Sourate al- Baqara et al Fatiha

Etudes et concordances

Sourate dite al-Fatiha

La formule inaugurale بسم الله الرحمن الرحیم , appelée basmala, se retrouve en tête de toutes les sourates du Coran, à l'exception de la sourate 9 (dite at- Tawba, « le repentir »). On la retrouve aussi au verset 27.30 et, sous la forme abrégée بسم الله , au verset 11.41. Parmi les Imams des écoles sunnites, Mâlik considère que la basmala n'appartient pas au texte du Coran (à l'exception de son occurrence au verset 27.30), Abu Hanïfa et Ibn Hanbal pensent qu'elle fait partie de la seule Fâtifta, tandis que pour Sâfi'ï, elle fait partie de toutes les sourates du Coran qu'elle inaugure1. Dans son tafsïr, Ibn Katir conforte cette dernière position d'un bon nombre d'autorités parmi les compagnons du Prophète et les grands savants des premiers temps de l'Islam et l'enseignement des Gens de la Demeure prophétique va aussi unanimement en ce sens.

       Le fait que la basmala fait partie de toutes les sourates qu'elle inaugure (Suite) se trouve ainsi conforte a la fois par de nombreuses et importantes autorités sunnites et par les Imams de la famille du Prophète, Dieu le bénisse lui et les siens, et elle a donc été retenue pour la numérotation des versets. Cela n'entraîne pourtant aucun changement dans l'ordre habituel de numérotation des versets coraniques : la basmala est tout simplement intégrée au verset numéro il} de chaque sourate qu'elle inaugure. . Les commentateurs du Coran sont unanimes à dire que le ب ِ de la basmala a valeur de complément de moyen ( استعانة ) régi soit par un verbe sous-entendu tel que استعین («je recherche l'aide ») ou أبدأ («je commence »), soit par un verbe correspondant à l'acte envisagé (ici, أقرأ , «je récite », ou أحمد , «je fais l'éloge »). Il s'agit donc de trouver aide et assistance, de commencer ou de faire tel acte « par le nom de Dieu », « grâce au nom de Dieu » ou « avec l'aide du nom de Dieu». Or, rien de tel ne se trouve exprimé par la traduction habituelle de بسم الله par « au nom de Dieu ».

En effet, la /tournure française « au nom de » a deux significations principales (cf. Le Littré, Le Robert). La première est celle que l'on trouve   dans des expressions telles que «au nom du roi» et qui signifie «par    délégation », « en lieu  et place » ou « de la part ». La seconde signification se trouve dans des tournures telles que « au nom de la loi », « au nom de notre   amitié » ou « au nom du ciel » et elle est synonyme de « en considéra­ tion de », « en vertu de » ou « par égard pour »6.

      Non seulement la valeur de استعانة de la basmala ne se retrouve dans aucune des valeurs de la tournure française « au nom de », mais on peut dire qu'aucun musulman, lettré ou ignorant, ne trouverait dans ces valeurs quelque chose qui se rapproche, fût-ce de loin, du sens de la formule qu'il emploie. D'où un immense quiproquo : le public français, entendant la formule « au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux et Très Miséricordieux », pense spontanément que la personne entend parler ou agir « de la part de Dieu » ou « en Son nom », tandis que le musulman qui emploie cette formule n'entend ni l'une ni l'autre chose, mais tout simplement bénir son action et la placer sous le meilleur auspice en l'entreprenant « grâce au nom de Dieu », « par le nom de Dieu » et « avec l'aide du nom de Dieu ».

     A défaut d'une analyse plus poussée, le sens « de la part de Dieu » pourrait en toute hypothèse être envisagé à propos des basmala-s qui inaugurent les sourates du Coran, en ce sens qu'elles sont bien un message venu « de la part de Dieu ». Mais une telle valeur n'aurait plus aucun sens pour une tournure telle que ( بسم الله مجراها ومرساها ) (11.41). Ce n'est en effet pas « de la part de Dieu » ni « en Son nom » que l'arche de Noé « voguera et jettera l'ancre », mais bien « grâce à Dieu » et « avec l'aide de Dieu ».

Plus encore, la formule rituelle بسم الله وبالله (que l'on rapprochera de la formule بحول الله وقوته ) est particulièrement explicite à ce propos. En effet, on ne   peut même plus conserver ici la traduction « au nom de » pour rendre les   trois  ب ِ , qui ont pourtant bien tous une même et unique valeur. On est alors bien obligé, si l'on tient à unifier la traduction, de recourir à des expressions telles que « par », « grâce à » ou « avec l'aide de » : « par le nom de Dieu et par Dieu » ; « grâce au nom de Dieu et grâce à Dieu » ; « avec l'aide du nom de Dieu et avec l'aide de Dieu ».

   On voit que plus on approfondit l'analyse du sens de la basmala, plus on est amené à renoncer à sa traduction habituelle et consacrée « au nom de Dieu ». Il semble d'ailleurs que cette traduction ne soit qu'une simple trans­ position, opérée par les premiers traducteurs européens du Coran, de la formule chrétienne « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », ce qui vient encore ajouter à ce que l'on vient de dire sur le sens de la tournure « au nom de ». En effet, sans présumer de l'origine de la formule chrétienne ni de la forme et du sens qu'elle a pu avoir tout d'abord, il est clair qu'elle évoque maintenant, et depuis longtemps déjà, l'idée de s'exprimer ou d'agir « de la part » de Dieu et, plus précisément, « par délégation » des trois hypostases de la Trinité. L'idée que le prêtre ou l'Eglise dans son ensemble agissent en tant que « vicaires du Christ » est fondamentale dans le christianisme et de ce fait, pour le chrétien, le prêtre et l'Eglise agissent bien « par délégation de Dieu » : c'est « de Sa part » et « en Son nom » qu'ils baptisent, marient et absolvent, voire qu'ils déclarent la guerre ou font la paix.

