seul homme (« l'un de ses semblables »). A ce moment-là, répondra-t-on, la même objection devrait être faite pour le verset 11.13

(ÝÃÊæÇ ÈÚÔÑ ÓæÑ ãËáå)             par rapport au verset 10.38 (ÝÃÊæÇ ÈÓæÑÉ ãËáå), parce que le défi de produire  une seule sourate est plus puissant que celui d'en produire dix. Et l'objection devrait encore être réitérée à propos du verset 10.38 par rapport au verset 17.88 (Þá áæ ÇÌÊãÚÊ ÇáÅäÓ æÇáÌäø Úáی Ãä ÈÃÊæÇ ÈãËá åÇ ÇáÞÑÂä áÇ یÂÊæä ÈãËáå æáæ ˜Çä ÈÚÖåã áÈÚÖ ÙåیÑðÇ)-, car un défi lancé à la fois aux hommes et aux djinns est d'une bien plus grande portée qu'un défi lancé aux seuls humains. Si, donc, le critère devait être le nombre de personnes mises au défi, le verset 17.88 annulerait tous les autres.

    A moins que l'on considère l'expression æÇÏÚæÇ ãä ÇÓÊØÚÊã ãä Ïæä Çááå)), aux versets 10.38 et 11.13, comme impliquant les djinns dans le défi, mais il faudrait alors aussi prendre en compte le fait qu'une invocation semblable (æÇÏÚæÇ ÔåÏÇÁ˜ã) se retrouve dans le présent verset. ZamahSarï considère d'ailleurs cet appel comme un quatrième argument pour sa position. Ce qu'il entend par là, c'est que le défi doit nécessairement être lancé à plusieurs personnes pour qu'il leur soit encore demandé de convier d'autres créatures, humaines ou non, à participer à ce travail de production : de ce fait, il n'est pas possible que le défi se rapporte à une seule personne « semblable à Notre serviteur ». Seulement voilà : le fait d'invoquer les idoles ou les djinns pour produire une sourate n'est pas forcément une convocation à un travail collectif. On n'a d'ailleurs jamais vu plusieurs poètes s'associer pour répondre au défi lancé par un autre poète, car en ce domaine, la collaboration ne produit pas de résultat bien appréciable. L'appel dont il est fait mention dans ces versets apparaît donc plutôt comme un défi d'inviter les idoles ou les djinns, et plus généralement « tout autre que Dieu », pour qu'ils viennent « inspirer » le ou les poète(s) et orateur(s) qui se risqueraient à relever le défi. Autrement dit, Dieu renforce son défi en disant : « Vous pouvez invoquer l'inspiration de qui que ce soit en dehors de Dieu, vous n'y parviendrez pas ».

    Ce que révèle au bout du compte l'examen des versets concernant l'inimitabilité du Coran, c'est que le même défi y est reproduit avec des variantes qui, en mettant à chaque fois en valeur certains aspects du défi, soulignent d'autant mieux la totale incapacité des contradicteurs à le relever. Les particularisations et restrictions que l'on peut alors relever dans l'un ou l'autre de ces versets ne sont donc pas des « moins », mais au contraire divers points forts du miracle coranique et de son inimitabilité.

    C'est également pour cette raison qu'il n'y a pas lieu de penser, comme l'ont fait certains, qu'un défi lancé à « l'un de ses semblables » (à savoir un homme n’ayant pas fait d'études ni fréquenté de maîtres, etc.) pourrait laisser croire qu'un poète de haut rang ou un fin lettré pourrait parvenir à  relever ce défi : le point souligné ici, c'est qu'un homme semblable au Prophète ne pourrait en aucun cas produire de lui-même un texte tel que le Coran, et que donc ce texte provient bien d'une révélation divine. Ce message est suffisamment important pour qu'un verset lui soit consacré sans que l'on ait besoin de noyer ce sens dans une signification plus vaste.

      Quant à ceux qui pensent que l'on ne peut rapporter (ãËá) au Prophète, que les Bénédictions et la Paix divines soient sur lui et les siens, car il n'est pas concevable qu'il ait un «semblable», on leur répondra que la même objection peut être faite si l'on rapporte (ãËá) au Coran. C'est que, comme le fait remarquer ZamahSari, (ãËá) n'est pas employé ici dans le sens de « pareil » ou « identique » (äÙیÑ), mais dans le sens de « semblable sous un certain aspect ».

       Reste à évoquer un dernier point qui n'a généralement pas été remarqué par les commentateurs. Il s'agit du fait que, une fois le sens de (ãòä) déterminé comme indiquant l'origine (áÇÈÊÏÇÁ ÇáÛÇیÉ), il ne s'ensuit pas né­cessairement, contrairement à ce qu'ont pensé ces commentateurs, que le pronom de (ãËáå) se rapporte à (ÚÈÏäÇ) : le pronom peut aussi se rapporter à ãÇ äÒøáäÇ)), mais pas dans le même sens que s'il n'y avait pas (ãòä). Sans ãòä)), le sens serait « une sourate semblable à ce que Nous avons révélé » ; avec ãòä)), cela donne « une sourate provenant d'un [Livre] semblable à ce que Nous avons révélé ».

 Autrement dit, comme le dit explicitement un commentaire du Tafsir al-Imâm al-'Askarï (Burhân, v.l p. 154), le défi d'apporter «une sourate d'un de ses semblables » présente ici deux faces suivant les personnes qu'il concerne :

 -   adressé aux arabes en général, adeptes de l'éloquence et des arts du langage, le défi consiste à apporter une sourate...

  «...d'un semblable à Muhammad, semblable à l'un d'entre vous, qui n'écrit ni ne lit, n'a pas fréquenté de savant ni appris auprès de quelqu'un - et vous savez fort bien ce qu'il faisait dans ses voyages comme lorsqu'il résidait chez lui. Il est resté ainsi quarante ans, puis il a reçu toutes les connaissances, y compris celles des hommes des temps primordiaux et des hommes des derniers temps. Si donc vous avez quelque doute à propos de ces versets, apportez un discours semblable de la part d'un homme semblable, afin qu'apparaisse clairement qu'il est un menteur comme vous le prétendez, car tout ce qui provient d'autre que Dieu a son pareil auprès des autres créatures de Dieu ».

-  adressé aux gens du Livre, plus particulièrement aux juifs et aux chrétiens, le défi sera d'apporter une sourate d'un Livre...

   «...semblable au Coran, tel que la Torah, l'Evangile, les Psaumes, les Feuillets d'Abraham et les [cent] quatorze Livres [révélés], car vous ne trouverez pas dans les autres Livres de Dieu le Très-Haut une sourate pareille à une sourate de ce Coran : alors comment la parole [que vous prétendez] inventée par Muhammad, Dieu le bénisse lui et les siens, pourrait-elle surpasser les autres Paroles et Livres divins ? »

    Ainsi, l'on n'a pas à se préoccuper de l'antécédent de ãËáå)) pour traduire

(ãòä ãËáå), mais l'on doit par contre scrupuleusement rendre ãòä)) comme marquant l'origine. D'où la traduction proposée (« d'un de ses semblables ») qui, tout comme la phrase arabe, peut simultanément renvoyer à «ce que Nous avons fait descendre » et à « Notre serviteur ».

A propos de ÝÇÊøÞæÇ ÇáäÇÑ ÇáÊí æÞæÏåÇ ÇáäÇÓ æÇáÍÌÇÑÉ)), voir 66.6.

