Contrairement à certaines religions
qui se contentent de prêcher des enseignements purement intellectuels, sans
engager profondément leurs fidèles, l'islam cherche à organiser à la fois la
vie privée et la vie collective des musulmans, en établissant un lien étroit
entre la dimension individuelle et la dimension collective.
Si la communauté est responsable de l'individu, ce dernier est aussi
responsable de la communauté. En d'autres termes, si un musulman se retrouvait
seul musulman sur la terre, il devrait se considérer comme une communauté
potentielle, comme le noyau d'où germera une nouvelle communauté musulmane, et
devrait agir en conséquence.
Le modèle, l'exemple à suivre est le
Prophète lui-même. Or, si le Prophète reçoit la révélation, il ne se contente
pas de l'appliquer. Il est envoyé pour l'humanité entière. Il prêche l'islam,
il réunit les premiers musulmans, les organise entre eux et dans leurs rapports
avec les non musulmans.
Il fonde une société nouvelle, et mène des guerres pour la protéger. En tout
cela, aucune visée expansionniste, nationaliste, économique; tout individu et
tout peuple qui entre dans l'islam en acquière les droits et les devoirs.
L'Etat doit être islamique, et il ne
sera parfait que s'il défend parfaitement l'islam, que s'il ne se permet pas le
moindre écart à la norme des prescriptions divines.
Si la direction religieuse était séparée de la direction politique, et si la
religion ne prêtait aucun intérêt à l'ordre politique, se contentant de prêcher
dans les mosquées, ces prêches n'auraient aucune garantie d'exécution.
En outre, s'il arrivait que, par suite des efforts des intellectuels et des
prédicateurs, les gens commençaient à manifester leur désir de se doter
d'institutions islamiques, les tenants du pouvoir réagiraient avec violence
pour les en empêcher, et prendre des mesures destinées à consolider davantage
leur pouvoir.
Si donc la religion considère que le
bonheur des hommes réside dans la mise en conformité de leur vie avec les
enseignements révélés, il faut bien qu'elle ait son mot à dire au sujet du
pouvoir politique, qu'elle expose aux gens sa conception de l'ordre social, et
qu'elle agisse dans le sens qui lui donnerait la base la plus large possible.
L'édification d'une société humaine a toujours été l'objectif principal de
l'islam et de tous les monothéismes; et les prophètes ont tous tenté de
garantir leurs prédications, de ne pas les laisser à la merci des évènements,
après leur mort.
Le gouvernement de l'islam est né
après l'émigration du Prophète de la Mecque à Médine où il fonde le premier
Etat islamique qui servira de modèle, d'archétype à tous ceux qui après lui,
tenteront de recimenter l'unité des musulmans.
C'est depuis ce temps-là qu'ont été définies la nature et la fonction de l'Etat
islamique. Seul un Etat organisé par un homme inspiré de Dieu, pouvait réaliser
le miracle de la rapide expansion de l'islam. Médine est en fait un motif de
fierté pour tous les monothéistes, pour tous ceux qui croient en l'intervention
de Dieu dans les affaires humaines.
La cause du succès de l'Etat médinois résidait dans le fait que le Prophète ne se contentait pas de fonder des institutions politiques; il en définissait d'abord l'esprit, et leur créait les bases morales et spirituelles de leur efficacité. Les compagnons que le Prophète désignait comme gouverneurs ou envoyait comme émissaires auprès des rois et empereurs contemporains, étaient tous parfaitement imbus de l'esprit et des valeurs de l'islam.
Le message que ces émissaires du Prophète apportaient aux peuples non musulmans était d'une limpidité telle que ces peuples adhéraient très rapidement à l'islam, au point que de nos jours, nombreux sont les historiens pour qui il est impropre de parler de "conquêtes" des arabes, puisqu'à leurs yeux, le seul terme qui conviendrait est celui d'adhésion tout à fait volontaire à la nouvelle religion. Bien sûr les résistances des classes dirigeantes ont été cause de grandes batailles, mais elles ont été toutes remportées par l'islam.
En maints endroits, le Coran a défini
la mission "politique" du Prophète :
"Nous avons lait descendre vers toi l'Ecriture chargée de Vérité,
déclarant véridique ce qui, de l'Ecriture, est antérieur à elle et en
proclamant l'authenticité. Arbitre donc entre tous ces gens au moyen de ce que
Dieu a lait descendre ! Ne suis point leurs doctrines pernicieuses
t'écartant de la Vérité venue à toi ! A tous, Nous avons donné une règle
et une voie."
Ce sont les prophètes qui ont aplani
le terrain pour l'avènement du gouvernement de Dieu sur terre, et ce sont eux
qui ont encouragé les hommes à oeuvrer dans le sens d'une prise en main des
rênes du pouvoir par les croyants.
A propos du prophète Joseph, le Coran dit :
"Et quand il eut atteint sa maturité, Nous lui donnâmes un pouvoir et
Une science. C'est ainsi que nous récompensons les bienfaisants.