     Une telle notion est inexistante en islam. Aucun musulman ne peut baptiser, marier ou absoudre quelqu'un « par délégation de Dieu », pas plus qu'il ne peut faire la guerre ou la paix ou quoi que ce soit d'autre « de la part de Dieu ». C'est d'ailleurs bien parce que cette idée est totalement étrangère à la pensée du musulman (catégorie de « l'impensable ») qu'aucun commen­ tateur du Coran n'a jamais envisagé que la basmala aurait pu signifier que l'on dit ou fait telle chose, fût-ce la récitation de la Parole divine, « par délégation de Dieu » ou « de la part de Dieu ».

      Allons plus loin : non seulement on voit que les deux formules bismil- Lâh et « au nom de Dieu » n'ont rien à voir l'une avec l'autre, mais on peut même dire qu'elles sont carrément opposées dans leur signification profonde. En effet, en disant « au nom de Dieu », on laisse entendre que l'on parle ou agit « de la part de Dieu » : ce faisant, on fait tout d'abord preuve d'une prétention inouïe et, en même temps, on se décharge de la responsabilité de notre acte pour la mettre sur le compte de Dieu, car si mon acte est « de  la part de Dieu », c'est bien Lui et non pas moi qui en porte la (responsabilité .

    Par contre, en disant bismil-Lâh, on affirme d'emblée notre faiblesse et notre petitesse : on affirme que l'on ne peut agir qu'« avec l'aide » de Dieu, « grâce à » Lui et « grâce aux » facultés et moyens qu'il nous a confiés. Ce faisant, non seulement on ne rejette pas la responsabilité de notre acte, mais on en souligne au contraire toute la gravité, puisque l'on reconnaît que nous n'agissons que « grâce à » des moyens qui nous sont confiés par Dieu et pour lesquels il nous faut donc bien rendre compte de l'emploi qu'on en fait.

    D'un côté, donc, en disant « au nom de Dieu », on se décharge sur Dieu de ses responsabilités tout en prétendant être son représentant. De l'autre, en disant bismil-Lâh, on accentue ses responsabilités tout en affirmant sa faiblesse et sa dépendance.

      Maintenant, quelle formule retenir pour traduire la basmala ? M. Hamidullah, qui avait déjà été tenté d'employer « par le nom de Dieu », y avait finalement renoncé en raison du fait qu'il y aurait ambiguïté avec une formule de serment («jurer par le nom de Dieu»). On pourrait faire remarquer qu'il n'y a pas à s'arrêter à cette ambiguïté, pour la bonne et simple raison qu'elle existe déjà dans le texte arabe même, puisque ب ِ est une des particules servant à exprimer le serment et qu'elle est, de plus, fréquemment employée en ce sens dans le Coran (cf. 5.53, 107, 9.42, 56, 62, 74,95, 16.38, 24.53, 27.49, 35.42). Cependant, il est clair que c'est spontanément vers une formule de serment que se portera l'esprit du lecteur francophone et il est donc préférable d'éviter autant que possible une telle confusion. On a donc préféré retenir l'expression « grâce à »10, qui exprime on ne peut mieux l'idée de استعانة tout en étant plus légère que les cinq syllabes de la tournure « avec l'aide de ».

       Peut-on traduire الله ou vaut-il mieux transcrire ce nom divin ? La question met en jeu de multiples dimensions, non seulement linguistiques, mais aussi anthropologiques (histoire des représentations), philosophiques, théologi­ ques, etc., et l'on ne peut certes pas espérer mettre ici fin au débat.

3 II est assez évident que la conception ou la représentation que l'on peut   se faire de l'idée de « Dieu » n'est pas identique partout et toujours, fut-ce au sein d'une même religion monothéiste, voire d'une seule de ses branches ou écoles, et à plus forte raison dans deux religions différentes. Cependant, il a paru essentiel d'éviter que le lecteur ne perçoive « Allah » comme étant « le dieu des musulmans » au lieu de « Dieu vu par les musulmans ». Or, une telle confusion est inévitable si l'on emploie la transcription du nom Allah. Par ailleurs, il y a tout de même suffisamment de points communs entre ce que signifie الله en arabe et ce que signifie « Dieu » en français pour que l'on puisse sans trahir rendre الل par « Dieu »".