       Le thème des Jardins paradisiaques, des ruisseaux qui les arrosent et du séjour d'immortalité est un des thèmes fondamentaux du Coran, agrémenté ça et là d'éléments supplémentaires comme, ici, les épouses sans souillures. A ce propos, voir surtout 3.15 et 4.57 (où tous ces aspects sont réunis), mais aussi 2.266, 3.136, 195, 198, 4.13, 5.12, 119, 9.72, 89, 100,10.9,13.35, 14.23, 16.31, 18.31, 20.76, 22.14, 25.10, 29.58, 39.20, 47.12, 48.5, 17, 57.12, 58.22, 61.12, 64.9, 65.11, 66.8, 85.11, 98.8.

   On a traduit littéralement la tournure (ÊÌÑí ãä ÊÍÊåÇ ÇáÃäåÇÑ) par «sous
lesquels coulent les ruisseaux». Les commentateurs ne donnent jamais ãä ÊÍÊåÇ comme un équivalent de ÝیåÇ, mais considèrent unanimement qu'il faut sous-entendre ãä ÊÍÊ ÃÔÌÇÑåÇ, autrement dit « à l'ombre des arbres de ces jardins ».

Le æ de (æÃÊæÇ Èå ãÊÔÇÈåÇ) apparaît bien comme un æÇ æ ÇáÍÇá, la tournure sans ÞÏ étant permise et même fréquente lorsque la personne ou la chose qualifiée par le complément d'état est représentée par un pronom dans la proposition complément, comme en 26.111 (ÃäÄãä ᘠæÇÊøÈÚ˜ ÇáÃÑÐáæä). Le pronom suffixe du groupe prépositionnel (Èå) renvoie au terme (ÑÒÞÇ) qui désigne la « nourriture » de fruits paradisiaques. Le terme (ãÊÔÇÈåÇ) est alors un complément d'état (ÍÇá) de ce pronom. La phrase signifie donc æÞÏ ÃÊæÇ ÈÐᘠÇáÑÒÞ ãä ÇáËãÇÑ ãÊÔÇÈåðÇ ÈÚÖåÇ áÈÚÖ : « alors qu'on leur apporte [cette nourriture de fruits] se ressemblant [les uns aux autres] ».

      La racine Î á Ï évoque l'idée de « rester toujours ou fort longtemps dans un même état, sans qu'il y ait corruption, vieillissement ou mort ». Ce serait donc un appauvrissement de ne retenir de ÎÇáÏæä)) que l'idée de « rester » ou « demeurer », qui aurait pu être exprimée par des termes tels que ÈÇÞæä, ãÞیãæä ou ÏÇÆãæä. . Evoquant les distinctions entre ÈÞÇÁ, ÏæÇã et ÎáæÏ, Abu Hilâl al-'Askari précise d'ailleurs dans ses Furùq que ÈÞÇÁ désigne « une longue période entre un début et une fin », tandis que ÏæÇã convient pour « ce qui n'a ni début ni fin » et que ÎáæÏ évoque ce qui « a un commencement mais continue sans fin ». Plutôt que l'idée d'« éternité » (qui évoque ce qui n'a ni début ni fin), la notion d'« immortalité » paraît donc plus apte à rendre ÎáæÏ, d'abord parce que l'immortalité s'applique en propre à « ce qui a eu un début mais ne connaît pas de fin » et aussi parce que ce terme et ses dérivés évoquent F« absence de vieillissement et de mort ». D'où l'idée de traduire (åã ÝیåÇ ÎÇáÏæä) par « ils y resteront immortellement ».

Pour ÇáÍÞø ãä ÑÈøåã)), voir 2.144, 47.2, 3.- Pour (ãÇÐÇ ÃÑÇÏ Çááå ÈåÐÇ ãËáÇ), voir 74.31.

   Le mot ãËá sert avant tout à exprimer la comparaison (Cf. Lisân al-arab :
یÞÇá åÐÇ ãòËáå æãóËóáå ˜ãÇ یÞÇá ÔòÈåå æÔóÈóåå). Il faut alors remarquer que la langue arabe permet l'emploi de ãËá aussi bien dans les cas où la comparaison renvoie à un, réfèrent réel et dans ceux où le réfèrent est une représentation imaginaire. En français, par contre, on ne peut employer le même mot pour rendre ãóËóá dans ces deux types de comparaison. En effet, dans les cas où il est fait référence à un précédent, il est question de donner « un exemple » ou « en exemple », mais ce terme ne convient plus pour les autres cas, car l'on ne peut dire en français qu'un « bon arbre » est « l'exemple » d'une « bonne parole ». Pour ces cas où le réfèrent est une représentation imaginaire, on pourrait employer le mot image» ou, mieux encore peut-être, le terme « parabole », qui signifie étymologiquement « comparaison » (du grec paraballein, « mettre à côté de, comparer ») et qui est tout particulièrement adapté au contexte d'un livre religieux (voir aussi l'étude 2.17.1.).

     Dans l'expression Ãä یÖÑÈ ãËáÇ ãÇ ÈÚæÖÉ)), à quoi se rattache (ãÇ) ? Certains considèrent cette particule comme explétive. D'autres, avec des analyses syntaxiques diverses, la rattachent à (ãËáÇ), le terme (ÈÚæÖÉ) venant ensuite expliciter le groupe ãËáÇ ãÇ)). Le sens serait alors : « Dieu ne Se gêne pas de donner quelque parabole : un moustique et ce qui est au-delà... ». Mais on peut aussi, comme on a choisi de le faire ici à la suite de nombreux commentateurs, rattacher (ãÇ) à (ÈÚæÖÉ) dans une construction analogue à

 ÝÈãÇ ÑÍãÉ) ) (3.159). L'ensemble ãÇ ÈÚæÖÉ)) peut alors être une apposition (ÈÏ á) ou une explicitation (ÚØÝ ÈیÇ ä) de (ãËáÇ), complément de ÖÑÈ)) ; ou alors

 (ãÇ ÈÚæÖÉ) peut être le complément d'objet de (ÖÑÈ) tandis que (ãËáÇ) serait un spécificatif (ÊãییÒ), ces diverses analyses ne changeant d'ailleurs pas grand chose pour la traduction.

On peut hésiter, pour la traduction de (ÈÚæÖÉ), entre « moucheron » et

 « moustique », voire « puceron ». Bien des lexicographes et commentateurs se contentent en effet d'expliquer ce mot par ÕÛیÑ ÇáÈÞø, sans plus. D'autres, en particulier l'auteur du Kitâb al- ayn (åí ÇáãÄÐیÉ ÇáÚÇÖÉ Ýí ÇáÕیÝ) et encore plus celui du Magma al-bahrayn, nous donnent heureusement les précisions qui permettent de se décider pour « moustique ».

 (ÝãÇ ÝæÞåÇ)  désigne-t-il quelque chose qui est plus grand que le moustique
ou, au contraire, quelque chose qui surpasse le moustique en cela même
pour quoi il est exemplaire, à savoir la petitesse de la taille ? La traduction
« et au delà » permettait de refléter l'ambiguïté de l'expression d'origine.

یÖáø Èå ˜ËیÑðÇ æیåÏí Èå ˜ËیÑðÇ)) : ce propos doit-il être attribué aux mécréants
ou fait-il partie de la réponse donnée par Dieu ? Rien dans le texte ou le contexte ne permet de trancher catégoriquement, mais les propos des Imams de la famille du Prophète qui commentent ce verset (Burhân, v.1p.158-159, n° 1et2) attribuent clairement ce propos aux mécréants et le propos suivant à Dieu

 ( ãÇ یÖá Èå ÅáÇ ÇáÝÇÓÞیä )        ÝÞÇá [...] Úáیåã  [...] (ÝÑÏø Çááå .