Et à propos de David, il dit :
"Ô David ! Nous avons fait de toi un vicaire sur la terre.
Gouverne donc parmi les hommes avec le droit; et ne suis pas la passion, car
elle t'égarerait du chemin de Dieu. Ceux qui s'égareraient du chemin de Dieu,
connaîtraient un châtiment sévère, pour avoir oublié le Jour du compte."
Les prescriptions relatives aux peines légales (huodoud) et aux compensations (diyât), ainsi qu'aux autres chapitres du droit musulman (fiqh), sont une illustration des règles d'application et d'exécution à respecter par le gouvernement islamique mis en place par le Prophète.
Outre sa dimension exécutive, le gouvernement du Prophète se devait d'avoir une autre particularité, à savoir la mise en place d'une base adéquate pour assurer la stabilité de la prédication islamique. Il faut en effet sans cesse expliquer aux hommes ce qui rend nécessaire l'exécution des prescriptions divines, ce qui requiert leur permanence. Pour cela, on doit leur expliquer les enseignements du Livre sacré, dans les différents domaines de la culture, afin d'accroître toujours leur niveau de conscience religieuse.
Le Coran expose en ces termes les
différents aspects de la mission du Prophète :
"C'est Lui qui a suscité parmi les illettrés un Envoyé issu d'eux, qui
leur récite Ses versets, qui les purifie, et qui leur enseigne le Livre et la
sagesse; bien qu'ils furent auparavant dans un égarement manifeste."
On voit donc bien que la
responsabilité du Prophète était très large; il ne devait pas être un simple
gestionnaire de l'Etat; il avait aussi la charge d'orienter les hommes, de les
guider, de leur transmettre les prescriptions divines.
Il s'ensuit qu'il incomberait à tout successeur authentique du Prophète d'être
compétent dans ces deux dimensions de la politique islamique, à savoir :
Prendre en charge le gouvernement des affaires de la communauté musulmane d'une part, et de l'autre, posséder la compétence nécessaire pour guider les musulmans, préserver les fondements de la foi islamique de toute altération et de toute déviation, résister fermement aux vagues déferlantes de l'impiété et de l'égarement qui menacent en permanence les musulmans, et combattre toute .sorte d'atteinte à l'intégrité des territoires musulmans, pour assurer par cela le maintien de l'islam dans le monde.
La meilleure voie à suivre pour assurer tous les droits individuels et sociaux, pour répandre la justice et le bien, consiste à confier les rênes du pouvoir aux hommes de mérite, et le gouvernement le plus compétent est celui des imams infaillibles, parce que préservés de l'erreur. Car le gouvernement d'un homme choisi par Dieu est en réalité le gouvernement de Dieu lui-même. Seul un tel gouvernement saurait assurer et faire respecter les droits de l'homme.
Beaucoup de gouvernements prétendent
défendre et promouvoir les droits de l'homme, mais en réalité ils les foulent
aux pieds, et font régner la loi du plus fort et du plus corrompu, car ils
n'ont aucune assise divine, et se contentent -dans le meilleur des cas- de
critères positifs.
Seuls des hommes dotés des mêmes qualités que celles du Prophète peuvent lui
succéder. Ils doivent en posséder les qualités de connaissance et de science,
d'action, et de réaction aux évènements qui surviennent.
Outre les qualités morales et les vertus spirituelles qui le portent au niveau de l'impeccabilité, l'imam doit avoir une connaissance parfaite des réalités de la religion, de façon à être capable de donner une réponse adéquate à toutes les questions qui lui seront posées, sur la base de la Vérité et de la Loi islamique, de régler tout problème, et de trancher en toute justice dans tous les cas.
S'il en est autrement, alors, l'islam refuse de confier son destin au premier venu, et ne peut entériner n'importe quelle situation.
Si certains dirigeants de l'islam,
après la mort du Prophète, ont échoué, et ont eux-mêmes reconnu leur échec,
c'est parce qu'ils ont pris le pouvoir, sans réunir les deux dimensions
nécessaires, qui sont indissociables.
Sans la science prophétique, même le mieux intentionné des hommes ne saurait
être le garant de l'islam.
Evoquant l'attitude des hommes réunis
dans la Saqîfa où furent dissociés les deux aspects de la mission prophétique,
et où l'on a exclu le critère de la science, l'imam al-Bâqer avait coutume de
réciter ce verset coranique :
"Envient-ils ces hommes à cause de ce que Dieu leur a accordé de Ses
bienfaits? Nous avons donné à la Famille d'Abraham le Livre et la Sagesse, et
nous leur avons donné une Royauté immense."
Le cinquième imam des chiites
(al-Bâqer) voulait signifier par là que Dieu avait donné à la descendance
d'Abraham la direction des affaires des hommes en même temps qu'il leur avait
accordé la direction spirituelle.
Puis il ajoutait :
"Comment reconnaissent-ils (les Arabes) cela aux enfants d'Abraham, et le
renient-ils à la Famille de Muhammad -que la paix et les bénédictions divines
soient sur lui et sur ses descendants-?