L'Imam est pour l'ensemble des croyants musulmans un guide et un éclaireur; ceux qui le suivent profitent de la force de son intelligence et de sa perspicacité; ils règlent leur comportement sur le sien, et obéissent à ses ordres.
L'imamat est une notion très large, embrassant à la fois le sens de l'autorité spirituelle, "marja'iyyat", et celui d'autorité politique. Après la mort du Prophète, l'Imam fut chargée d'enseigner aux hommes les sens du Coran, les réalités de la religion et les pratiques sociales, et d'être leur directeur dans tous les domaines.
Cette direction des affaires des hommes ne consiste, au fond, que dans la concrétisation des objectifs de l'islam pour l'humanité et mettre en pratique la religion fondée par l'Envoyé de Dieu.
Parfois le mot "imam" est pris dans un sens large, pour désigner la personne qui a en mains les rênes des affaires dans le domaine politique ou social.
Mais lorsqu'un homme a une conscience en complète conformité avec le message religieux, et qu'il remplit toutes les conditions pour diriger politiquement et intellectuellement, et qu'il est le meilleur homme de la société musulmane, en mesure de transmettre aux hommes les préceptes de la Chari'at, dans tous les domaines, et est en mesure de préserver la personnalité islamique de toute déchéance, un tel homme est l'exemple de l'Imam véritable absolu, et de chef spirituel et temporel des hommes. Ainsi, l'Imam se présente comme une personne dotée d'une dimension divine et unitariste. Et son action, en rapport avec Dieu et la Création, et dans l'exécution des prescriptions rituelles, morales et sociales de la religion divine, est parfaite et harmonieuse.
C'est lui qui est à même d'orienter le mouvement des hommes vers la perfection dans l'harmonie et l'unité. Il incombe aux croyants de lui obéir dans cette mission, de voir en lui l'autorité en toute chose,et le critère éloquent de la parfaite édification individuelle ou sociale, et le seul exemple parfait de vertu et de grandeur.
La plupart des docteurs sunnites sont
de cet avis que l'imamat et le Califat sont une seule et même chose. Ces deux
termes sont synonymes, et expriment la grande responsabilité sociale et
religieuse que le peuple délègue à la personne du Calife, en l'élisant à la
dignité de chef des musulmans.
Dans ce sens, le calife a la charge de résoudre les problèmes religieux du
peuple, et au moyen de la force publique et militaire, d'assurer la sécurité
publique et l'intégrité des frontières. C'est à cette fin qu'il est élu.
Ce qui, ici, constitue la condition de la prise en main des affaires est la capacité et la compétence dans l'art de gouverner, afin que les peines légales soient appliquées aux coupables, que les atteintes aux droits des gens soient prévenues et empêchées, ainsi que toutes les velléités d'injustice de toutes sortes. D'autre part, il devra être capable, par le moyen de la force militaire, d'assurer la défense des frontières du territoire islamique contre toute agression, et de lutter contre les déviations et l'athéisme lorsque les moyens de la perscrasionne ne suffisent pas.
De ce point de vue, si le gouvernant
n'a pas le savoir nécessaire en matière religieuse, ou encore s'il
transgressait lui-même les règles de la piété, et qu'il se rendait coupable de
péchés et de vices, cela ne serait pas grave.
En fait, seul peut prétendre au titre de successeur du Prophète celui qui peut
assumer toutes les charges qui lui incomberaient. Dans ces conditions, il ne
sera plus possible pour un tyran de régner sur la société musulmane, en foulant
aux pieds les droits des gens, et en faisant couler leur sang en employant la
violence. Un tel homme ne tolérerait aucune opposition, et imposerait
l'obéissance de tous.
C'est sur une telle vue des choses
que s'appuie un grand savant sunnite, en parlant du calife.
"Un calife ne doit jamais être écarté du pouvoir pour avoir foulé aux
pieds les ordres divins, et porté atteinte aux biens des personnes, ou tué et
massacré d'autres, ou pour avoir suspendu les droits des gens ou les lois
divines; mais il incombe à la "Ummat" (communauté islamique) de
corriger ses déviations et de le guider vers le droit chemin."
Dans une telle ambiance, comment des réformateurs pourraient surveiller en
permanence le comportement des dirigeants corrompus, et réagir à chaque fois de
façon adéquate, et écarter la déviation ? Un simple conseil peut-il
suffire à dissuader un gouverneur de persévérer dans son erreur ?
Si vraiment Dieu avait voulu que le
sort de la communauté musulmane tombe entre les mains de gouvernants incapables,
injustes et tyranniques, il n'y aurait eu aucune nécessité d'envoyer un
prophète, ni de révéler les prescriptions nécessaires à l'édification de la
société musulmane.
Peut-on dire que tous ces hommes épris de liberté qui s’est opposés aux tyrans
au cours des siècles avaient agi contre la volonté de Dieu ?
Un intellectuel sunnite, le Dr Abdel
Aziz al-Dowri écrit :
"Au moment où se consolida la souveraineté du califat, la théorie
politique des sunnites -à ce sujet- ne s'appuyait pas seulement sur le Coran et
le Hadith, mais aussi sur le principe du commentaire et de la justification du
Coran et de la Tradition conformément aux faits et évènements qui ont suivi.