La racine Ý Ó Þ évoque fondamentalement l'idée d'une « sortie négative ou néfaste » hors de quelque chose : ÇáÝÓÞ Ýí ÇáÚÑÈیÉ ÎÑæÌ ã˜Ñæå (al-Furuq al-lugawiyya) ; Ç Õá ÇáÝÓÞ ÎÑæÌ Ç áÔیÆ ãä Ç áÔیÆ æ Ìå Ç áÝÓÇ Ï   (Magma al-bahrayn).

    Tous les emplois coraniques des dérivés de cette racine se rapportent ainsi aux idées d'« outrepasser une prescription » ou de « sortir de la norme religieuse et morale ». On pense donc immédiatement aux notions de « transgresser » et d'« enfreindre », ainsi qu'à celles de « dépravation » et de «perversité». Le choix d'une traduction est cependant compliqué par le fait que les dérivés de la racine Ý Ó Þ (à savoir le masdar ÝÓæÞ, le nom ÝòÓÞ, le verbe ÝÓÞ et le participe actif ÝÇÓÞ) ont des sens proches des dérivés de deux autres racines qui interviennent aussi dans le Coran : la racine Ý Ì Ñ (cf. ÝÓæÞ et ÝÌæÑ ; ÝÇÓÞ et ÝÇÌÑ) et la racine Ú Ï æ (cf. ÝÓÞ Úä ÃãÑ et ÊÚÏøی ÍÏøÇ).

   Après examen, on constate que les termes de la famille de « vice » (que Le Robert définit comme « disposition habituelle au mal ; fait de s'adonner à des passions mauvaises, à des plaisirs défendus»et de la famille de « pervers » (« qui est enclin au mal, qui se plaît à faire le mal ou à l'encourager » ; ibid.) devraient être réservés pour rendre des termes dérivés de la racine Ý Ì Ñ (tels que ÝÌæÑ ou ÝÇÌÑ). En effet, comme le fait remarquer Abu Hilâl al-'Askari dans ses Furûq, si le ÝòÓÞ est une « sortie de la norme », le mot ÝÌæÑ évoque une « propension au mal ».

Les mots « impiété » et « impie » apparaissent par contre mieux appropriés pour rendre les termes ÝòÓÞ et ÝÇÓÞ. En effet, les lexicographes sont d'accord pour voir dans le ÝòÓÞ une « sortie de la religion », qui peut parfois être de la pure et simple mécréance (˜ÝÑ), mais peut aussi n'être que le fait du péché. Le ÝÓÞ a donc une portée plus vaste que le ˜ÝÑ, qu'il inclut tout comme l’«impiété » inclut la « mécréance » sans s'y limiter.

    D'après le Robert, en effet, est « impie » aussi bien celui « qui n'a pas de religion » que celui « qui offense la religion », voire « qui offense ce que tout le monde respecte » et « contrevient aux coutumes reçues ».  Et l' « impiété » désigne, non pas le rejet pur et simple de la religion, mais le « mépris pour les choses de la religion » et plus largement le « mépris de ce que tout le monde respecte ». Enfin, une « impiété » est une « parole [ou une] action impie », c'est-à-dire « qui marque le mépris de la religion ou des croyances qu'elle enseigne ». On constatera que toutes ces définitions s'appliquent fort bien aux diverses occurrences coraniques des dérivés de la racine Ý Ó Þ .

 Voir 13.25 - Pour (ÇáÐیä یäÞÖæä ÚåÏ Çááå ãä ÈÚÏ ãیËÇÞå), voir aussi 3.77, 187,
4.155, 5.13, 8.56, 13.20, 16.91, 95 — Pour (یÞØÚæä ãÇ ÃãÑ Çááå Èå Ãä یæÕá ),
voir  aussi 13.21, 47.22 — Pour یÝÓÏæä Ýí ÇáÃÑÖ)), voir 2.11 (avec d'autres
renvois).

 «Après l'avoir fermement contracté » est mis pour (ÈÚÏ ãیËÇÞå) : ãیËÇÞ est en
    effet défini comme ÚÞÏ ãĘøÏ (Mufradât Râgib).

Voir 22.66, 30.40, 45.26. - D'après les commentaires des Imams de la famille du Prophète, (ÃãæÇÊÇ), « morts », désigne ici les éléments non vivants qui sont à l'origine de la conception d'un être vivant (sperme, ovule, etc. ; cf. Burhân, n° 1 : Ãí ÃãæÇÊÇ Ýí ÃÕáÇÈ ÂÈÇƘã et n° 2 : Ãí äØÝÉ ãیÊÉ æÚáÞÉ).

Voir 41.9-12 et, à propos des sept deux, 23.17, 65.12, 67.3, 71.15, 78.12.

ÇÓÊæی est un mot difficile à cerner en raison de la variété de ses sens suivant les contextes. Le sens à prendre en compte ici est indubitablement celui de « se tourner vers quelque chose après avoir été occupé à autre chose ». On dira ainsi :˜Çä ÝáÇä ãÞÈáÇ Úáی ÝáÇä Ëã ÇÓÊæی Úáíø æÅáی ی˜áãÊí  (Magma'al-bayân, v.l p : l43).

Le verbe Óæøی signifie quelque chose comme «faire, créer ou former
harmonieusement » (Cf. Mufradât Râgib : ÊÓæیÉ ÇáÔíÁ ÌÚáå ÓæÇÁ; Kassâf :

ãÚäی  ÊÓæ یÊåä ÊÚÏیá ÎáÞÊåä æ ÊÞæ یãå æ Ç ÎáÇ Ä å ãä ÇáÚæÌ æ ÇáÝØæÑ
 
Le groupe nominal (ÓÈÚó ÓãÇæÇÊ) peut être une explicitation du pronom complément (ÊÝÓیÑ ÇáÖãیÑ ; cf. Kassâf) ou une apposition ((ÈÏá, auxquels cas le sens serait littéralement : «Il les fit harmonieusement, sept cieux ». Il semble cependant plus probable qu'il s'agisse d'un spécificatif : ÊãییÒ) « Il les fit
harmonieusement en sept cieux ») ou, mieux encore (cf. Durra), d'un second complément d'objet de Óæøی (« 11 en fit harmonieusement sept cieux »).

Le verbe ÎóáÝó n'exprime pas une simple succession (ÊÚÇÞÈ¡ÊæÇáی¡ÊÊÇáی), mais plutôt le fait de « prendre la place de » quelque chose ou de quelqu'un. Cette distinction apparaît bien dans certaines expressions, comme) ÇÎÊáÇÝ Çááیá æÇáäåÇÑ) (Cor. 2.164, 3.190, 10.6, 23.80, 45.5) qui désigne une « alternance » dans laquelle le jour et la nuit viennent successivement « prendre la place » l'un de l'autre. On peut aussi remarquer que Moïse demande à son frère de le « remplacer » auprès des enfants d'Israël (ÇÎáÝäی Ýí Þæãی) (Cor. 7.142) et que Dieu a mis d'autres peuples « à la place » des peuples qu'il a fait disparaître (cf. Cor. 7.69 : (ÌÚá˜ã ÎáÝÇÁ ãä ÈÚÏ Þæã äæÍ) et 7.74 : (ÌÚá˜ã ÎáÝÇÁ ãä ÈÚÏ Þæã ÚÇÏ). Le ÎáیÝÉ est donc à proprement parler un « remplaçant » qui « remplace » une personne absente ou qui « prend sa place ».

