Le coran fait parfois l'éloge des
actions des compagnons du Prophète. Mais peut-on déduire de cette louange qu'il
les innocente pour tous leurs actes ultérieurs, ou encore peut-on prendre cet
éloge comme une preuve de leur intégrité, de leur pureté, voire de leur
sacralité, comme si tous leurs actes étaient absolument justes et sans
reproches ?
Ou bien est-il plus raisonnable de dire que l'agrément de Dieu -et le bonheur
éternel qui en découle pour celui qui en est l'objet- ne s'obtient que si les
bonnes actions se poursuivent tout au long de sa vie, et qu'autrement, c'est
dire s'il dévie dans sa foi et ses actes, une bonne action passée ne saurait
assurer forcément son bonheur dans le futur ?
L'Envoyé de Dieu est un maître en
matière d'humanisme et de piété, un modèle à imiter en matière de vertu et de
morale.
Cependant le Coran n'hésite pas à lui dire :
"Si tu associes (à Dieu un autre idole) tes oeuvres s'abaisseront, et
tu seras du nombre des perdants"
Alors qu'on sait que le Prophète,
doué de la perfection et préservé de l'erreur, ne s'éloigne jamais de Dieu
fut-ce le temps d'un clin d'oeil. Le Coran l'a interpellé en ces termes, pour
signifier indirectement aux Compagnons, tentés par l'orgueil qu'ils tirent de
leurs oeuvres, qu'ils doivent préserver ces dernières de l'ostentation, et les
accomplir uniquement pour l'amour de Dieu, et se mobiliser jusqu'au dernier
souffle de leur vie, sur cette voie.
L'histoire nous enseigne de toute évidence, que tous les Compagnons n'étaient
pas pieux, qu'ils ne faisaient pas que de bonnes actions.
Cela ressort clairement du hadith
suivant transmis par Boukhâri dans son Sahîh. Le Prophète aurait
dit :
"Je vous précèderai au paradis. On m'y présentera des hommes, et quand je
serai sur le point de les aider, ils seront engloutis sous mes yeux. Je dirai
alors : "Seigneur ! Ce sont mes compagnons !" Il me
dira : "Tu ne sais pas combien ils ont mal agi après toi."
Toujours selon Boukhâri :
Abou Hazim a dit : J'ai entendu Sahl ibn Sa'd al-Sâ'idî dire : J'ai
entendu le Prophète dire : "Je vous précèderai au bassin du Paradis.
Quiconque entrera au Paradis boira de ce bassin. Et quiconque y boira n'aura
plus jamais soif. Des gens que je connais et qui me connaissent seront
introduits auprès de moi, puis seront retirés de ma vue."
Abou Hazim a continué : Al-Nu'man ibn abi, Ayache m'entendit quand je
parlais ainsi. Il me demanda : "Est-ce ainsi que tu as entendu parler
Sahl ?" Je lui répondis affirmativement.
Il dit : "Moi-même, je témoigne avoir entendu Abu Saïd al-Khoudârî
ajouter à ce hadith les paroles suivantes : "ils font partie de mes
proches; et l'on me dira : "Tu ne sais pas combien ils ont changé
après toi". Je dirai alors : "Que soient engloutis ceux qui ont
changé après moi !"
Ibn Omar rapporte avoir entendu le
prophète dire :
"Ne devenez pas, après ma mort, des infidèles qui s'entretuent les uns les
autres."
Selon ibn Abbâs, le Prophète aurait
éclairé :
"Des hommes parmi mes compagnons seront conduits vers la gauche (le
châtiment), et je dirai : "Mes compagnons ! Mes
compagnons !" On me dira : "Ils n'ont pas cessé de
retourner à leurs pratiques païennes depuis que tu les as quittés." Je
dirai alors comme dira Jésus : "j'étais témoin contre eux tant que
j'étais avec eux. Et depuis que Tu m'as fait mourir, Tu es Celui qui les
surveille."
Abou Hurayra rapporte également la
même tradition, toujours dans le Sahîh de Boukhâri. Et dans la même
compilation, on peut aussi lire la tradition rapportée par Ammâr ibn
Yasser :
"Parmi les compagnons du Prophète, il y a douze hypocrites qui n'entreront
au Paradis que lorsque le chameau entrera par le chas d'une
aiguille !"
Taftâzânî Châfi'ï le chercheur
sunnite écrit :
"Les antagonismes et les querelles qui surgissent entre les Compagnons,
tels qu'ils ressortent des livres d'Histoire, et qu'ils sont rapportés par des
témoins dignes de confiance, prouvent que certains d'entre ces Compagnons se
sont écartés du chemin du droit, allant jusqu'aux limites de l'injustice et de
la dépravation. Le mobile en était le ressentiment, la haine, l'envie,
l'inimitié, l'amour du pouvoir, et le penchant pour les plaisirs et les
passions, car tout Compagnon n'est pas infaillible, et tout homme qui rencontra
le Prophète ne se caractérise pas le bien."