Dans cette optique, toutes les générations ont exercé leur part d'influence sur
la formulation de la théorie du califat qui était renouvelée et mise au goût du
jour par chaque génération. Un exemple frappant nous est donné par le Qâdî Abou
l Hassan Mâwardi, qui fut le chef de l'appareil judiciaire du Calife. Dans son
ouvrage célèbre "Al-Ahkâm al-Sultâniyya", il traite de la
question du califat. Bien que vivant à une époque de décadence du califat, il
consacra tout son effort intellectuel à montrer que les opinions de ses
prédécesseurs parmi juristes étaient parfaitement conformes aux pratiques de
son temps. Il ne fit montre d'aucune originalité, ni de liberté de pensée.
Voici un extrait de ce qu'il écrivit :
"Il est légalement permis qu'un
homme soit à la tête du califat sans en avoir les qualités requises, même s'il
existe un autre homme qui en remplit les conditions; et si un homme a été
choisi, on ne peut pas l'écarter du pouvoir pour la raison qu'il existe un
autre plus compétent et meilleur que lui."
Il confirme ainsi ce principe et se fonde sur lui, pour justifier le règne de
nombreux califes non qualifiés pour diriger les musulmans. Il avait aussi
peut-être l'intention de réfuter la conception politique du chiisme. Nous
voyons cependant que les opinions théologiques qu'il a discutées, ne visaient à
rien d'autre qu'à convaincre les sunnites que les décisions du calife de leur
temps étaient justifiées; et la notion de "consensus" (ijmâ')
était abusivement exploitée."
Tels sont les fondements intellectuels de ceux qui se disent les partisans de
la Tradition prophétique, les gardiens de la religion et de la Charia.
Quant aux penseurs de l'islam et aux réformateurs de la société, les partisans des Imams de la justice, les preuves de Dieu, les guides de la Création, ils sont appelés "hérétiques" (râfizi), et déserteurs de la tradition du Prophète de Dieu.
Qu'adviendrait-il de la religion de Dieu si le droit était reconnu à des gouvernants tout à fait étrangers à l'esprit de l'islam et foulant aux pieds les lois célestes, de prendre la direction des affaires des croyants, et si ces derniers se voyaient contraints de leur obéir en tout?
Peut-on alors penser que la fidélité à la Loi prophétique se résume à cela ? Une telle façon de penser n'aurait-elle pas comme seul résultat de reconnaître officiellement le droit illimité des tyrans et des oppresseurs ?
Dans l'optique chi'ite, l'imamat est une sorte de direction divine et une responsabilité confiée par Dieu, comme la prophétie, avec cette différence que le prophète est le fondateur d'une religion et l'Imam en est le gardien. Il est du devoir du peuple de le prendre pour exemple et de s'inspirer de lui dans toutes les dimensions de la vie.
La nécessité se fit sentir pour la communauté musulmane, dès la mort du Prophète, d'une personnalité forte, capable, de grande vertu et pure de tout péché, afin de poursuivre la voie du fondateur de la Loi islamique.
En demeurant attentif aux évènements, et conscient des dangers de la déviation, il sera en mesure de faire profiter tout le peuple de ses vastes connaissances de la religion, dans tous les domaines, et de maintenir vivante la flamme du monothéisme.
L'imamat et le califat sont indissociables, comme sont indissociables dans l'Envoyé de Dieu les deux fonctions de prophète et de gouvernant. Car l'islam spirituel et l'islam temporel sont les parties d'un même tout. Mais au cours de l'histoire, la puissance politique des musulmans a été séparée de la puissance spirituelle.
Si un homme juste, pieux et capable n'était pas à la tête des musulmans et s'il ne leur servait pas de guide et de modèle, la situation ne serait plus propice à l'instauration de la justice, et à l'épanouissement moral et religieux, et les conditions ne seraient plus garanties pour que la religion joue pleinement son rôle.
Pour signifier l'impact de l'action
des gouvernants sur leurs peuples, Ali, l'Emir des Croyants a dit :
"Les gens tiennent plus de leurs dirigeants, en matière morale, que de
leurs parents."
Puisque la qualité des objectifs d'un gouvernement dépend à ce point de
la qualité des gouvernants, il est logique que les objectifs d'un gouvernement
islamique requièrent des dirigeants dotés des meilleures qualités morales et de
la meilleure compétence dans tous les domaines.
En outre, le besoin qu'éprouve la société d'un dirigeant excellent en tout, est un besoin normal et naturel. De même que l'islam a satisfait par des lois adéquates les besoins individuels et sociaux, aussi bien temporels que spirituels, de même il faudrait que son besoin d'un dirigeant soit satisfait de façon conforme à la nature humaine, et qu'il soit aussi conforme à l'attente des hommes.
Comment Dieu qui a pourvu les êtres humains en instruments nécessaires ou accessoires, afin de leur permettre de surmonter leur insuffisance intrinsèque et de progresser vers la perfection, pourrait-il faire exception dans ce domaine très sensible, et priver les hommes de l'instrument sans lequel leur promotion matérielle et spirituelle serait impossible ?
Peut-on penser que Dieu puisse priver
l'homme des moyens les plus fondamentaux, et lui refuser cette grâce ?
Tant que la communauté musulmane ne réalisera pas l'importance du principe de
l'imamat, elle ne sera jamais en mesure d'assumer pleinement sa mission sur
terre et son programme sera toujours inachevé et privé d'âme.
Le Prophète de l'islam a dit :
"Celui qui meurt sans avoir connu l'imam de son temps, meurt de la mort de
l'Ignorance."
Puisque les gens de l'Ignorance (djâhilyat) étaient des polythéistes,
ils ne connaissaient ni Dieu, ni les prophètes. Cette tradition montre
l'importance qu'attachait le Prophète de l'islam au principe de l'Imam qui
révèle aux croyants les voies de la perfection.