     On voudrait citer à ce sujet deux propos d'un des Imams de la famille du Prophète, l'Imam Ja'far Sâdiq, qui laissent clairement entendre qu'il ne faut pas s'arrêter au signifiant الله et aux lettres qui composent ce nom et que l'important est au contraire d'en saisir le signifié et l'idée, dont on pourra constater qu'ils correspondent bien, pour l'essentiel, au signifié et à l'idée du mot « Dieu » en français. Dans le premier de ces propos, l'Imam Sâdiq répond à quelqu'un qui lui avait demandé ce qu'est Allah : « 11 est le Seigneur et l'Adoré. Il est Allah, et quand je dis Allah, ce n'est pas pour établir les lettres "a, l, l, h", mais je réfère à une idée qui est : "une réalité créatrice et artisan des choses", [idée] à laquelle s'appliquent ces lettres. C'est l'idée qui est nommée "Dieu", "le Tout Miséricordieux", "le Très Miséricordieux", "le Tout-puissant" et autres noms semblables : c'est l'Adoré, tout-puissant et majestueux. »

       Dans le second propos, l'Imam Sâdiq s'adresse à son disciple Hisâm Ibn al-Hakam :

        « Le nom est autre chose que le nommé : celui qui adore le nom au lieu de l'idée est mécréant et n'adore rien du tout ; celui qui adore le nom en même temps que  l'idée est polythéiste et adore deux choses ; quand à celui qui adore l'idée, pas le nom, voilà le monothéisme. [...] Dieu, tout-puissant et majestueux, a quatre-vingt-dix-neuf noms : si le nom était le nommé, chacun de ces noms serait une divinité. Non ! Dieu, tout-puissant et majestueux, est une idée que l'on désigne par ces noms et tous sont autres que Lui. HiSâm, "pain" est un nom pour quelque chose qui se mange, "eau" est un nom pour quelque chose qui se boit, "habit" est un nom pour quelque chose que l'on revêt et "feu" est un nom pour quelque  chose qui brûle A propos de ( الرحمن الرحیم ) : 'I vaut mieux, chaque fois que c'est possible, traduire deux dérivés d'une même racine arabe par deux mots construits autour d'un même radical. Telle était déjà l'idée de M. Hamidullah, qui les traduisit respectivement par « le Très Miséricordieux » et « le Tout Miséri­cordieux ». Il semble bon de conserver ces traductions, avec deux modifica­ tions cependant :

       La première est qu'il vaut mieux unir les deux composantes de ces
noms par un trait d'union, comme on le fait pour « le Tout-puissant ». Cela
permettra en outrée de laisser entendre qu'il n'y a pas dans l'original arabe
d'adverbe d'intensité (quelque chose comme الرحیم جدا ) et que chaque
expression traduit en fait un seul mot.

La seconde est qu'il  paraît préférable d'attribuer la simple intensité à
( الرحیم   et la « totalité englobante » à الرحمن, et cela pour deux raisons :

D’une part, parce que la forme  فعلان a une valeur intensive plus forte
que la forme فعیل ;

D’autre part, parce que de nombreux hadiths et propos des Imams
donnent à la miséricorde de الرحمن une « extension » plus vaste qu'à celle de الرحیم   '7 : il en ressort que la   miséricorde de الرحمن touche uniformément toutes les créatures (ce qui est à mettre en rapport avec la notion de استواء ,            liée au Nom الرحمن dans les versets 20.5 et 25.59), tandis que la miséricorde de الرحیم concerne plus spécifiquement les fidèles.

   Reste à voir si la notion de « miséricorde » est adaptée pour rendre ces mots. Cette idée, à propos de laquelle Le Robert parle de « sensibilité à la misère, au malheur d'autrui » et, plus spécialement, de « pitié par laquelle on pardonne au coupable », peut effectivement gêner en raison de sa forte charge sentimentale. Le propos suivant, qui est encore de l'Imam Sàdiq, aborde cette question à la fois en affirmant que la رحمة correspond bien à l'idée de « miséricorde »  et de « pitié » ( شفقة ) et en montrant comment il est possible d'employer cette notion à propos de Dieu sans que cela implique l'introduction d'une sentimentalité en Dieu :

    « La miséricorde (rahma), c'est ce qui suscite en nous de la pitié et c'est ce qui fait que l'on se montre généreux, et la miséricorde de Dieu, c'est Sa récompense pour Ses créatures. Il faut distinguer deux choses dans la miséricorde des créatures: l'une fait naître dans le cœur [un sentiment de] compassion pour la peine, le besoin et les malheurs que l'on constate en celui envers qui l'on éprouve de la miséricorde ; l'autre est l'acte qui provient de nous après que l'on se soit attendri et apitoyé sur celui pour qui l'on éprouve de la miséricorde et après avoir eu connaissance de ce qui lui arrive. Or, on peut dire : "Regarde la miséricorde d'Untel" en visant exclusi­ vement l'acte né de l'attendrissement du cœur d'Untel. Et bien, en tout cela, l'acte que l'on rapporte à Dieu, tout-puissant et majestueux, c'est uniquement [un acte semblable à] ce qui provient de nous ; quant au sentiment qui agite le cœur, il doit être nié en ce qui concerne Dieu, ainsi qu'il l'a dit de Lui-même : II est donc miséricordieux, mais pas d'une miséricorde qui naîtrait de l'attendrissement. »

   La  structure de la basmala peut être analysée de diverses manières. Tout d'abord, l'ensemble ( الحمن الرحیم ) peut être considéré comme formé de   deux noms indépendants ou au contraire d'un nom et de son épithète (« le Tout Miséricordieux très miséricordieux »). Les hadiths cités dans la précédente remarque, dans lesquels ces deux termes sont commentés comme évoquant deux attributs bien distincts, de même que les nombreux versets où deux attributs sont évoqués sans que le second puisse être considéré comme l'épithète du premier suffisent à conforter l'idée qu'il s'agit bien là de deux noms indépendants. Mais quelle est alors leur fonction ?