      On perçoit alors la difficulté que pose la traduction du mot (ÎáیÝÉ) par « remplaçant » dans le présent verset. Si le sens du passage est qu'Adam et les Hommes Parfaits après lui auront la fonction de « représenter Dieu » sur terre (ÎáیÝÉ Çááå Ýí ÇáÃÑÖ), parler d'un « remplaçant de Dieu » impliquerait que l'on envisage une certaine « absence » (ÛیÈå) de Dieu ? Le problème n'est en réalité que d'apparence, car on peut effectivement bien dire que Dieu est « absent » ((ÛیÈ à ce monde en ce sens qu'il échappe à la percep­tion des créatures et n'est pas « présent » à leurs sens. Plus profondément, on peut même dire que c'est précisément par la présence d'un ÎáیÝÉ Çááå, d'un « remplaçant ou lieutenant de Dieu », que Dieu est « présent » en ce monde.

       Mais il existe aussi une autre interprétation de ce verset, qui concerne non plus Adam ou l'Homme Parfait, mais le genre humain dans son ensemble, et qui correspond donc mieux au contexte (on pensera en particulier à la réponse des anges). En effet, certains commentaires des Imams de la famille du Prophète expliquent qu'il est simplement question dans le présent verset de « remplacer » par des êtres humains les créatures qui avaient auparavant peuplé la terre, et en particulier les anges qui se trouvaient alors sur terre (cf. Burhàn, v.l p. 163s.). On peut d'ailleurs remarquer, pour renforcer cette interprétation, qu'au verset 43.60, Dieu menace des hommes de les rempla­cer à leur tour par des anges :

(æáæ äÔÇÁ áÌÚáäÇ ãä˜ã ãáÇÆ˜É Ýí ÇáÃÑÖ یÎáÝæä).

     Ces sens ne s'excluent d'ailleurs pas forcément et peuvent fort bien être superposés à divers niveaux de signification. La traduction de ÎáیÝÉ  par «remplaçant» semble alors être la seule qui permette cette double lecture : le mot « remplaçant » peut en effet désigner le genre humain, qui vient «prendre la place » d'autres créatures, mais aussi un « lieutenant » et «représentant » de Dieu dont on peut ajuste titre dire qu'il agit « en lieu et place » de Dieu dans le monde des créatures (sans que cela veuille dire, bien entendu, qu'il occuperait une place précédemment occupée par Dieu, car Dieu est hors de toute condition spatiale ou temporelle).

     Pour (ãä یÝÓÏ ÝیåÇ), voir 2.11 (avec d'autres renvois).

  A propos du tasbïh des anges, voir 7.206, 21.19-20, 39.75, 40.7, 41.38, 42.5 (et aussi 13.13). - Certains considèrent que ÓÈøÍ ÈÍãÏå signifie tout simplement soit äÓÈø͘ soit äʘáã ÈÍãϘ et qu'il n'y a pas à envisager ici deux actes distincts. Le sens de l'expression serait donc tout simplement « nous proclamons Ta louange » ou « nous célébrons Ta transcendance ».

     Il semble cependant plus juste, comme le pensent nombre de commentateurs, de considérer que la précision ÈÍãϘ)) est significative et qu'il est donc bien question ici de deux actes complémentaires : la célébration de la pureté divine à l'égard de tout défaut ou imperfection (tasbïh) et la louange de l'absolue perfection divine (tahmïd). On retrouve d'ailleurs explicitement cette conjonction dans certaines formules rituelles de la Prière :

 ÓÈÍÇä ÑÈøí ÇáÚÙیã æÈÍãÏå et ÓÈÍÇä ÑÈøí ÇáÃÚáی æÈÍãÏå (cf. le hadith rapporté à ce propos par Qurtubï d'après Muslim). D'un point de vue grammatical, le groupe nominal (ÈÍãϘ) serait alors en position de complément d'état (Ýí ãæÖÚ ÇáÍÇá ; cf. Kassâf, Durra), et l'expression équi­vaudrait à :

 äÓÈøÍ ÍÇãÏیä ᘠæãáÊÈÓیä ÈÍãϘ.

    On peut encore envisager la possibilité que (ÈÍãϘ) soit un complément de moyen (la préposition È étant (ááÇÓÊÚÇäÉ. Le sens serait alors que «nous célébrons Ta transcendance au moyen de Ta louange », autrement dit « en employant la louange que Tu T'es Toi-même adressée et qui est la seule qui puisse véritablement Te convenir ».

    La traduction de È par « avec » permet ici de préserver ces deux lectures : « alors qu'avec Ta louange nous célébrons Ta transcendance » peut en effet aussi bien signifier que nous la célébrons « au moyen de Ta louange » et que nous la célébrons « en même temps que Ta louange ».  De nombreux hadiths et commentaires (cf. Qurtubï ; Burhân, v.3 p.215-216, n° 12-16) expliquent la formule ÓÈÍÇä Çááå comme une proclamation du fait que Dieu est pur de toute imperfection et en particulier de ce que disent de Lui les païens et en donnent pour équivalent les formules ÊäÒیå Çááå ou ÃäÝÉ Çááå. D'où l'idée de rendre le verbe ÓÈøÍ par « célébrer la pureté » et la formule ÓÈÍÇä Çááå par « pureté à Dieu ».

 Le verbe ÞÏøÓ  étant transitif direct, le á de äÞÏøÓ á˜)) pose problème : est-il explétif ou significatif ? Dans le premier cas, äÞÏøÓ á˜)) équivaudrait à äÞÏ Ó˜ et signifierait ääÒøå˜ ÚãøÇ áÇ یáیÞ È˜, ce que l'on pourrait rendre par « nous Te sanctifions ».

  Dans le second cas, qui a été préféré en vertu du principe qu'il vaut mieux ne pas considérer un mot comme explétif tant qu'on peut lui trouver un sens, (á˜) aurait pleinement la valeur de ãä ÃÌá˜, « pour Toi ». Plusieurs interprétations sont alors proposées :

  - certains pensent que äÞÏøÓ á˜)) signifie tout simplement äÕáی ᘠ 

   « nous faisons la Prière pour Toi » ;

-         d'autres rapportent (á˜) à l'ensemble des actes évoqués par (äÞÏøÓ) et

(äÓÈøÍ ÈÍãϘ), en ce sens que « nous faisons tout cela pour Toi ».

  - d'autres enfin conservent pleinement à ÞÏøÓ sa valeur première de ØåøÑ

(« Purifier ») et envisagent donc un complément d'objet sous-entendu.

 äÞÏøÓ á˜)) pourrait alors signifier soit äØåøÑ ÃäÝÓäÇ á˜ (« nous [nous] purifions pour Toi») soit, comme le commente le Tafsïr al Imam al-'Askarï,

 äØåøÑ ÇáÃÑÖ á˜ (« nous purifions [la terre] pour Toi »).

    On remarquera cependant que les idées de « sanctifier Dieu » et de « prier pour Lui » n'apporteraient rien de vraiment nouveau par rapport à l'expression précédente äÓÈøÍ ÈÍãϘ)))). Les idées de « se purifier » ou de « purifier la terre » ajoutent par contre une nouvelle raison invoquée par les anges pour être préférés à l'homme. Seulement, on ne voit pas très bien en quel sens les anges, créatures pures par excellence, pourraient bien « se purifier ». On comprend au contraire très bien que les anges mettent en valeur le fait qu'ils « purifient la terre pour Dieu » au contraire de l'homme qui « y fera œuvre d'iniquité et versera le sang ». C'est pourquoi cette idée paraît de toutes la plus intéressante.

     La racine Þ Ï Ó évoque les sens de « pureté » et « sainteté ». La traduction du verbe ÞÏøÓ par « sanctifier » convient donc parfaitement, puisque « sanctifier » signifie à la fois « révérer comme saint » et « rendre saint » (le Robert ; cf. l'expression « sanctifier le monde » et la forme pronominale « se sanctifier »).

