Chef de l’Institution Générale des Récitateurs d’Egypte
Lorsque sa voix apaisante émane des ondes radio ou des cassettes de Coran, tout un chacun reconnaît l’identité de ce récitateur respecté, devenu, après un long parcours lumineux, le maître d’une école distinguée dans l’art de la récitation du Noble Coran. Entre sa naissance en 1917 E.C. et son décès 63 plus tard, il s’attacha à l’acquisition de toutes les sciences en relation avec le Noble Coran. Il mémorisa entièrement de nombreux ouvrages de référence. Aussi, les moments les plus heureux de sa vie sont ceux qu’il passait avec les versets de la Sage Révélation, avec son être et son savoir.
Sheikh Mahmûd Khalîl Al-Husarî ne s’est pas contenté d’être un récitateur dont la voix fait vibrer le cœur, car les belles voix sont nombreuses, mais combien laissent un impact auprès de leur audience ? La récitation selon lui est régie par des règles et des principes. Et depuis sa plus tendre enfance, il fut passionné par la science des lectionnaires (`ilm al-qirâ’ât) [1] si bien qu’il devint une des figures prépondérantes de cet art et dont les ouvrages sont enseignés aux étudiants. Ce faisant, il gardait toujours à l’esprit la parole du Messager d’Allah - paix et bénédiction sur lui : "Le meilleur parmi vous est celui qui apprend le Coran et l’enseigne".
Nous avons affaire à un maître-récitateur, versé dans cette littérature qui contribua à l’enrichissement de la bibliothèque islamique par de nombreux ouvrages et enseignements ainsi que par plusieurs dizaines de conférences données dans les universités égyptiennes, arabes et islamiques. Il œuvra pour la plus noble des missions, celle de la préservation du Livre de Dieu de toute corruption ou déformation. En effet, il fut à la tête de tous les récitateurs du monde islamique pendant vingt ans et fut membre de l’Académie des Recherches Islamiques regroupant l’Assemblée des Grands Savants d’Al-Azhar.
Sheikh Mahmûd Khalîl Al-Husarî naquit en 1917 à Shubrâ An-Namlah, un village situé dans la région de Tanta. Il mémorisa le Saint Coran avant l’âge de onze ans à l’école coranique de son village. Il se dirigea ensuite vers la Mosquée Ahmadienne, qui était la destination privilégiée d’étudiants de toute provenance recherchant le savoir et visant à approfondir les principes de la récitation coranique, auprès d’éminents professeurs tels Mustafa Al-Murawwij. Sheikh Al-Husarî y passa plusieurs années avant d’obtenir sa licence de récitateur. Il se consacra alors à l’enseignement de la science des lectionnaires, de la jurisprudence et de l’exégèse avant de se tourner vers le public pour lui faire écouter le Coran de sa belle voix et l’excellente interprétation qui est sienne.
Sheikh Mahmûd Khalîl Al-Husarî fut influencé par ses débuts à Tantâ à la Mosquée Ahmadienne, nommée ainsi en hommage au pieux ascète As-Sayyid Ahmad Al-Badawî. La célébration de l’anniversaire de ce dernier, l’une des plus grandes commémorations du pays, influença de nombreuses personnalités de cette région d’une manière ou d’une autre. En effet, Tanta connaît un festival annuel durant une semaine entière où contribuent de grands écrivains et artistes dans des rassemblements populaires, auxquels participent aussi bien les habitants de la ville que les invités qui y affluent. Les retentissements d’un tel festival duraient jusqu’au festival de l’année suivante, enrichissant ainsi le goût pour la culture des habitants de la région. Ceci contribua à renforcer de nombreux talents qui se firent connaître par leurs activités créatives. Parmi ces talents, figurait Sheikh Al-Husarî.
Sheikh Mahmûd Khalîl Al-Husarî poursuivit ses études à l’Université d’Al Azhar car, très tôt, il fut conscient que son rôle de récitateur et de prédicateur devait être soutenu par des bases scientifiques solides. Alors, avant de se frayer un chemin parmi les illustres récitateurs de l’époque, il s’instruisit auprès de nobles professeurs et savants d’Al Azhar, et les accompagna dans leurs rencontres et colloques du quartier Al Husayn, qui était le lieu de rencontre de penseurs, d’artistes et d’intellectuels égyptiens. C’était également le point d’affluence des récitateurs et des hymnodes créatifs. Il puisa dans ce milieu de nombreux secrets des sciences du Coran et de l’art de la récitation.
Sans surprise, Al-Husarî fut classé premier au concours de la radio égyptienne en 1944. Il força l’admiration du jury d’admission qui vit en lui le prolongement naturel des géants de la récitation qui occupaient la scène à cette époque comme Sheikh Muhammad Rif`at, Sheikh `Alî Mahmûd et Sheikh `Abd Al-Fattâh Ash-Sha`shâ`î.