    Bien des commentateurs y voient des qualificatifs de الله) ), le sens de la basmala étant alors : « Grâce au Nom de Dieu tout miséricordieux et très miséricordieux ». Pourtant, en dehors du verset 1.3, tous les emplois coraniques de ( ال رحمن ) sont nominaux et non adjectivaux ( الوصفیة علی العلمیة لا ),

La valeur nominale devrait donc ici aussi avoir la priorité, puisqu'elle est possible. D'autant plus que, au verset 1.3, ( الرحمن الرحیم ) sont unanimement considérés comme qualifiant ( الله ) :

Si l'on retenait également cette fonction dans la basmala, on aurait à faire face au problème de la répétition d'une même expression dans le même sens à deux versets d'intervalle, ce qui est généralement considéré comme contraire à l'éloquence, à moins qu'il ne s'y trouve quelque utilité, ce qui resterait à établir pour le cas présent.

    De quelle manière ( الرحمن الرحیم ) peuvent-ils alors être envisagés avec une valeur nominale dans la basmala ? Une première possibilité serait de les considérer comme deux appositions ( بدل ) de ( الله ), mais, outre le fait que cette éventualité ne résoudrait pas le problème de la répétition, elle se heurte au fait qu'une apposition réelle ( بدل کل من کل ) doit en principe expliciter le mot auquel elle est apposée ( مبدل عنه ) : or, il n'est pas pour Dieu de désignation plus explicite que ( الله ) et il n'y a donc aucune raison d'y adjoindre une apposition.

  Il n'y a par contre plus aucune difficulté si, au lieu de considérer les noms ( الرحمن الرحیم ) comme apposés à ( الله ) en tant que بدل on les consi­ dère comme apposés à ( الله اسم ) en tant que عطف البیان venant expliciter par quel Nom divin se fait l'acte de chercher l'aide, de commencer, de réciter ou de louer: puisqu'il est question d'invoquer le Nom de Dieu, il est précisé que le Nom invoqué est ( الرحمن الرحیم ) , « le Tout Miséricordieux et Très- Miséricordieux» (l'unité formée par ces deux Noms étant exprimée en   français par la suppression du second article, ce qui sera généralement le cas chaque fois que deux Noms divins seront ainsi juxtaposés).

    Il   n'y a plus alors de répétition dans les deux occurrences rapprochées de   ( الرحمن الرحیم ) : il s'agit dans la basmala d'une explicitation ( عطف البیان ) de «  الل   اسم  » tandis qu'au verset 1.3 ( الرحمن الرحیم ) qualifient ( الله ), soit en tant que صفة soit en tant que بدل

Voir 6.45, 10.10, 37.182, 39.75, 40.65 (v. aussi 7.54, 27.8, 40.64, 45.36 et les débuts des sourates 6, 18, 34,35).

Il paraît important de conserver dans la traduction l'article de الحمد) ) et de traduire comme d'habitude la phrase nominale ( الحمد لله ) par une phrase attributive (« la louange est à Dieu »), plutôt que de recourir à des phrases averbales telles que « louange à Dieu » ou « loué soit Dieu ». On respecte ainsi la nature de l’énoncer qui, en tant que phrase nominale, relève du discours énonciatif ( خبر ) et non pas exclamatif ( إنشاء ).

    Au niveau du sens, la différence est d'importance. En employant une tournure averbale et indéterminée, on proclame tout simplement une louange à Dieu, tandis qu'en employant une tournure attributive et déterminée, on énonce une vérité établie indépendamment de ce que chacun peut en penser. Et cette affirmation reste vraie quel que soit le sens que l'on voudra retenir pour l'article arabe al que traduit en français l'article la.

 Le premier sens que peut avoir ici l'article est une valeur générique ( للجنس ), comme lorsqu'on dit, par exemple : « la lecture instruit ». Le sens de cette affirmation n'est pas que toute lecture est instructive, car bien des lectures peuvent être destructives ou n'être que futiles distractions. L'affirmation «la lecture instruit» signifie que, dans sa nature propre, la lecture est instructive, sans préjuger de ce que peut être ensuite chaque lecture au cas par cas. Si l'article de ( الحمد ) est entendu ainsi, « la louange » désignera la louange proprement dite et le sens de l'affirmation « la louange est à Dieu » sera que la Louange véritable ne revient proprement qu’à Dieu.

      Le second sens que peut avoir l'article est une valeur exhaustive ( لاستغراق الجنس ), comme lorsqu'on dit « l'homme est mortel », en signifiant par là que tout être humain est mortel. Si l'on entend l'article ainsi., « la louange » désignera alors toute louange et le sens de l'affirmation « la louange est à Dieu» sera que toute louange d'un être humain ou d'une œuvre humaine revient en réalité à Dieu, non pas dans le sens que cette louange aurait dû être adressée à Dieu, mais en ce sens que, quelles que soient les apparences, toute louange d'une créature est en réalité louange de Dieu, parce que la perfection louée en cette créature n'existe que par Dieu et grâce à Dieu.