 Pour ÓÈÍÇä˜)), voir l'étude     . 2.30.4

Pour Åäí ÃÚáã ÛیÈ ÇáÓãÇæÇÊ æÇáÃÑÖ)), voir en particulier 35.38 et 49.18. On retrouve encore cette notion avec l’expression) áå ÛیÈ ÇáÓãÇæÇÊ æÇáÃÑÖ) en 11.123, 16.77, 18.26 et avec l'expression (ÚÇáã ÇáÛیÈ æÇáÔåÇÏÉ) en 6.73, 9.94, 105, 13.9, 23.92, 32.6, 39.46, 59.22, 62.8, 64.18 (voir aussi 6.59, 10.20, 27.65, 72.26). -  Pour (ÃÚáã ãÇÊÈÏæä æãÇ ˜äÊã ʘÊãæä) et d'autres expressions dans le même sens, voir 2.77, 284, 3.29, 5.99, 6.3, 13.10, 14.38, 16.19, 23, 20.7, 21.110, 24.29, 27.25, 74, 28.69, 33.54, 36.76, 60.1, 64.4, 87.7 (et aussi 3.167, 4.108, 5.61, 9.78, 11.5, 21.2-3, 40.19, 43.80, 47.26, 67.13).

 La présence d'un verbe à l'inaccompli et d'un verbe à l'accompli dans la tournure ÃÚáã ãÇ ÊÈÏæä æãÇ ˜äÊã ʘÊãæä)) est atypique. En se reportant aux renvois indiqués, on peut constater qu'une telle tournure est le plus souvent employée avec deux inaccomplis (comme en 2.77)   ãÇیÓÑøæä æãÇ یÚáäæä)) et parfois avec deux accomplis (comme en 60.1 (ÃäÇ ÃÚáã ÊãÇ ÃÎÝیÊã æãÇ ÃÚáäÊã), ces accomplis devant toutefois être traduits en français par des verbes au présent (voir à ce propos l'étude 2.3). Faut-il alors envisager ici une opposition temporelle entre ãÇ ÊÈÏæä)) et ãÇ ˜äÊã ʘÊãæä)) et considérer cette dernière expression comme un passé ? Plusieurs considérations amènent à répondre par la négative.

     La principale raison est que dire « Je sais [...] ce que vous celiez », impli­querait que Dieu ait pris connaissance d'une chose qu'il aurait auparavant ignoré, puisque cela signifierait : « Je sais enfin ce que vous celiez aupa­ravant et qui est maintenant apparu ». En effet, pour signifier que Dieu avait connaissance de ces choses au moment où elles étaient celées, la phrase devrait être entièrement au passé (« Je savais [...] ce que vous celiez ») et pour signifier que Dieu a, actuellement ou en permanence, connaissance de ce qui est celé, la phrase devrait être entièrement au présent (« Je sais [...] ce que vous celez »). Comme rien ne permet d'entendre le verbe (ÃÚáã) au passé, seule la dernière possibilité reste envisageable, laquelle est d'ailleurs celle qui convient le mieux dès lors qu'il est question de la permanente omniscience divine.

    Reste alors à expliquer l'emploi de (ãÇ ˜äÊã ʘÊãæä). Après s'être reporté aux remarques faites en 2.23 sur l'emploi de ˜Ç ä avec une valeur de présent indéfini ou permanent, on pourra constater que c'est bien une telle valeur qu'il faut prendre en compte ici. Le sens de la tournure (ãÇ ˜äÊã ʘÊãæä) est en effet, non pas de rappeler un événement passé, mais d'évoquer un état actuellement réalisé, un état qui est soit « caché en vous-mêmes et à vous mêmes », soit « cache chez certains parmi vous »   et que seule une mise à l'épreuve est susceptible de révéler. ãÇ ˜äÊã ʘÊãæä) ) peut alors simultanément référer à deux choses au moins :

-         d'abord la conviction qu'avaient inconsciemment les anges d'être les
meilleures créatures de Dieu. La création et la désignation d'Adam comme
ÎáیÝÉ- fut alors l’épreuve qui leur fit prendre conscience de cette conviction
cachée, tandis que l'épreuve de la « connaissance des noms » leur en révéla
la vanité et la fausseté.

-         Ensuite insoumise et rebelle d’Iblis, qui sera révélée à lui-même et aux autres par l’épreuve de la prosternation devant Adam.

   Par ailleurs, les deux propositions commençant par (ÃÚáã) apparaissent comme deux propositions coordonnées qui constituent ensemble le propos rapporté introduit par (Ãáã ÃÞá á˜ã). Elles sont donc toutes deux des ÎÈÑÇä, ce qui en fait en français des compléments du verbe dire dans « ne vous avais-je pas dit ». Quant à la traduction de (ÃÚáã) par deux verbes différents (« connaître » et « savoir »), elle est tout simplement déterminée par la nature des compléments dans chacune des deux phrases : on ne peut pas bien dire aujourd'hui «je sais ce qui est dans les cieux... » (cf. Le Robert) et l'on ne dira pas non plus « je connais ce que vous dites et ce que vous cachez ».

(˜áÇ ãäåÇ)  signifie «mangez de lui», (« lui » ayant pour antécédent « Paradis ») et ÑÛÏðÇ)) désigne l'abondance de biens (cf. 16.112 (یÃÊیåÇ ÑÒÞåÇ ÑÛÏðÇ ãä ˜áø ã˜Çä [...] (ÞÑیÉ). Les commentateurs considèrent généralement (ici et en 2.58) qu'il faut sous-entendre ØáÇ ÑÛÏðÇ, qu'ils explicitent par des expressions telles que : æÇÓÚðÇ ÈáÇ ÊÚÈ æáÇ äÕÈ. Il est bien évident, en effet, que Dieu ne donne pas l'ordre de « manger en abondance », mais de manger sans restriction de ce qui se trouve là en abondance et que l'on peut se procurer sans peine. L'absence de restriction étant déjà clairement suggérée par l'expression « [partout] où vous voulez », qui traduit (ÍیË ÔÆÊãÇ), les idées essentielles d'abondance et d'aisance qu'évoque (ÑÛÏðÇ) ont été rendues par : « ce qu'il offre en abondance ».

  Dans l'expression ÝÃÒáøåãÇ ÇáÔیØÇä ÚäåÇ)), le pronom åÇ peut avoir pour antécédent le « Paradis » Ç áÌäÉ)) ou l'arbre (Ç áÔÌÑÉ).

-         Si l'on retient Ç áÔÌÑÉ)) comme antécédent (cf. Kassaf), le verbe Ç Òá
signifiera « faire trébucher », « faire commettre une faute » (ÍãáåãÇ Úáی ÇáÒáÉ)
et (ÚäåÇ) signifiera « du fait ou à cause de l'arbre » (ÈÓÈÈ ÇáÔÌÑÉ). La
proposition suivante exprimerait alors la conséquence de cette faute et l'on
aurait ainsi l'ensemble : « alors Satan les fit pécher à cause de [l'arbre] et il
les fit sortir de [l'état] dans lequel ils étaient ».

