Le Prophète savait pertinemment qu'après sa mort la Ummat allait perdre sa cohésion et se laisser entraîner à la querelle et à la division.
La société musulmane se composait alors d'une part des Mouhâdjirouns (Emigrés venus de la Mecque) qui comprenaient les Banou Hachem, les Banou Umayyade et les tribus de Adiy et de Teimim, et d'autre part, des Ansârs (musulmans de Médine accueillant leurs coreligionnaires de la Mecque) qui étaient des membres des tribus des Aws et des khazradj.
Dès la mort du Prophète la flamme de la sédition a embrasé les esprits. La plupart des musulmans ne pensaient plus à l'intérêt de l'islam, mais seulement à s'emparer du pouvoir en faveur de leur clan, sans même se demander si un simple pouvoir fort et centralisé pouvait succéder au gouvernement divin instauré par le Prophète. Bref, les ambitions et les passions les rendaient aveugles, au point d'entamer gravement les liens religieux qui les unissaient auparavant.
Le Prophète avait prédit cela :
"La communauté de Moïse s'est divisée en 71 sectes; celle de Jésus en 72;
ma communauté se scindera en 73 sectes, dont une entrera au paradis, et les
autres en enfer." 5
Le coup le plus violent qui a été asséné à l'unité des musulmans après la mort
du Prophète, et qui portait en lui les germes des malentendus et des divisions,
fut leur divergence au sujet du choix de leur chef après le Prophète.
Si le Prophète avait quitté ce monde, sans avoir au préalable informé les musulmans de la façon dont il fallait faire face à ce mal terrible qu'il leur prédisait, et s'il n'avait pas donné ses recommandations au sujet de la situation de vide qu'entraînerait sa disparition, et des conséquences désastreuses qu'elle créerait, n'aurait-il pas été lui-même tenu pour l'auteur de tous les graves problèmes nés de son abandon de la responsabilité, et de la direction des affaires ?
Comment peut-on penser que le Prophète qui a clarifié expressément tous les points de sa doctrine, ait pu omettre d'évoquer le futur de l'islam et la nécessité de protéger la vérité dont il est porteur, l'existence même de la religion, voire de la communauté musulmane.
On se demande comment certains oseraient affirmer que le Prophète avait observé un silence total sur cette question et qu'il avait laissé aux musulmans le soin de régler le problème. On se demande comment ils ont pu attribuer au Prophète qui fut doté de l'intelligence la plus parfaite parmi les hommes, une pareille négligence et un tel mutisme. Surtout quand on garde à l'esprit que sa mort ne fut pas soudaine et brusque, puisque lui-même en avait annoncé aux musulmans la venue quelques mois auparavant lors du pèlerinage d'adieu, en leur disant qu'il ne les reverrait pas lors du prochain pèlerinage.
Du vivant même du Prophète, l'islam encore jeune était mis en danger par deux sortes d’ennemis : ceux de l'intérieur, qui étaient les Hypocrites, infiltrés dans tous les rangs et sous l'étendard de l'islam. Et dont les complots furent nombreux, au point qu'en l'an 9 de l'Hégire, le Prophète préparant l'expédition de Tabouk, et redoutant leur conspiration, désigna Ali comme son remplaçant à Médine, pendant son absence.
Les ennemis de l'extérieur étaient
représentés par les deux empires, Romain et Perse de l'époque.
Il est évident qu'en de telles conditions, le Prophète se devait de confier la
responsabilité de protéger l'islam et la communauté musulmane à une ou
plusieurs personnes qui en seraient capables.
Le Premier Calife lui-même a eu
l'occasion de ressentir le poids de cette responsabilité qui lui incombait
d'assurer la continuité du gouvernement et le vide qui résulterait de sa
disparition : il ne laissa donc pas la communauté à elle-même. Il
recommanda -sur son lit de mort- aux gens de suivre et d'obéir à Omar ibn
al-Khattâb.
Il considérait par conséquent de son devoir de désigner son successeur et d'y
contraindre les musulmans à lui obéir.
De même, après avoir été poignardé, le deuxième calife, conscient de la gravité
de la situation, ordonna la constitution d'un comité de six personnes pour
décider de sa succession. Ce qui signifie qu'il ne reconnaissait pas à tous les
musulmans le droit de désigner le calife.
Quant à Ali, l'Emir des Croyants, il
se satisfit du fait accompli, de peur de la sédition et d'un retour du peuple à
l'Ignorance d'avant l'islam.
Comment donc le Prophète -que la paix soit sur lui- aurait pu fermer les yeux
sur une question aussi grave, sur le profond danger qui menaçait sa mission,
alors que les gens venaient de sortir de l'ère de l'Ignorance? Comment
n'aurait-il pas enseigné aux gens la voie du salut, celle qui les préserverait
du danger après sa disparition ?
Nous ne voyons vraiment pas d'explication à un tel comportement négatif; et pourquoi le Prophète de l'islam ne se serait pas intéressé à cette question. On ne peut pas se représenter une pareille chose.
Or, sur son lit de mort et alors que
la douleur de la maladie le faisait beaucoup souffrir, l'Envoyé de dieu,
inquiet, songeait à l'avenir de la religion et de la communauté musulmane.
Seule, cette question occupait son esprit à ces instants-là. Et à un moment où
s'étaient réunies autour de son lit beaucoup de personnes, parmi lesquelles
Omar ibn al-Khattâb, le Prophète dit :
"Que l'on m'amène de l'encre et une omoplate afin que je vous écrive ce
par quoi vous ne serez jamais égarés, après ma mort."
Cette tentative du Prophète -que rapportent les sources sunnites et chiites, et sur l'authenticité de laquelle elles s'accordent- est la preuve la plus éloquente du souci qu'avait le Prophète, dans les derniers instants de sa vie, d'assurer la continuité de l'islam, et des dangers qui allaient menacer cette religion après sa mort.
C'est le moment, ici, de rappeler que
dans les religions antérieures à l'islam, tous les prophètes avaient à leurs
côtés des "héritiers", des hommes qui après leur mort, eurent la
responsabilité de préserver le contenu et le sens de leur mission.
Comme le Coran affirme que Dieu ne change pas Ses coutumes en égard à Sa
création, le Prophète se devait d'agir conformément à cette coutume des prophètes
qui l'ont précédé, et d'en informer sa communauté. C'est ce qu'il fit, en
effet.