De par sa nature même, l'homme aspire
à la perfection.
Même si, comme c'est souvent le cas, il n'en a pas conscience, la trajectoire
de sa vie finit toujours par lui montrer que le chemin parcouru l'a amélioré
plus ou moins. Et quand il a conscience de cette règle non écrite qui régit sa
vie, il accomplit des progrès plus rapides, réalisant toutes ses capacités.
Mais cela n'est pas toujours une chose facile, car en lui-même, l'homme porte
des forces contraires, qui cherchent à entraver son ascension : ce sont
les passions infinies, destructrices, diaboliques. Il aura donc à les
combattre, à s'arracher à leur emprise. Tant qu'il aura un souffle de vie,
l'homme devra concentrer son regard sur le chemin de la perfection.
Dans le chiisme, cette idée de
perfection à laquelle aspirent tous les hommes et les femmes, implique la
nécessité de l'existence d'un être en qui les perfections virtuelles sont déjà
réalisées.
Sans cet être parfait, nos aspirations seraient irrationnelles, car on ne peut
aspirer à l'impossible.
Cet être n'est autre que l'Imam, qui réunit toutes les qualités spirituelles,
connaît tous les mystères de l'existence. Il est un être parfait, impeccable,
ne souffrant d'aucune déficience, car c'est Dieu qui l'a choisi pour être Sa
preuve auprès des hommes, le garant de Sa révélation.
Il est l'intermédiaire entre le monde
du mystère divin et le monde de la manifestation sensible qui est celui des
hommes. C'est lui qui guide les hommes intérieurement, vers leurs perfections
particulières.
Si un tel être venait à disparaître, les hommes ne sauraient plus retrouver
leur chemin vers Dieu; ils perdraient le lien nécessaire entre le monde du
mystère divin et le monde de la manifestation sensible. Ce qui revient à dire
que leur ascension vers la perfection sera stoppé.
Or cela serait contraire à la volonté divine qui assigne une finalité à la création, et qui pour cette raison, ne priverait pas les hommes du moyen d'accès à la voie de la perfection, et au bonheur dans ce monde et dans l'autre. C'est même pour cela que Dieu a toujours suscité des prophètes, pour enseigner aux hommes l'existence d'un idéal et les appeler à essayer de le réaliser.
Le monothéisme professe que Dieu est
le Maître de l'existence. Il gouverne aussi tout naturellement le monde de
l'homme qui est une partie intégrante de l'Univers.
Mais l'homme, en vertu d'une faveur divine, jouit de la liberté de choix, du
libre-arbitre dans ses actions et pensées. Mais contrairement à ce que l'on
peut croire à première vue, il n'y a pas contradiction entre la volonté divine
et le principe du libre-arbitre des hommes.
Car la religion est une grâce de Dieu, c'est-à-dire un effet de Sa bonté destiné à aider les hommes à trouver rapidement la voie du bonheur. Elle balise le chemin de la perfection avec des interdits parfois, et des obligations d'autres fois. Ceux qui ne la suivent pas sont libres de le faire, mais ils se rendent généralement vite compte qu'ils ne peuvent rien par eux-mêmes.
Il vaut mieux conformer sa volonté à
celle de Dieu; afin de respecter l'ordre qui régit l'univers; et pour. Qu’il
ait une correspondance normale entre le macrocosme (l'univers) et le microcosme
(l'individu).
Seul un homme connaissant de façon innée, les règles régissant l'univers, sous
tous ses rapports, .peut assurer la succession du Prophète. Cet homme ne doit
pas exercer lui aussi la fonction de prophète, puisque cette fonction est close
définitivement avec le Prophète de l'islam. Mais il exerce la charge d'imam,
qui correspond précisément au besoin des hommes qui, ayant reçu une Loi divine,
craignent de diverger danse son interprétation autorisée, infaillible, comme
c'était le cas lorsque le Prophète était vivant.
Seul un imam peut garantir que les portes de la voie droite et du bonheur soient ouvertes devant les hommes. Et seul un imam peut être le défenseur des intérêts authentiques de l'islam et des musulmans, face aux autres peuples et nations.