Quand sa voix retentit pour la première fois sur les ondes de la radio égyptienne, il reçut une large appréciation pour son style unique et son respect sans faille des principes de la récitation. Un an seulement après son admission à la radio, il s’en retourna à Tanta pour être titularisé par le Ministère des Biens de mainmorte, malgré son entrée récente sur la scène de la récitation, en tant que récitateur de la Mosquée Ahmadienne où il avait passé des années dans l’acquisition du savoir. Les gens qui affluent à cette mosquée des quatre coins d’Egypte lui réservèrent un accueil très chaleureux, notamment pendant la fête annuelle d’As-Sayyid Ahmad Al-Badawî.
Sheikh Mahmûd Khalîl Al-Husarî demeura le récitateur attitré de la Mosquée Ahmadienne pendant dix ans, période où il se forgea une renommée exceptionnelle pour un récitateur de son âge. Ensuite, en 1955, le Ministère des Biens de mainmorte le nomma en tant que récitateur de la Mosquée Al Husayn où il passa vingt-neuf années consécutives jusqu’à son décès. Pendant cette période, il confirma son génie et son mérite à ce poste convoité par tous les récitateurs renommés.
Sheikh Al-Husarî occupa divers postes à l’Institution Générale des Récitateurs d’Egypte. D’abord, il fut inspecteur des récitateurs. Puis, il occupa le poste d’adjoint à la direction avant d’en devenir le chef en 1961. Il devint également membre du Comité de Correction des Codex Coraniques dès 1959 ; il en devint le directeur adjoint en 1962, puis il en prit la direction. Ensuite, il fut nommé expert à l’Académie des Recherches Islamiques pour les Affaires du Saint Coran en 1967. Il fut le premier récitateur à enregistrer le Coran selon la technique du tartîl (psalmodie rapide) dans le lectionnaire de Hafs selon `Âsim en 1961 puis dans le lectionnaire de Warsh selon Nâfi` en 1964, puis dans le lectionnaire de Qâlûn et d’Ad-Dûrî pour les pays où ils sont usités en 1968. Dans la même année, il enregistra le Coran selon la technique pédagogique d’Al-Mushaf Al-Mu`allim.
Il est vrai que chaque récitateur (qâri’) est un monde à part doté d’un goût et d’une sensibilité propre se reflétant sur son audience. Mais Sheikh Al-Husarî n’en demeure pas moins le plus savant d’entre eux et le plus expérimenté dans l’art de la récitation. Il possédait en effet une connaissance étendue des sciences de l’exégegrave se (tafsîr) et du Hadîth, et a rédigé plusieurs ouvrages dans le domaine des sciences du Coran publiés et distribués par le Conseil Supérieur des Affaires Islamiques. Le Sheikh possédait une sensibilité exacerbée par la littérature, la pensée et la culture de manière générale, et la littérature du voyage en particulier. On lui compte même quelques écrits sur ses nombreux voyages à travers le monde islamique et à l’étranger.
Sheikh Al-Husarî composa plus de onze livres traitant des sciences du Coran dont :
· Ma` Al-Qur’ân Al-Karîm (Avec le Saint Coran) ;
· As-Sabîl Al-Muyassar fi Qirâ’at Al Imâm Abû Ja`far (La Voie Aisée vers le Lectionnaire de l’Imâm Abû Ja`far) ;
· Riwâyat Warsh (Le Lectionnaire de Warsh) ;
· Riwâyat Ad-Dûrî `an Abî `Amr Al-`Alâ’ Al-Basrî (Le Lectionnaire d’Ad-Dûrî selon Abû `Amr Al-`Alâ’ Al-Basrî) ;
· Ahkâm Qirâ’at Al-Qur’ân Al-Karîm (Les Règles de la récitation du Saint Coran) ;
· Al-Qirâ’ât Al-`Ahsr (Les Dix Lectionnaires) ;
· Ma`âlim Al-Ihtidâ’ ilâ Ma`rifat Al-Waqf Wal-Ibtidâ’ (De la Connaissance des pauses et des reprises dans la récitation du Coran) ;
Dans la préface du premier livre susmentionné, Ma` Al-Qur’ân Al-Karîm, Sheikh Mahmûd Shaltût, le Grand Imâm d’Al-Azhar à l’époque, dit de lui : "Dieu a accordé à de nombreuses personnes les bienfaits de ce monde et de l’au-delà, et leur a octroyé le bonheur dans ces deux demeures par cette voie droite, la voie du Saint Coran. Ils l’apprirent, le récitèrent et l’honrèrent comme il se doit. Ils n’ont eu de trêve à le servir et trouvèrent en lui le bonheur car il les guide toujours vers la Vérité et le Droit Chemin". Sheikh Shaltût poursuit : "Parmi ceux-là, j’ai connu notre fils Sheikh Mahmûd Khalîl Al-Husarî. J’ai découvert en lui un récitateur excellent, observant Dieu avec une crainte révérencielle dans sa récitation et suivant la méthodologie de nos pieux prédécesseurs dans la lecture du Livre d’Allah sans jamais s’en écarter. Sa récitation emplit les cœurs de paix, de sécurité et de quiétude et ouvre à son audience les voie de la guidance".