     On voit ainsi se dégager un premier rapport entre la basmala et les premiers mots de la Fâtiha : puisque c'est « grâce au Nom de Dieu le Tout Miséricordieux et Très Miséricordieux » que toute perfection existe, c'est bien grâce à ces Noms divins que la louange adressée à cette perfection revient à Dieu. Qui plus est, c'est aussi « grâce au Nom de Dieu le Tout Miséricordieux et Très Miséricordieux» que celui qui fait l'éloge existe et qu'il possède la vue, l'ouïe, l'intelligence, la connaissance et plus généralement tous les moyens qui lui permettent de connaître la perfection dont il fait l'éloge, de même que c'est encore grâce à ces Noms qu'il possède une main, une langue, des cordes vocales, la connaissance du langage et de l'écriture et, plus largement, de tous les moyens qui lui permettent d'exprimer l'éloge qu'il proclame. Par ailleurs, ce n'est pas en Son Essence que la Perfection divine peut être connue de l'homme et donc louée par lui, car l'Essence divine reste à jamais hors de portée des créatures. Nous n'avons connaissance de la Perfection divine que par ce que Dieu en manifeste dans sa création et par quoi Il nous donne à voir un pâle reflet de Son propre Perfection. Et comme toute la création se ramène en définitive à l'œuvre du Tout Miséricordieux et Très Miséricordieux, c'est bien par ces Noms divins que la Perfection divine Se manifeste et c'est par eux et grâce à eux que la louange revient à Dieu.

   A tous les niveaux, donc, et dans tous les sens possibles et imaginables, il reste toujours vrai de dire que « grâce au Nom de Dieu le Tout Miséricord ieux et Très Miséricordieux, la louange est à Dieu », Celui par Qui et grâce à Qui cette louange est accomplie.

( رب العالمین ), ( الرحمن الرحیم ) et ( مالک یوم الدین ) qualifient sans conteste ( الله ), soit en tant que

صفة soit en tant que بدل .

 On a vu précédemment pourquoi il est préférable, dans la basmala, de considérer

     ( الرحمن الرحیم ) comme apposés à ( اسم الله ) en tant que عطف البیان .

Ces deux Noms divins formant un tout ont alors été traduits par un groupe de deux noms coordonnés et munis d'un article unique :

« Le Tout Miséricordieux et Très Miséricordieux ».

   Dans le présent verset, les deux termes ( الرحمن الرحیم ) se   retrouvent au milieu d'une énumération rendue en français par une série d'appositions. Deux possibilités se présentent alors :

      Soit l'article doit être conservé à tous les termes (« le Seigneur des mondes, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux, le Souverain du Jour du jugement ») : en ce cas, l'apposition n'a plus une simple valeur qualificative,   mais prend une valeur d'insistance, ce qui ne semble pas évoqué par les commentateurs.

    Soit l'article  doit être supprimé à tous les termes, ce que l'on a choisi de faire puisqu'il s'agissait apparemment  bien d'appositions ayant simple valeur qualificative.

  Quoi qu'il en soit, il serait incorrect en français de maintenir l'article pour certains termes d'une série et de le supprimer pour d'autres. Par ailleurs, rien ne justifie ici de coordonner « Tout Miséricordieux  et « Très Miséricord ieux », car ces deux termes interviennent au milieu de la série d'appositions, or la règle générale est de séparer les termes d'une série par des virgules, le dernier terme seul étant coordonné par une conjonction (toutefois, dans une série d'apposition, ce dernier terme peut aussi n'être que juxtaposé, comme c'est le cas dans la présente traduction).

( ربّ العالمین ) est explicitement donné dans les commentaires des Gens de la Demeure prophétique comme signifiant خالق الخلق (Burhân, n° 3) et plus précisément :

  مالکهم وخالقهم وسائق أرزاقهم إلیهم (ibid., N° 18 ; cf. n° 19 où le verset est commenté ainsi: اقراربانه الخالق المالك) ). Le couple عبد / ربّ correspond par ailleurs tout à fait au couple « seigneur » / « serviteur », et l'on ne voit donc pas de raison de recourir à d'autres traductions que « Seigneur des mondes ».

    « [Tous] » a cependant été ajouté entre crochets dans « Seigneur de [tous] les mondes » pour essayer de rendre l'idée quantitative (on voudrait dire d'« intégralité », استغراق ) que l'emploi du pluriel externe exceptionnel عالمون évoque de manière plus marquée que le pluriel normal عوالم .

   Le bon usage voudrait, selon certains, que عالم s'applique seulement à un ensemble   d'êtres   doués   d'intelligence,   mais   le   mot   désigne   en   fait couramment l'ensemble des créatures ou le milieu qui les contient24. Ce sens   ressort d'ailleurs clairement de certains versets (voir en particulier les versets 26.23-24 et suivants : ( والأرض وما بینهما... قال فرعون وما ربّ العالمین قال ربّ السماوات ) et P'us encore des propos des Imams de la famille du Prophète, lesquels expriment des conceptions totalement affranchies des limites de la cosmologie traditionnelle. L'Imam Sâdiq parle ainsi de « soleils » qui se trouvent au-delà de « notre soleil » et sont peuplés de créatures qui ne savent pas que l'homme existe25, évoque « un millier de mondes semblables à votre monde » ( ألف عالم مثل عالمکم هذا )dont la traversée demande « une année de marche du soleil » ( مسیرة الشمس سنة ) ou encore « un millier de mondes dont chacun est d'une multitude plus grande que celle des sept cieux et des sept terres, et aucun de ces mondes n'imagine que Dieu possède un autre monde qu'eux ».