-         Si l’on retient  (ÇáÌäÉ) comme antécédent de (ÚäåÇ) (cf. Magma al-bayân,    Qurtubi), le verbe Ç Òá aura le sens d'« écarter » (äÍøí), qui est proprement son sens lorsqu'il est construit avec Úä. On retrouve d'ailleurs ce sens dans la variante de lecture ÃÒÇ áåãÇ (au lieu de ÃÒáåãÇ))), mais avec cette différence, précise Abu Hilâl al-'Askari, que Ã Ò á ajoute une idée de « précipitation ». Cette nuance pourrait alors assez bien être rendue en français par l'expression «faire chuter»,   si ce verbe ne relevait pas du vocabulaire familier. On a donc pensé à l'expression « faire déchoir », puisqu'il est question du passage d'un état supérieur  à un état inférieur et que le verbe « déchoir » signifie précisément « tomber dans  un état inférieur à celui où l'on était » ( Le Robert). Selon cette compréhension, la première proposition portant déjà sur la sortie du Paradis, la seconde proposition ne sera qu'une précision de la première, et non pas une   conséquence. C'est pourquoi la coordination par Ý dans ÝÃÎÑÌåãÇ)) est donnée par Ibn Hisâm comme exemple type « de coordination ne marquant pas une succession réelle mais simplement l'évocation successive d'une même chose de manière globale puis de manière plus explicite ».

      Il ne semble pas que la langue ou le contexte puissent fournir un argument décisif en faveur de l'une ou l'autre de ces deux compréhensions. On s'en est donc remis au fait que le Tafsïr al Imâm al-'Askarï donne expressément ÇáÌäÉ)) comme antécédent de (ÚäåÇ) (cf. Burhân, n° 1).

    Pour ãÊÇÚ Åáی Íیä)), voir 7.24, 21.111 (et aussi 10.98, 16.80, 36.44, 37.148, 51.43). La qualification de la vie de ce monde comme une jouissance éphémère ãÊÇÚ Þáیá)) et trompeuse ãÊÇÚ ÇáÛÑæÑ)) est par ailleurs un thème récurrent du Coran. Voir en particulier 2.126, 3. 185, 197, 4.77, 9.38, 13.26, 31.24, 33.16, 39.8, 40. 39, 43.35, 57.20, 77.46.

   Ibn HiSâm donne (ÝÊÇÈ Úáیå) comme exemple de ÝÇÁ de coordination avec
idée de causalité (ÚÇØÝÉ ÊÝیÏ ÇáÓÈÈøیÉ). Comme le signalent alors bien des
commentateurs, il faut donc   sous-entendre, entre les deux premières
propositions de ce verset, quelque chose comme « Adam implora Dieu par
ces paroles ».

    Comme le signale le Lisân al-'arab, le verbe ÊÇ È évoque fondamentalement l'idée de « retourner » ou « revenir ». Cependant, afin d'éviter de dire que Dieu « retourne » ou « revient » vers Son serviteur (ce qui laisserait entendre qu'il en fut éloigné), on a préféré rendre ÊÇÈ par « se tourner », gardant « revenir » et « retour » pour traduire ÃäÇ È et ÅäÇÈÉ, qui ne s'emploient que pour parler du retour de l'homme vers Dieu. On peut d'ailleurs remarquer que, pour distinguer les sens de ÊÇÈ et de ÃäÇÈ, Abu Hilâl al-'Askari signale que ÊÇ È évoque « le repentir par rapport aux fautes passées » (autrement dit une attitude qui consiste à « se détourner » de ses fautes et à « se tourner » vers Dieu) tandis que à äÇ  È évoque le fait de « s'abstenir des fautes dans l'avenir » (et donc d'avancer dans la voie du « retour » vers Dieu).

   Ainsi, puisque ÊÇÈ évoque l'idée de « se repentir de ses fautes », ÊæÈÉ sera traduit par « repentir », ÊÇÈ par « se repentir » ou « montrer du repentir », et ÊÇÈ Åáی par « revenir vers/à (Dieu) repentant » ou « avec repentir ».

     Lorsqu'il est question de Dieu, par contre, ÊÇÈ signifie qu'il « Se tourne vers l'homme avec clémence», la clémence étant, d'après Le Robert, la « vertu qui consiste, de la part de celui qui dispose d'une autorité, à pardonner les offenses et à adoucir les châtiments ». Cette clémence peut alors intervenir, soit pour adoucir certaines prescriptions trop lourdes (comme aux versets 2.187 (Úáã Çááå Ãäø˜ã ˜äÊã ÊÎÊÇäæä ÃäÝÓ˜ã ÝÊÇÈ Úáی˜ã) et 73.20 (Úáã Ãä áä ÊÍÕæå ÝÊÇÈ Úáی˜ã) ; soit pour amener l'homme au repentir (comme en 9.118 Ëã ÊÇÈ Úáیåã áیÊæÈæÇ))), soit enfin, le plus souvent, pour agréer le repentir de l'homme.

  On traduira alors ÊæÈÉ par « clémence » ÊÇÈ Úáی par « se tourner vers (l'homme) avec clémence», «se montrer clément envers (lui) » ou « faire preuve de clémence envers (lui) ».

Enfin, ÇáÊæøÇÈ sera le «Très Clément» lorsqu'il désigne le Seigneur et « celui qui se repent beaucoup » lorsqu'il s'applique aux serviteurs.

A propos de (ÝáÇ ÎæÝ Úáیåã æáÇ åã یÍÒäæä), voir en plus 2.62, 112,262, 274, 277, 3.170, 5.69, 6.48, 7.35, 49,10.62, 43.68, 46.13 (et aussi 39.61 et 41.30).

Pour (ÇИÑæÇ äÚãÊí ÇáÊí ÃäÚãÊ Úáی˜ã), voir 2.47, 122 (et aussi 5.20, 14.6) -Sur la notion de æÝÇÁ ÈÇáÚåæÏ, voir 2.177, 3.76, 5.1, 6.152,13.20, 16.91, 17.34, 23.8, 33.15, 48.10, 70.32, 76.7 (ainsi que la contrepartie négative : 2.27, 4.155, 5.13, 13.25) - Pour (ÝÅیøÇí ÝÇÑåÈæä), voir 16.51.

 Pour ãÕÏøÞÇ áãÇ ãÚ˜ã)), voir 2.89, 91, 101, 3.81, 4.47 ; voir aussi (ãÕÏøÞÇ áãÇ Èیä یÏیå) et d'autres tournures approchantes en 2.97, 3.3, 5.48, 6.92, 10.37, 12.111, 35.31, 46.30 (même formulation en rapport avec la mission de Jésus : 3.50, 5.46, 61.6) - Pourvu æáÇ ÊÔÊÑæÇ ÈÂیÇÊí ËãäÇð ÞáیáÇð)), voir 2.79, 174, 3.77, 187, 199, 5.44, 9.9 (et aussi 5.106,16.95).

ÕÏøÞ    est généralement traduit par « confirmer », qui correspond effective­ment à l'idée évoquée par le verbe arabe. Cependant, on est alors en droit de s'étonner que le Coran et, dans d'autres versets, le Prophète nous soient présentés comme venant « confirmer » les Ecritures qui les ont précédés : comment pourraient-ils en même temps « authentifier » ces Ecritures et par ailleurs proclamer de la manière la plus explicite et la plus catégorique qu'elles ont été volontairement altérées (voir 2.75, 79, 174, 4.46, 5.13, 41, 6.91). Cela aurait bien pu se concevoir s'il avait été question des Ecritures originelles, mais les expressions

áãÇ ãÚ˜ã)) et (áãÇ Èیä یÏیå), qui accompagnent toutes les occurrences de ãÕÏøÞÇ)) et autres expressions apparentées, évoquent clairement les Ecritures telles qu'elles étaient à l'époque de la révélation du Coran (voir en particulier le verset 5.48 ((æÃäÒáäÇ Åáی˜ Çá˜ÊÇÈ ÈÇáÍÞ ãÕÏøÞÇ áãÇ Èیä یÏیå ãä Çá˜ÊÇÈ) .

