Le hadith dit des thaqalayn
(les deux choses lourdes) est l'une des traditions du Prophète les plus
rapportées par les sources islamiques. Il figure dans les premières
compilations effectuées par les auteurs sunnites, et ses chaînes de
transmetteurs sont parmi les plus crédibles et les plus dignes de foi. En voici
le texte :
"L'Envoyé de Dieu a dit : "Je vous laisse (après ma mort) les
deux choses les plus lourdes : le Livre de Dieu, et ma descendance, les Gens
de ma Maison. Ils ne se sépareront jamais jusqu'à ce qu'ils me rejoignent au
Paradis. Tant que vous les suivrez, vous ne vous égarerez jamais."
Certains ulémas sunnites rapportent
que la parole prophétique se terminait ainsi :
"Ali est avec le Coran, et le Coran est avec Ali, ils ne se sépareront
jamais."
Et trente compagnons du Prophète, au
moins, ont rapporté avoir entendu le Prophète faire cette déclaration.
Les sources chiites et sunnites soulignent que jusqu'à la fin de sa vie, le
Prophète n'a jamais cessé d'insister sur la relation profonde entre ces deux
bases de l'Islam que sont le Coran et sa Famille.
Cette tradition est par conséquent un résumé du programme tracé aux musulmans. Même si elle se présente différemment dans sa forme, d'une source à l'autre, cette tradition ne perd jamais son contenu essentiel : souligner la relation indéfectible qui existe entre le Coran et la Famille Prophétique.
Ibn Hadjar, célèbre docteur sunnite,
examinant les circonstances de ce hadith écrit :
"Selon certains, le Prophète aurait prononcé cette phrase lors du
pèlerinage d'adieu à Arafât, selon d'autres à Ghadir Khomm, et selon d'autres à
Médine, lors de sa maladie, et en présence de nombreux compagnons qui se
trouvaient à son chevet. D'autres enfin disent qu'il prononça ces paroles à son
retour de Taïf."
Ibn Hadjar ajoute : "Il n'y
a pas de contradiction entre ces sources; rien n'empêche qu'il n'ait répété
cette vérité dans toutes ces circonstances et en d'autres; et cela en raison de
l'importance que possèdent le Coran et la Famille du Prophète." Dans une
autre tradition, le Prophète dit :
"Ali est avec le Vrai (al-Haqq), et le Vrai est avec Ali. Le Vrai est avec
lui, partout où il se trouve."
*
Les versets du Coran, chacun le sait,
sont un ensemble de recommandations et d'enseignements qui sont à même
d'assurer le bonheur et le salut des hommes qui s'y conforment.
Cependant, le Coran requiert, pour être interprété et compris justement, une
autorité compétente, remplissant les conditions de perfection dans tous les
domaines. C'est la raison pour laquelle le chiisme considère qu'il est
nécessaire que ceux qui ont la charge d'interpréter le Coran, en toute
compétence, soient désignés par l'Envoyé de Dieu, qu'il les ait préparés
lui-même à leur mission future. Seules ces personnes pourront comprendre le
langage de la révélation et interpréter les versets du coran de la façon la
plus juste qui soit. La conjonction du Livre et de la Famille s'explique par le
besoin qu'impose toujours le Livre d'être interprété de façon complète et
juste.
Les diviser et les séparer, pour se
contenter de suivre les avis de personnes incompétentes, n'aura pour résultat
que l'égarement et la perdition. Sinon, que signifierait la parole :
"Tant que vous les suivrez, vous ne vous égarerez jamais, après
moi» ?
Qui peut rapporter aux "versets solides" (muharram), les
"versets ambigus" (mutachâbih) ?
En les plaçant côte à côte, le Prophète a voulu signifier que leur fonction est la même et complémentaire; d'une part le Coran, le commandement céleste, d'autre part son répondant terrestre, son porte-parole et son protecteur. Il est normal alors qu'abandonner la Famille du Prophète soit synonyme de perdition et de mort.
La déviation des musulmans,-et par suite leur déchéance a commencé avec la séparation entre ces "deux choses lourdes", depuis que la thèse "Le Livre de Dieu nous suffit" a dominé les esprits et la vision religieuse des gens, depuis que les écoles des Acharites et des Mutazilites se sont établis comme si elles étaient plus versées dans la connaissance du Livre de Dieu que le Prophète !
La compréhension juste du Coran est rendue plus facile par les commentaires de ces hommes dont la science procède directement de la faveur divine, sans intermédiaire ni apprentissage. De tels hommes ne sont autres que les Imams préservés de l'erreur et de l'égarement.
Ibn Hadjar, le célèbre auteur sunnite
a rapporté une parole du Prophète disant:
"Ne les précédez pas (les imams) car vous périrez à cause de cela; et ne
soyez pas en retard sur eux, car vous périrez aussi; et ne leur enseignez pas,
car ils sont plus savants que vous."