On voit qu'on est bien loin des étroites restrictions que certaines thèses voudraient imposer à ce mot (voir J. CHABBI, Le Seigneur des tribus..., en particulier la note 645 p.618 qui précise que « dans une société de tribus qui n'avait aucun moyen de se représenter "des mondes" différents du sien », le terme عالمون «apparaît sans ambiguïté comme l'un des désignatifs des "groupes tribaux" »). Une telle vision procède de plusieurs erreurs de perspective, en particulier sur les plans épistémologique et logique (sans parler des erreurs historiques et anthropologiques qui demanderaient une étude plus détaillée).

   L'erreur épistémologique consiste à vouloir restreindre la vision de tout individu relevant d'un certain milieu à la vision courante des individus de ce milieu. Sans même recourir à l'idée de Révélation divine, il est évident que des êtres exceptionnels ont toujours existé (on parle parfois de « vision­ naires ») qui ont un horizon de compréhension tout autre que celui de leurs contemporains. Pour s'en tenir au cas qui nous concerne, il est déjà clair que les propos des Imams de la famille du Prophète évoqués au début de cette remarque ne reflètent en rien les conceptions du milieu dans lequel ils sont apparus, et cela même si l'on veut mettre leur authenticité en cause et les attribuer à des auteurs plus tardifs, puisque la cosmologie ptoléméenne a régné de manière absolue dans les mondes juifs, chrétiens et musulmans, fût- ce chez les philosophes les plus audacieux, jusqu'à la renaissance européenne. Il n'y a donc pas à limiter l'idée de ربّ العالمین à la conception qu'ont éventuellement pu s'en faire les bédouins du cœur de l'Arabie, car il est clair que telle n'était pas la conception des Gens de la Demeure prophétique et de leurs proches compagnons. Qui plus est, il n'est pas du tout évident, bien au contraire, que le commerce des grandes caravanes, qui avait mis les Arabes en contact avec des mondes aussi différents que ceux de l'Inde, de l'Iran, de la Corne de l'Afrique, de l'Egypte et du Levant, n'ait pas permis à î'Arabe des tribus « de se représenter "des mondes" différents du sien ».

   Quant à l'erreur logique, elle consiste à renverser les perspectives et à penser que, comme les référents que tel peuple (ou tel individu) peut connaître ou imaginer pour un concept donné sont limités, l'idée même qu'il se fait de ce concept est elle aussi limitée et ne saurait avoir aucune portée universelle (confusion entre l'« universalité » du concept et l'« étendue » de l'ensemble des référents). S'il en était ainsi, les langues ne pourraient jamais intégrer de nouveaux référents dans des ensembles déjà constitués et devraient au contraire inventer de nouveaux concepts pour tout nouveau réfèrent, or une telle intégration a pourtant lieu en permanence, et cela sans faire appel à la moindre « extrapolation ».

             Pour prendre un exemple, si bien des peuples se désignent dans leur langue comme

 « Les hommes » (voir par exemple les cas des langues inuits, du kabyle, etc.), cela ne signifie pas qu'ils n'ont aucune idée universelle de l'« homme », mais au contraire que les limitations de leur univers mental ne leur avaient pas encore permis, au moment de leur histoire où cette désignation fut fixée, d'envisager pour ce concept universel d'autres référents qu'eux-mêmes. De même, ceux qui élaborèrent la première déclaration des droits de l'homme étaient bien loin d'inclure parmi les référents conscients ou inconscients auxquels ils appliquaient le concept « homme » tout ce que l'on y inclut maintenant, et pourtant leur concept d'« homme » était bien un concept universel. De même encore, l'ensemble des référents du concept de « citoyen » dans la Grèce antique était bien plus restreint   que l'ensemble auquel nous appliquons aujourd'hui le même concept. Pourtant,le passage du «citoyen» grec au « citoyen » de la Révolution   française, puis à celui que l'on connaît de nos jours n'est qu'une extension   de l'ensemble des référents que l'on a donné au concept de « citoyen » et non pas un changement dans l'idée de « citoyen » elle-même. Il en va d'ailleurs ainsi pour toute idée : si un peuple ne peut concevoir à un certain moment de son histoire d'autre « feu » ou d'autre « lumière » que des feux et lumières très élémentaires, il n'en reste pas moins que les idées qu'il a du « feu » et de la « lumière » sont bien des universaux (idée de « ce qui brûle » et de « ce qui éclaire ») et que les mots qui les expriment dans sa langue seront tout à fait susceptibles de s'appliquer, sans recourir à la moindre extrapolation, à des « feux » et des « lumières » qui étaient tout à fait inimaginables aux anciens locuteurs de cette langue. Vouloir donc traduire عالم par « tribu » (ou encore الناس par « les hommes de la tribu » ; ibid. p.287-288 et note 64 p.480) est donc un renversement de perspective et relève de la confusion entre le concept et le réfèrent.

     Les Corans imprimés actuellement, basés sur la lecture de Hafs, retiennent ici la lecture ( مَلِک ), « roi »  mais d'autres lecteurs, dont WarS, ont préféré la lecture ( مالِک ), « maître », « possesseur ». On a pensé que « souverain », qui peut évoquer les deux sens (cf. Le Robert), convenait aux deux lectures.