Il est vrai que seul le premier imam,
Ali Ibn Abi Taleb -parmi les douze imams- a eu l'occasion de diriger pendant
quelque temps, les affaires de la communauté musulmane, lorsqu'il était calife.
Mais si les autres imams n'ont jamais été à la tête de l'Etat islamique, la
faute en revenait aux musulmans eux-mêmes qui n'ont pas su ou pu préparer le terrain
favorable à leur avènement au pouvoir. Ces imams étaient connus de tous, et
leur mérite, leur droiture et leur immense savoir n'ont jamais été contestés
même par leurs ennemis. Les hommes ont ainsi été frustrés du bonheur que leur
aurait certainement procuré la présence de ces imams à la tête de leurs
affaires.
Mais la charge de l'imamat ne s'exerce pas seulement sur le plan politique;
même plus, l'absence de la dimension politique ne la diminue en rien. Car
l'imam est une nécessité religieuse, une charge divine qui demeure telle même
si l'humanité entière venait à la contester.
C'est Dieu qui charge l'imam de
veiller à l'intégrité de la révélation, de la Loi divine; de former les hommes
en leur inculquant l'enseignement authentique de l'islam, de témoigner toujours
du vrai et du droit, en un mot de se faire 1'ombre de Dieu sur la terre, son
vicaire, son représentant Du fait qu'ils sont imams par la volonté de Dieu, ils
continuent forcément de l'être, même si les rênes du pouvoir politique leur ont
échappé.
Leur rayonnement atteint tous ceux des hommes qui le méritent. Ils dirigent les
coeurs des hommes qui aspirent à la vérité. Ils ont formé des générations de
musulmans, de toutes conditions sociales, à la vraie religion, combattant ainsi
les innovations introduites par la dynastie des Omeyyades et celle des
Abbassides.
Ils ont largement contribué à
consolider les fondements de l'islam, et à freiner les tendances
déviationnistes qui cherchaient à réduire la révélation à un commandement, de
la conformer à des rites dépouillés de sens, et à en éliminer les enseignements
politiques sociaux et culturels.
Leur présence seule a permis de dissuader les gouvernants omeyyades, puis
abbassides, de fouler aux pieds de nombreux principes islamiques.
L'imam Ali lui-même, était souvent
intervenu, sous le califat des trois premiers califes pour corriger une
sentence rendue par des compagnons inattentifs, évitant ainsi que s'accomplisse
l'injustice.
On sait que Omar ibn al-Khattâb n'hésitait pas à consulter Ali au sujet de
toute difficulté qu'il rencontrait; et qu'il avait coutume comme nous l'avons
déjà dit, de dire à ce propos :
"N'eût été Ali, Omar périrait", ou encore : "Plût à Dieu
que je ne rencontre pas de situation difficile à dénouer où je n'aurais pas Ali
à mes côtés pour m'y aider."
L'imam Ali a joué ce rôle auprès de
nombreux autres musulmans qui venaient apprendre les sciences religieuses.
L'activité intellectuelle des imams fut d'une intensité telle qu'aujourd'hui
nous possédons des volumes entiers de traditions qui témoignent de l'immensité
de leur science et du grand nombre de leurs disciples. Ils ont pu ainsi
constituer l'école juridique la plus achevée, et de nos jours seul le chiisme
garde encore vivante la tradition de l'Ijtihâd, alors que chez les sunnites,
l'étude du droit est restée en l'état où l'avaient laissée les fondateurs des
quatre écoles principales.
Il faut savoir que les imams ont accompli leur travail salutaire dans des
conditions extrêmement difficiles : les pouvoirs politiques étaient tyranniques
et impitoyables, et se méfiaient de toute idée qui pouvait faire naître la
contestation de leurs pratiques, ou de leur train de vie.
Certains califes craignant la renommée grandissante des imams, ont usé de différents stratagèmes contre eux. Par exemple, le calife abbasside al-Ma'moun croyant avoir trouvé la méthode la plus efficace pour détruire le huitième imam, l'imam al-Reza, aux yeux du peuple, organisa des séances de débats scientifiques auxquelles prenait part l'imam et des savants de différentes disciplines ou même de différentes religions, dans l'espoir que l'imam serait battu. Mais dans ces controverses, l'imam sortait toujours vainqueur, et la manoeuvre de Ma'moun ne fit que servir la cause du chiisme.