Il n'y a par conséquent pas lieu
d'injurier et de maudire les partisans de certaines sectes islamiques qui ne
nourrissaient pas d'amitié pour certains compagnons ou certains hommes de la
génération qui suivit celle de ces derniers.
On ne peut pas taxer toute la communauté d'infidélité et de corruption, pour
cela, puisque de telles divergences existaient déjà parmi les compagnons du
Prophète eux-mêmes.
Ainsi dans la Sapîfa, un groupe de
compagnons avaient réclamé à haute voix que l'on tuât Sa'd ibn Ubâda. Le fils
de ce dernier, Qays ibn Sa'd tira Omar par la barbe. Zubair s'écria dans la
Saqîfa qu'il ne rengainerait son épée que si l'on prêtait serment d'allégeance
à Ali, mais Omar cria : "faites sortir ce chien", et les
compagnons d'Omar le rouèrent de coups.
De même le comportement d'Omar envers al-Miqdâd, celui d'Othmân envers lbn
Mass'oud, Ammâr ibn Yasser, Abou Dharr al-Ghiffâri et d'autres cas d'hostilité,
sont autant de preuves des querelles qui divisèrent les Compagnons.
Tout cela ne nous permet pas de taxer
d'infidélité (al-Kufr), les compagnons du Prophète qui n'ont pas accepté
la reconnaissance d'Abou Bakr, et encore moins de porter atteinte à l'unité des
musulmans.
Même parmi les partisans du sunnisme, nombreux sont ceux qui ne reconnaissent
aucun respect aux Compagnons et aux Suivants (Tâbi'ïne).
Ceux qui ont tué le troisième calife
Othmân, étaient tous des compagnons ou des Tabi'ïnes. Khâled ibn al-Walid,
compagnon, a tué Malek ibn Nouwayra, qui fut aussi un autre compagnon du
Prophète.
Certes, il y eut des personnalités éminentes par leur foi, leur piété et leur
abnégation, des hommes aux limites de la perfection et de la grandeur; et il y
avait aussi parmi eux des hommes en qui l'esprit d'avant l'islam prédominait,
ressurgissant dans sa laideur et ses méfaits chaque fois que l'occasion lui
était offerte.
Beaucoup d'habitants de la Mecque n'avaient accepté l'islam que du bout des lèvres, et leur rancoeur n'avait été contenue que par le comportement magnanime du Prophète à leur égard. Ils n'attendaient que la disparition de ce dernier pour lâcher bride à leur sentiment de vengeance.
On ne peut pas par conséquent
innocenter complètement tous les compagnons, ni prendre leur comportement comme
exemple.
Nul n'a le droit d'affirmer que le bonheur dans ce monde et dans l'au-delà est
conditionné par l'imitation des compagnons. Le Bonheur n'est garanti que si ses
conditions nécessaires sont respectées jusqu'au dernier instant de la vie.
Certains ulémas sunnites considèrent
que les compagnons du prophète sont tous qualifiés pour comprendre le Coran, et
qu'ils sont excusés lorsque leur jugement est pris en défaut, qu'ils sont même
rétribués pour leurs erreurs. Leurs actions sont toutes valides à leurs yeux.
Cette façon de voir a fini par décourager tout le monde de contester la
validité d'un acte ou d'un point de vue d'un ou de plusieurs Compagnons. Plus
grave encore, cela a servi de prétexte à beaucoup d'abus et de dépassements de
la Loi de la part de certains Compagnons qui se croyaient au-dessus de la Loi,
comme Amr ibn al-'As, Saïd ibn al-'As, Mu'awiyya, al-Mughira, Khaled ibn Walid,
Bishr ibn Arta'a, etc...
Mu'awiyya alla même jusqu'à déclarer
un jour que puisque tous les biens qui sont sur terre appartiennent à Dieu, il
pouvait en disposer à sa guise, puisqu'il était, lui, le représentant de
Dieu !
Nul ne trouva à redire, excepté Sa'sa'a ibn Sohân al-Abdi qui était un
compagnon de l'imam Ali, qui lui fit une réponse cinglante.
Si tous les Compagnons avaient tous le même rang élevé, du seul fait d'avoir été les contemporains du Prophète, pourquoi certains d'entre eux ont-ils apostasié du vivant même du Prophète ?
Pourquoi Le Prophète dut-il chasser
Sa'd ibn Abi Sarh, proclamant même la licéité de son sang, et ne- lui
pardonnant que sur intercession de son frère de lait Osman ibn affân.
Hirghous ibn Zahîr, le chef des Khârédjites de Nahrawân fut lui aussi un
compagnon. Personne n'aurait pu croire qu'il changerait un jour. Cependant Le
Prophète avait déjà prédit sa trahison en disant :
"Il quittera sa religion comme la flèche quitte son arc !" Il
fut battu à Nahrawân par l'imam Ali.
Il y eut même un compagnon du nom de Abdullah ibn Jahch qui se fit chrétien en
Abyssinie !
Ainsi la qualité de compagnon ne suffit pas pour être un Croyant, ni pour
s'assurer le bonheur dans ce monde et dans l'au-delà.