Le   mot دِین ,   à deux sens très différents qui apparaissent comme irréductibles, malgré les efforts des lexicographes,' et qui pourraient même avoir des étymologies distinctes (l'un étant sémitique, tandis que l'autre serait un apport du pahlavi, sans présumer d'étymologies encore antérieures28). Bien que ce mot a le plus généralement dans le Coran le sens de « religion », l'expression یوم الدین est à entendre, à l'unanimité des commentateurs, comme synonyme de یوم الحساب (« le Jour des comptes ») ou de یوم الجزاء (« le Jour de la rétribution »). On est donc clairement renvoyé à l'autre sens de دِین , à savoir celui de «justice » et de «jugement ». Ce sens authentiquement sémitique, non seulement est attesté dans les autres langues de cette famille (araméen, hébreu, sudarabique, éthiopien...), mais on le retrouve expressément en arabe dans le mot دَیّان , qui signifie «juge » et qui est un Nom de Dieu. On traduit généralement le nom عبْد par  « serviteur» tandis que le verbe عَبَدَ est rendu par «adorer ». Le souci d'unité de traduction exige pourtant que l'on opte, dans les deux cas, soit pour des dérivés de « adorer »  soit pour des dérivés de « servir ».              On a préféré ici faire appel aux dérivés de « servir » pour traduire les mots de la famille de ع ب د , car c'est bien là le sens de la racine arabe (ainsi, استعبد signifie «asservir » et العبودیة désigne la « servitude ») tandis que « adorer » ne rend pas du tout ce sens puisque, étymologiquement, il désigne une attitude de prière et d'oraison (cela sans compter que ce mot est de nos jours galvaudé et qu'on « adore » maintenant tout et n'importe quoi, mais surtout pas Dieu).

  L'usage du verbe « servir » dans le sens envisagé ici a d'ailleurs un vénérable passé (cf. Le Robert,  « Dieu », citations 36, de Bossuet ; 42, ed Voltaire ; 47, de Pascal ; voir aussi Le Littré : « Servir Dieu, lui rendre le culte qui lui est dû, s'acquitter des devoirs de la religion »). Citons plus particulièrement ces mots de Rousseau : « Servir Dieu, ce n'est point passer sa vie à genoux dans un oratoire (...) c'est remplir sur la terre les devoirs qu'il nous impose (...)» {Julie ou la Nouvelle Héloïse, VI, VIII). Une telle phrase n'aurait pu être formulée en employant le verbe «adorer», car l'« adoration » relève bien de l’« oratoire », et non de l'« accomplissement de devoirs ». Or, cette idée d'« accomplir les devoirs que Dieu impose » est essentielle aux notions de عبادة et de عبد . (Le Robert signale par ailleurs que le mot «serviteur» vient de servitor, employé dès 1050 dans le sens de « celui qui est dévoué à Dieu »).

Le verbe استعان a été traduit par « rechercher l'aide », plutôt que « demander » ou   « implorer » l'aide, en raison de certaines autres occurrences coraniques de ce même verbe (2.45, 153) où il est question de « rechercher l'aide dans la patience et la Prière ». Par ailleurs,  « rechercher» a été préféré à « chercher » en raison de l'aspect d'effort volontaire, d'activité continue et de quête insistante qu'il ajoute (le Robert donne d'ailleurs «quêter» et «solliciter» comme synonymes de « rechercher » entendu dans ce sens).

Pour ( اهدنا ), voir l'étude 2.2.2. Profitons seulement de l'occasion pour remarquer que le musulman répète l'invocation « guide-nous dans la droite Voie » plus de dix fois par jour dans ses Prières quotidiennes. Ce fait montre que, bien loin de pouvoir jamais se considérer comme étant « parvenu au but », le musulman doit au contraire être sans cesse dans une attitude de recherche afin d'avancer toujours plus dans la Voie droite qui mène à la connaissance de la vérité, à la réalisation de la justice et en définitive à Dieu.

   La traduction de أنعم par «.combler de grâces » se fonde sur le fait que le sens premier de نعمة est  « l'intensité », comme le font remarquer, entre autres, l'auteur du Magma' al-bayân et celui du Lisân al- 'arab :

  Quant au choix du mot «grâce» pour rendre نعمة , il est justifié par plusieurs considérations. En effet, la « grâce » est définie dans Le Robert comme «ce qu'on accorde à quelqu'un pour lui être agréable, sans que cela lui soit dû », mais ce mot désigne aussi, plus spécialement, « la bonté divine » et « les faveurs qu'elle dispense » (ibid.). De ce fait, ce terme apparaît particulièrement adéquat pour évoquer les bienfaits divins, surtout lorsqu'il est plus particulièrement question, comme c'est le cas ici, de bienfaits d'ordre spirituels et non pas matériels : contrairement à l'expression « ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces », la tournure « ceux que tu as comblés de bienfaits » orienterait plutôt l'attention vers une abondance de biens matériels. De plus, le mot « grâce » permet de rendre au mieux l'expression نعمة des versets 3.103 ( فأصبحتم بنعمته إخوانا ), 52.29

( فما أنت بنعمة ربّک بکاهن ولامجنون ) et 68.2 ( ما أنت بنعمة ربّک بمجنون ) , car cette expression correspond bien au français « grâce à » ou « par la grâce de ». « Grâce » servira donc à rendre *-»*, tandis que l'on emploiera « bonté » pour traduire فضل (voir l'étude 2.64.1.).