Ainsi, les Imams de la Maison du Prophète
se sont montrés tous, l'un après l'autre, comme les véritables gardiens de
l'orthodoxie islamique, les maîtres à penser de tous les juristes, même des
Fuqahâ sunnites.
Chacun sait que c'est l'imam Ja'far al-Sâdiq qui a, dans l'islam, inauguré la
recherche dans les domaines de la philosophie, de la théologie scolastique (kalâm),
des mathématiques et de la chimie.
"Parmi ses élèves en philosophie et théologie, il y avait : Mufadhal
ibn Omar, Mu'min al-Tâq, Hichâm ibn al-Hakam, et Hichâm ibn Salem.
Dans les mathématiques et la chimie,
son plus célèbre disciple était : Jâber ibn Hayyân.
Et enfin dans le droit et l'exégèse coranique, il y avait : Zurâra,
Muhammad ibn Moslem, Jam îl ibn Darrâj, 'imrân ibn A'yun, Abou Basîr, Abdallah
ibn Sînân."
Ibn Chahrâchoub rapporte ce qui suit :
"Plus que tout autre, on le mentionne (l'imam Ja'far Sâdeq-que la paix
soit sur lui-) comme un maître en plusieurs disciplines scientifiques. On a
évalué à quatre mille le nombre de ses élèves, et beaucoup de penseurs sunnites
ont rapporté de lui des jugements dans les différentes branches du
savoir."
Abu Nu'aym écrit dans son Hilyat-ul-awliyâ:
"Parmi les célébrités et notoriétés des sciences religieuses ayant
rapporté des traditions de Ja'far al-Sâdeq, il y a:
Malek ibn Anas, Chu'batu ibn al-Hajjâj, Soufyân al-Thawrî, Abdul Malek ibn
al-Jarî h, Abdullah ibn Amrû, Suleyman ibn Bilâl, Rûh ibn al-Qassim, Soufyân
ibn 'Uyayna, Ismâïl ibn Ja'far, Hatem ibn Ismâïl, Abdul Aziz ibn al-Mokhtâr,
Wahb ibn Khaled, Ibrahim ibn Tahhân."
Dans son commentaire du Nahj
al-Balâgha Ibn abi al-Hadid, le grand savant sunnite, écrit à propos de l'Imam
Ali Ibn Abi Taleb :
"Que dirais-je d'un homme dont procède toute vertu, et qui est le terme
final de toute secte; toutes les factions se le disputent Il est le maître des
qualités excellentes, leur source, leur fondateur...
Je sais que la science la plus noble est la science divine; car la noblesse
d'une science est à la mesure de la noblesse de son objet; or son objet est le
plus noble des êtres; la science divine est par conséquent la plus noble des
sciences. (Dans ce domaine) c'est de la parole de imam Ali que l'on s'est
inspiré, de lui que l'on a transmis; il est le terme ultime de cette science;
et il en est aussi la source.
Les mutazilites -qui sont les
partisans de l'Unité divine et de la Justice divine, et qui sont des maîtres de
la voie spéculative sont ses disciples et ses compagnons. Car leur maître
éponyme, Wâsil ibn Atâ, était un disciple d'Abou Hachem Abdallah ibn Muhammad
ibn al-Hanafiyya, et Abou Hachem fut le disciple de son père et son père fut le
disciple de Ali Ibn Abi Taleb.
Quant aux Ach'arites, ils adhèrent aux opinions d'Abou l Hassan Ali ibn Ismâïl
ibn Abi Bachr al-Ach'ari. Il fut le disciple d'Abou Ali al-Jubbâ'ï et Abou Ali
est l'un des maîtres des Mutazilites. Par conséquent les Ach'arites procèdent
du maître des Mutazilites qui fut Ali lbn Abi Taleb.
Quant aux imâmites et aux Zaydites, leur adhésion à Ali Ibn Abi Taleb est
déclarée.
Dans les sciences religieuses,
considérons le fiqh (le droit musulman). Ali en est le fondateur et le pilier.