Le sens qu'il faut retenir pour ÕÏøÞ dans ce contexte ne semble donc pas être celui   de « confirmer », mais plutôt celui de « vérifier », dans le sens de  « constituer le signe de la vérité de quelque chose » (Le Robert), les deux sens étant d'ailleurs tout à fait apparentés. En effet, le Coran et le Prophète « vérifient » ce qui se trouve dans les Ecritures Saintes des gens du Livre parce qu'ils viennent « concrétiser » dans la réalité les prédictions qui s'y trouvent et qu'ils « répondent » et « correspondent » aux « signes » donnés par Dieu pour permettre de les reconnaître et de les authentifier. Le Coran et le Prophète sont ainsi le « réfèrent », le ãÕÏÇÞ des prophéties contenues dans les Ecritures précédentes (cf. Lisân al- 'arab : åÐÇ ãÕÏÇÞ åÐÇ Ãí ãÇ یÕÏøÞå). C'est en ce même sens que Bossuet dit que les « promesses [des prophètes] se sont vérifiées dans les temps de Notre Seigneur [Jésus-Christ] » (Le Littré), le Christ étant le ãÕÏÇÞ « vérifiant » ces prophéties parce qu'il « répond à » ce qu'elles annoncent. Il est intéressant de remarquer à ce propos que, dans un même verset (5.46), le Coran présente simultanément Jésus fils de Marie comme « répondant à » ce qui fut annoncé et comme annonçant la bonne nouvelle du Prophète à venir :

(æÅÐÇ ÞÇá ÚیÓی ÇÈä ãÑیã یÇ Èäí ÅÓÑÇÆیá Åäøí ÑÓæá Çááå Åáی˜ã ãÕÏøÞÇ áãÇ Èیä یÏí ãä ÇáÊæÑÇÉ æãÈÔøÑÇ ÈÑÓæá یÃÊí ãä ÈÚÏí ÇÓãå ÃÍãÏ)

     Certains commentateurs, en particulier l'auteur du Magma ' al-bayân, ont fort bien distingué ces deux sens apparentés du verbe ÕÏøÞ et considéré que l'idée de «vérifier» les prophéties précédentes devait être préférée, puisqu'elle constituait un argument définitif à rencontre des gens du Livre. Par ailleurs, on peut remarquer que l'emploi du verbe « vérifier » a aussi pour conséquence que tout ce qui, dans les Ecritures Saintes, est en accord avec le  Coran est par là même « vérifié » et « authentifié » par cette ultime Révélation divine. Le verbe ÔóÑی et sa forme réfléchie ÇÔÊÑی désignent en principe deux opérations commerciales réciproques :

ÔÑی          signifie « donner  quelque chose en échange d'autre chose », la
chose donnée étant un complément direct, tandis que la chose   prise est
introduite par la préposition Èò ;

ÇÔÊÑی         signifie au contraire « prendre quelque chose en échange d'autre
chose», et c'est la chose  prise qui est ici complément direct, tandis que la
chose donnée est introduite par È .

    Lorsque les deux choses échangées sont deux « marchandises » (cf. 2.16, 86, 175, 3.177, 4.74), les deux verbes seront traduits par «troquer», à charge de bien faire attention qu'en français on « troque ce que l'on donne contre ce que l'on prend » et qu'il faut donc, avec le verbe ÇÔÊÑی, faire une inversion des compléments.

    Lorsque l'une des choses échangées est un « prix », il ne s'agit plus de troc, mais de vente et d'achat. Normalement, ÔÑی signifiera donc « vendre » (2.102, 207, 12.20) et ÇÔÊÑی « acheter » (cf. 2.90, 4.44, 102, 9.111,12.21, 31.6), le prix étant dans ces deux cas le complément introduit par Èò : on aura ainsi les deux expressions « vendre à/pour tel prix » et « acheter à/pour tel prix ».

    Seulement voilà : il arrive fréquemment, avec ÇÔÊÑی, que ce soit le prix qui apparaisse comme complément direct (cf. 2.41, 79, 174, 3.77, 187, 199, 5.44, 106, 9.9, 16.95). Littéralement, il s'agit donc de « prendre tel prix en échange de telle chose » : il ne s'agit donc plus d'un achat, mais d'une vente. Toutefois, la phrase áÇ ÊÔÊÑæÇ ÈÂیÇÊí ËãäÇ ÞáیáÇ)) n'apparaît pas comme un simple équivalent inversé de áÇ ÊÔÑæÇ ÂیÇÊí ÈËãä Þáیá, et c'est pourquoi, plutôt que de rendre ces deux tours par une même expression, on a préféré user dans ce cas de la tournure « tirer de quelque chose tel prix », qui offre le double avantage d'épouser la structure de l'expression arabe et de bien en rendre l'idée.

L’expression (æʘÊãæÇ ÇáÍÞ) peut être entendue comme un complément
introduit par un æÇ æ Ç áãÚیÉ et signifiant « en celant la vérité ». Il est cependant
plus probable qu'il s'agisse d'une seconde interdiction ordonnée (…áÇÊáÈÓæÇ) : l'expression équivaut ainsi à æáÇ Ê˜ÊãæÇ et signifie « ni ne celez la vérité »   (cf. Kassâf, Magma' al-bayân,...). Une construction identique se retrouve aux versets 2.188 et 47.35.

    De la racine Ú Þ á, seule la forme verbale ÚóÞóáó est employée dans le Coran,
avec deux sens différents : celui de « comprendre » (comme aux versets 2.75 (ãä ÈÚÏ ãÇ ÚÞáæå) et 29.43 (ãÇ یÚÞáåÇ ÅáÇ ÇáÚÇáãæä)) et celui d'« user de son intelligence » (comme ici ou en 67.10 (áæ ˜äÇ äÓãÚ Ãæ äÚÞá)), sens que l'on
rendra par « raisonner », gardant « réfléchir » pour traduire Ý˜Ñ et ÊݘÑ.

    On traduit souvent ÇáÈÑø par «la piété», et il est vrai que cette idée est comprise dans le sens du mot arabe, comme il est vrai aussi que les notions de « piété filiale » et de ÈÑÇáæÇáÏیä se correspondent tout à fait. Il y a cependant des différences sémantiques importantes entre la « piété » et ÇáÈÑø.

   Ainsi, la « piété » est définie comme « fervent attachement au service de Dieu, aux devoirs et aux pratiques de la religion » (Le Robert) ou comme « amour et respect pour les choses de la religion » (Le Littré), tandis que ÇáÈÑø est tout simplement défini comme « sincérité et obéissance » (ÇáÕÏÞ æÇáØÇÚÉ; Lisân al- 'arab) ou plus largement comme « faire abondamment le bien »

 (ÇáÊæÓÚ Ýí ÝÚá ÇáÎیÑ ; Mufradât Râgib). Ce sens large est d'ailleurs celui qui mérite le plus d'être retenu : c'est en effet le seul qui permette d'appliquer ce mot (comme c'est le cas au verset 2.189) à des choses aussi diverses que la foi, la pratique des œuvres religieuses, la générosité, le fait de tenir ses engagements et l'endurance dans les épreuves et au combat. Il est clair que certaines de ces qualités ne relèvent pas de la « piété », mais plutôt de ce que l'on pourrait appeler le « bien faire ».   Il n'est pas inutile à ce propos de remarquer que, si d'une manière générale « bien faire » signifie « se comporter comme il est bien de le faire », Le Littré signale aussi pour cette expression les sens de « faire du bien » (« La miséricorde divine ne cesse jamais de bien faire aux hommes ») et même de « se comporter bien dans un combat » (« Voilà notre avant-garde à bien faire animée »). On propose donc de rendre ÇáÈÑø par «bien faire» (voire «le bien faire » s'il est besoin de recourir à un substantif, quoiqu'il serait sans doute plus clair, et donc préférable, de parler alors de « pratique du bien »).