    Enfin, le pluriel « grâces » semble plus approprié que le singulier, parce que, bien que les « grâces » concernées soient évidemment d'ordre spirituel plutôt que matériel, elles n'en sont pas moins multiples (grâces de la guidance, de la foi, de la soumission, etc.).

Pas moins de neuf analyses grammaticales ont été proposées pour ( غیر ) dans ( غیر المغضوب علیهم ) 35:

1-            Il pourrait s'agir d'une apposition ( بدل ), le sens étant : « La voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces, ceux qui ne sont pas l'objet de [Ta] colère ni ne sont égarés ».

2-      Il pourrait aussi être question d'un adjectif venant expliciter le premier terme ( صفة مبیّنة ), le sens (proche du sens précédent) pouvant alors être rendu par une proposition relative a valeur appositive : « La voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces, qui ne sont pas l'objet de [Ta] colère ni ne sont égarés » (la proposition relative vient ici expliciter qui sont « ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces »).

3. Cette صفة مبیّنة pourrait aussi être entendue comme explicitant le premier terme par son contraire, à la manière dont on dit     علیک بالحرکة غیر السکون encore لا أجلس إلا إلی العالم غیر الجاهل

      (cf. Tibyân, Magma'al- bayâri) . Le sens serait alors : « La voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces, non ceux qui sont l'objet de [Ta] colère ni qui sont égarés ».

4. Enfin, l'adjectif pourrait avoir une valeur déterminante ( صفة مقیّدة ) et non plus simplement explicative. Le sens serait alors aussi rendu, comme en 2, par une proposition relative : « La voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces,   qui ne sont pas l'objet de [Ta] colère ni ne sont égarés », mais les deux phrases n'auraient pas le même sens. En effet, dans le sens 2, il serait question d'expliciter que « ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces » sont ceux « qui ne sont pas l'objet de la colère ni égarés », tandis qu'il serait ici question de déterminer un groupe qui réunit trois qualités : « être comblés des grâces divines», « ne pas être  l'objet de la colère divine » et «ne pas être égarés ».   Ces quatre  sens se fondent sur la lecture la plus courante et actuellement   consacrée selon laquelle غیر est vocalisé au cas indirect. Il existe cependant une lecture de غیر au cas direct, qui pourrait avoir les sens suivants :

5.        Il   pourrait s'agir d'un حال , le sens étant : « La voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces, ne faisant pas l'objet de [Ta] colère ni n'étant égarés ».

6.        Ce pourrait aussi être le complément d'un verbe sous-entendu tel que أعني , le sens étant alors : « La voie de  ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces, [c'est-à-dire] ceux qui ne  sont pas l'objet de [Ta] colère ni ne sont égarés ».

7.        On pourrait aussi y  voir une « exception inclusive » ( استثناء متّصل ) cas peu défendable, car on serait alors obligé de considérer comme explétive la négation ( ولا ) ; le sens serait ainsi :   « La voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces, hormis ceux qui sont l'objet de [Ta] colère et les égarés ».

8.        Mais il pourrait aussi s'agir ici d'une « exception exclusive » ( استثناء منقطع ) dont le  sens serait : « La voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces, non pas de ceux qui sont l'objet de [Ta] colère ni des égarés ».

9.        Enfin, à ces huit possibilités, il faut ajouter l'interprétation d'Ibn Katîr, qui pense qu'il faut ici sous-entendre المغضوب علیهم [ صراط ] غیر , le premier terme   de l'annexion ayant été omis en raison de son évidence dans le contexte. Le sens serait ainsi exactement le  même qu'en 8 : « La voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces, non pas de ceux qui sont l'objet de [Ta] colère ni des égarés ».

 

On peut  constater que toutes ces possibilités constituent trois groupes au niveau du sens :

•       Les sens 1, 2 et 6 explicitent «ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces» comme étant «ceux qui ne sont pas l'objet de la colère divine ni égarés ».

•       Les sens 4, 5 et 7 distinguent un groupe qui, tout à la fois, est comblé par les grâces divines, n'encoure en rien Sa colère et n'est pas égaré (dans les sens 4 et 5, ce groupe est explicitement qualifié par ces trois qualités, tandis que dans le sens 7, il l'est du fait qu'il est le seul à rester après exclusion des deux autres groupes faisant partie de l'ensemble de ceux qui ont été comblés de grâces divines).

            Les sens 3, 8 et 9 distinguent trois voies qui sont celles de trois ) groupes : ceux qui sont comblés de grâces, ceux qui encourent la colère et ceux qui sont égarés. Ce dernier sens, retenu entre autres par Ibn Katïr, se trouve conforté par des propos tels que celui-ci, rapporté de l'Imam 'Ali : «  Dieu Tout-puissant et Majestueux a ordonné à Ses serviteurs de Lui demander la voie de ceux qui ont été comblés de grâces, qui sont les Prophètes, les Justes, les martyrs et les gens de bien ; de prendre refuge en Lui contre la voie de ceux qui sont l'objet de [Sa] colère [...] et de prendre refuge en Lui contre la voie des égarés [...] »