Tout juriste de l'islam lui est redevable et a tiré profit de sa science
juridique.
Les partisans d'Abou Hanifa, comme Abou Youssef, Muhammad et les autres, ont
reçu leur science d'Abou Hanifa lui-même.
Quant à Chàfi'i, il étudia auprès de Muhammad ibn al-Hassan, et sa doctrine
remonte aussi à Abou Hanifa. Ahmad ibn Hanbal lui même, étudia auprès de
Châfi'i, et son savoir remonte donc aussi à Abou Hanifa.
Abou Hanifa étudia auprès de Ja'ffar
ibn Muhammad, lequel eut son père pour maître, la chaîne de transmission
remontant jusqu'à Ali Ibn Abi Taleb.
Quant à Malek ibn Anas, il étudia auprès de Rabia' al-Ray et Rabi'a eut pour
maître 'Ikrima, celui-ci fut le disciple de Abdullah ibn al-Abbas, lui même
disciple et compagnon de Ali Ibn Abi Taleb.
On peut aussi emprunter une autre voie de transmission du savoir, pour lui
rattacher l'école Châfi'ite, puisque Châfi'i fut aussi le disciple de Malek ibn
Anas.
Cela, en ce qui concerne les quatre fondateurs des écoles sunnites. Quant au
droit chiite, il est manifeste qu'il procède de Ali.
De même, Omar ibn al-Khattâb et
Abdallah ibn Abbas qui étaient les juristes parmi les compagnons du Prophète,
ils sont tous les deux redevables à Ali. Quant à Ibn al-Abbas, c'est une chose
connue. Quant à Omar, chacun sait qu'il se référa plusieurs fois à Ali, à
propos de questions juridiques complexes que ni lui-même ni les autres
compagnons n'arrivaient pas à dénouer. En plusieurs occasions, comme nous
l'avons déjà cité, il avait marqué son besoin de la présence de Ali à ses
côtés; et il avait carrément ordonné aux responsables de son temps, de
consulter Ali dans les problèmes sérieux :
"Que personne d'entre vous n'émette de sentence juridique dans cette
assemblée, quand Ali y est présent" C'est là un autre exemple de la
position qu'occupe Ali en tant que le plus grand maître du droit musulman.
Les traditions sunnites et chiites
rapportent la parole du Prophète :
"Le plus versé d'entre vous en matière de justice est Ali".
Or la justice (qadhâ) est le droit (fiqhâ). De même, tous
rapportent que le Prophète a dit au moment d'envoyer Ali comme juge au
Yémen :
"Mon Dieu, guide son coeur, et soutiens sa langue !»
Et Ali a déclaré :
"Depuis que le Prophète fit pour moi cette prière, je n'eus plus jamais de
doute, dans aucun jugement entre deux parties." Dans la science de
l'exégèse coranique, tous les docteurs musulmans lui sont redevables. Cela
ressort manifestement d'un examen de tout le commentaire mère.
Ali est la principale autorité en la matière; et le nom de Abdallah ibn Abbas
dont les occurrences sont les plus fréquentes en matière de commentaire du
Coran ne fait que confirmer cela puisque Ibn Abbas fut lui-même un disciple de
Ali.
On demanda un jour à Ibn al-Abbas
d'estimer l'étendue de sa science par comparaison avec celle de son cousin
(l'imam Ali), il répondit : "Une goutte par rapport à
l’Océan !".
Quant à la science de la grammaire arabe, il va sans dire qu'il en fut le
fondateur. Il en dicta les fondements et les règles à Abou al-Aswad al-Du'âlî.
Il fut le premier à distinguer dans la langue les trois composantes : le
nom, le verbe, et la préposition (harf), ce dernier mot désignant en
arabe un champ plus large. Il divisa les mots en définis (ma'rifa) et
indéfinis (nakera).
Aussi, il enseigna les cas de
déclinaison qui interviennent dans la langue, et qui sont au nombre de quatre.
Il est évident que tout cela peut être considéré comme un véritable miracle,
car un homme ne peut à lui seul avoir une capacité créatrice dans autant de
domaines."