     ((æÇÓÊÚیäæÇ ÈÇáÕÈÑ æÇáÕáÇÉ peut aussi bien signifier « recherchez l'aide [de Dieu] par la patience et la Prière » ou « recherchez l'aide de la patience et de la Prière ».  Pour permettre ces deux compréhensions, on a pensé à traduire par « rechercher l'aide dans la patience et la Prière », qui évoque aussi bien l'aide qu'apportent par elles-mêmes la patience et la Prière et l'aide divine que l'on peut espérer obtenir par leur biais.

     Le mot ˜ÈیÑÉ est un équivalent de ÚÙیãÉ (Burhân, n° 1 ; Magma ' al-bayân) ou de ËÞیáÉ ÔÇÞøÉ (Kassâf). L'expression ˜ÈÑ Úáی, qui en est l'origine, se retrouve en 42.13 (˜ÈÑ Úáی ÇáãÔјیä ãÇ ÊÏÚæåã Åáیå). Il est donc question ici d'une « chose pénible » et d'une « grande charge » (on avait d'abord pensé à « grande affaire », mais on courait le danger que l'on comprenne cette expression dans le sens de « chose importante » au lieu de « chose pénible »).

         Pour ÇáÐیä یÙäøæä Ãäøåã ãáÇÞæÇ ÑÈøåã)), voir 2.249 ; sur le thème de la rencontre de Dieu (áÞÇÁ Çááå), voir 2.223, 6.31, 154, 9.77, 10.7, 11, 15, 45,11.29, 13.2, 18.105, 110, 23.33, 25.21, 29.5, 23, 30.8, 32.10, 23, 33.44, 41.54, 84.6.

      Certains commentateurs ont pensé qu'il fallait ici entendre le verbe Ùäø dans le sens de Úóáòãó, voire de ÃیÞä. Pourtant, il n'y a pas à s'écarter de la valeur normale d'un terme tant que rien ne l'impose. Deux questions se posent alors : d'abord, quel est le sens propre de Ùäø et y a-t-il alors des éléments que imposent de renoncer à ce sens propre ?

         Pour ce qui est du sens propre de Ùäø, les dictionnaires arabes ne nous sont pas d'une grande aide, puisqu'ils se contentent généralement de nous dire que ce mot est susceptible d'évoquer le doute aussi bien que la certitude

(ÇáÙäø Ô˜ æیÞیä). Heureusement, Ibn 'Arabi nous donne, dans son commentaire de ce verset, la clé de cette ambivalence : savoir, dit-il, c'est être sûr d'une chose ; douter, c'est hésiter entre deux choses, sans que l'une apparaisse plus probable que l'autre ; quant au Ùäø, c'est présumer de l'une des deux choses sans qu'il y ait certitude110. On peut ainsi comprendre que, lorsque la présomption est forte, le Ùäø puisse se rapprocher de la certitude au point d'en prendre quasiment la place et qu'au contraire, lorsque la probabilité est faible, le Ùäø reste si proche du doute que les deux se confondent. Cette position correspond assez bien à celle du verbe « penser » en français et la définition qui vient d'être donnée pour Ùäø pourrait aisément servir à définir « penser ». Mieux encore, il suffit de parcourir les divers sens de « penser » donnés dans Le Robert pour se rendre compte qu'on y retrouve pratiquement la même variation entre le doute et la certitude que dans les diverses occurrences de Ùäø. C'est donc en principe par « penser » qu'il faut traduire Ùäø, quitte à moduler le sens par des adverbes (« penser bien que... », etc.) chaque fois que cela s'impose.

     Maintenant, y a-t-il dans le cas du présent verset des éléments qui conduiraient à renoncer au sens propre de Ùäø et à traduire ici ce verbe par « savoir » ou « être sûr » ? Si certains commentateurs l'ont pensé, l'idée ne fait pas pour autant l'unanimité. Ainsi, ZamahSarï commente ici Ùäø en disant qu'ils «s'attendent» (یÊæÞÚæä) à cette rencontre et «y aspirent» (یØãÚæä Ýیå). Ibn 'Arabi pense également que Ùäø est employé ici dans son sens propre (ÇáÙäø åäÇ Úáی ÈÇ È car si les fidèles sont bien « sûrs » que tous les humains, croyants ou mécréants, seront ramenés vers Dieu au Jour de la résurrection, cela ne signifie pas pour autant que tous rencontreront Dieu : le verset 83.15, par exemple, énonce clairement que certains seront privés (ãÍÌæÈæä) de cette rencontre. La rencontre de Dieu n'est donc pour les fidèles qu'un espoir dont ils « pensent bien » qu'il se réalisera par la grâce de Dieu.

     Ces précisions apportées par Ibn 'Arabi nous permettent de mieux comprendre ce qui a pu conduire certains commentateurs à considérer que Ùäø signifiait ici « savoir » et « être sûr », mais elles nous donnent aussi de bonnes raisons de ne pas leur emboîter le pas. En fait, il semble bien que ces commentateurs ont considéré que la « rencontre de Dieu » (áÞÇÁ) et le « retour vers Dieu » (ÑÌæÚ) n'étaient qu'une seule et même chose et avaient partout dans le Coran une signification unique, à savoir que les humains se retrouveront tous rassemblés devant Dieu pour le Jugement dernier. Ils en ont donc conclu que le verbe Ùäø devait avoir ici une valeur de totale certitude, puisque ce rassemblement final est une chose inévitable. Or, on peut fort bien conserver à ce verbe son sens propre si l'on comprend que ce sont au contraire la « rencontre de Dieu » et le « retour vers Dieu » qui doit être entendus différemment suivant que la tournure employée exprime la certitude ou l'espoir. Si la tournure exprime la certitude, il sera simplement question du fait de se retrouver devant Dieu lors du Jugement dernier, car ce « retour » et cette « rencontre » sont inéluctables pour tous, fidèles comme mécréants. Si par contre la tournure marque seulement l'espoir, la « rencontre » évoquera cette proximité avec Dieu que nul ne peut être certain d'atteindre et le «retour vers Dieu » sera alors proprement le retour vers Ses marques d'honneur et vers Ses paradis. Conserver à Ùäø son sens propre est alors non seulement possible, mais apparaît bien plus en accord avec les enseignements du Coran et de la Sunna ainsi qu'avec les conclusions d'une saine intelligence, comme le montre bien ce commentaire du Tafsïr al Imâm al- 'Askarï (cf. Burhân, v.l p.208) :

           II a ensuite décrit les humbles en disant « ceux qui pensent qu'ils vont rencontrer leur Seigneur... » [C’est-à-dire] ceux qui estiment (یÞÏøÑæä) qu'ils auront avec leur Seigneur cette rencontre qui est la plus grande de Ses marques d'honneur envers Ses serviteurs. Il a dit qu'ils « pensent » tout simplement parce qu'ils ne savent pas comment finira leur vie, car les fins dernières sont cachées, «  ...et que c'est [bien] vers Lui qu'ils s'en vont retourner » [c'est-à-dire] vers Ses marques d'honneur et la félicité de Ses paradis, en raison de leur foi et de leur humilité. Ils ne savent pas cela en toute certitude, parce qu'ils ne sont pas assurés de ne pas changer. Le Messager de Dieu, Dieu le bénisse lui et les siens et leur donne la Paix, a dit : « Le fidèle ne cesse de craindre de mauvaises fins dernières, sans être sûr de parvenir à la satisfaction de Dieu, jusqu'au moment où il doit rendre l'âme et que l'ange de la mort lui apparaît. »