L'imam Ali a pour sa part dit :
"C'est par eux que vit la science, et meurt l'ignorance. Leur magnanimité
(Hukm) vous informe de leur savoir; leur extérieur de leur intérieur;
leur silence des sagesses de leur parole. Ils ne s'opposent pas à la Vérité et
ne divergent pas à son propos. Ils sont les piliers de l'Islam, et les refuges
de ceux qui cherchent protection. C'est par eux que la Vérité est revenue à sa
place et que le Mensonge (bâtil) a été chassé de son rang, et que la
langue du mensonge a été arrachée. Ils ont attaché la religion de façon qu'ils
la comprennent en toute conscience et de façon qu'ils la préservent de
l'erreur, non comme la fixerait celui qui l'entendrait par ouï - dire ou la
transmettrait par sa langue. Ceux qui rapportent (par la langue) la science
sont nombreux, mais ceux qui la gardent sont très peu."
Le hadith précédent signifie que les gens de la Famille du Prophète sont préservés de la désobéissance à Dieu, des péchés, et des erreurs. Un homme qui serait "avec" le Coran, de façon que les hommes soient religieusement contraints de suivre ses recommandations jusqu'à la Résurrection et à la rencontre avec l'Envoyé de Dieu, un tel homme doit être à l'exemple du Coran, dénué de toute erreur. Comment Dieu ordonnerait-Il aux gens d'obéir à un homme souillé par les péchés ?
L'Envoyé de Dieu a même précisé le
nombre des califes qui lui succéderont dans sa charge d'Imam, disant :
"Mes califes seront au nombre de douze comme les lieutenants des Enfants
d'Israël. Ils seront tous de Qoraych -et selon une autre tradition -des Banou
Hachem."
Les califes "bien guidés" des sunnites ne sont pas au nombre de douze. On ne peut pas non plus envisager ce nombre pour les califes Omeyyades ou Abbassides, car non seulement il ne s'applique pas à eux, mais aussi parce qu'ils ont commis des péchés tels qu'ils ont causé à la religion des préjudices irréparables. Par contre ce nombre correspond bien à celui des Imams de la Famille du Prophète.
Certains auteurs malintentionnés, refusant d'écouter les paroles du Prophète, et se détournant des Imams, ont été contraints d'interpréter le hadith en question -qu'ils ne pouvaient mettre en doute à cause de son authenticité indiscutable- conformément à son contenu.
Le Cheikh Suleyman al-Qandûzi,
sunnite hanafite, a écrit loin de tout parti pris, ce qui suit:
"Certains auteurs spécialisés (mmuhaqqiqûm) disent que les
traditions selon lesquelles le nombre des califes après le Prophète est au
nombre de douze, sont des traditions largement connues, transmises par
différentes voies. Grâce à un examen du déroulement du temps écoulé (depuis sa
disparition) et des circonstances successives qui ont prévalu, je sais que
l'intention du Prophète dans sa parole est la suivante : les douze imâms
de sa Famille et de sa descendance.
On ne peut interpréter cette tradition en la rapportant aux califes qui lui ont succédé, parmi ses compagnons car ils étaient inférieurs à douze.
On ne peut non plus l'appliquer pour rois Omeyyades, car ils étaient plus de douze et furent d'une iniquité odieuse, à l'exception de Omar ibn AbdelAziz. En outre, ils ne faisaient pas partie des Banou Hâchem. Car le Prophète a dit "Ils sont tous de Banou Hâchem", suivant la tradition rapportée par Jâber ibn Sumra; qui ajoute que le Prophète avait baissé la voix à ce moment de son discours; car il savait que les Omeyyades n'aimaient pas que les Banou Hâchem soient califes.
De même, ce nombre ne peut pas
concerner les Abbassides, qui sont plus de douze, et qui n'ont pas respecté le
verset coranique enjoignant l'amour des Gens de la Maison du Prophète51, ni le
hadith du Manteau (al-Kissâ).
Il est indispensable par conséquent d'interpréter ce nombre comme s'appliquant
uniquement aux imams de la Famille du Prophète, car ils furent les plus savants
parmi leurs contemporains, les plus éminents, les plus scrupuleux en matière
religieuse, les pieux, ceux qui sont les plus proches du Prophète par les liens
du sang, les plus vertueux, et par conséquent les plus nobles auprès de Dieu.
Leur science remontait directement au Prophète, par héritage et par grâce
divine.
C'est ainsi que les ont fait connaître ceux qui ont un savoir sûr et éprouvé.
Ceci corrobore le sens suivant lequel l'intention du Prophète concernait bien les douze imams de sa Famille.Le hadith des "deux choses lourdes" le confirme et en témoigne, ainsi que les autres traditions réitérées dans ce livre. Quant à la parole du Prophète : "La communauté musulmane se rassemblera autour d'eux" qui figure dans la tradition de Jâber ibn Sumra, elle signifie que la communauté musulmane sera unanime dans la reconnaissance de tous les imams après l'apparition du douzième imam, le Mahdi."