Les initiatives et les efforts de Sheikh Mahmûd Khalîl Al-Husarî ne s’arrêtèrent pas là : on lui doit l’enregistrement du Coran sur cassettes, selon la technique du tartîl (cadence rapide), dans le lectionnaire de Hafs, dans celui de Warsh, dans celui de Qâlûn et dans celui d’Ad-Dûrî et ce, pour les pays où ces lectionnaires sont répandus. De plus, il réalisa un enregistrement pédagogique du Saint Coran (Al-Mushaf Al-Mu`allim) ainsi qu’un disque pour l’apprentissage de la prière. Depuis sa fondation, la Radio du Saint Coran (au Caire) le diffusait exclusivement pendant dix ans pour ce qui est du tartîl et ce à destination de plus d’un milliard de musulmans dans le monde.
Il est un désaccord autour de la psalmodie de ce récitateur et de son interprétation. Bien que sa technique soit unanimement reconnue comme une des plus pures dans le monde de la récitation du Coran, certaines personnes trouvent la mélodie de sa psalmodie par trop académique et peu encline à exalter les sentiments de l’auditoire. D’autres en revanche, et en particulier dans la campagne égyptienne, sont transcendés par sa voix et lui réservent une admiration particulière.
Conscient des reproches que certains lui faisaient, Sheikh Al-Husarî évitait néanmoins soigneusement de répondre à leurs demandes et d’adopter une interprétation "chantée" du Coran. Ainsi sa récitation s’arrêtait-elle à un respect scrupuleux des règles scientifiques connues et autorisées par les savants et les maîtres de la récitation tels que Hafs, Warsh, etc. Il réussit à s’écarter et à fuir le style "chanté" pendant la récitation, ce même style qui conduit parfois l’audience à l’excitation et aux acclamations bruyantes par excès d’émotion. Une telle excitation pourrait en effet détourner les esprits de la méditation et de l’approfondissement du message coranique qui nécessite une réceptivité dans une ambiance calme et paisible. Telle est l’école où Sheikh Al-Husarî atteignit le sommet de la maîtrise et reçut tous les honneurs.
Sheikh Al-Husarî fut connu pour son tartîl (psalmodie rapide) du Saint Coran, technique qui de son point de vue est la plus correcte et la plus légitime comme le confirment de nombreux autres savants de la récitation. Il dit à cet égard : "Le tartîl donne corps à chaque mot d’une façon univoque, chose qui ne peut se produire dans une pure interprétation "chantée" où les mots sont soumis à une certaine musicalité s’opposant à la nécessaire empreinte sonore indispensable pour la réalisation du sens. Et si l’on ressent au cours de l’interprétation "chantée" une excitation issue de la saturation mélodique, on ressent à l’opposé pendant le tartîl une quiétude et un recueillement issus du rayonnement du message du Saint Coran."
A une autre occasion, il défendit son style de récitation du Saint Coran, disant : "Le tartîl nous met directement face au texte coranique. Il nous met en position d’écoute positive dans un pur débat intellectuel qui responsabilise celui qui écoute. Alors que la restitution "chantée" empreint des passages de recueillement par une enveloppe de gaîté, le tartîl est plus difficile car il restitue plus fidèlement le sens. L’origine du tartîl est en effet avant tout le texte coranique lui-même et non pas le rythme musical".
Ainsi, Sheikh Al-Husarî était convaincu tout au long de sa vie que le tartîl n’est pas uniquement un ensemble de règles de récitation que l’on apprend. Le tartîl est non seulement un art très complexe et très précis mais il nécessite des études approfondies en linguistique et en dialectes arabes anciens, ainsi qu’en exégèse, en tonalités vocales et en lectionnaires. Il nécessite également une voix extrêmement sensible capable de rendre des nuances de timbre extrêmement fines. Tout ceci revêtit la voix d’Al-Husarî d’une beauté, d’une aura et d’une capacité à restituer le sens des versets telle que les peuples musulmans non arabophones comprenaient Al-Husarî et allait à la rencontre du Coran à travers sa voix. Ce fut une caractéristique que Dieu attribua à la voix de ce récitateur, ce qui contribua à sa reconnaissance dans le monde entier.
Au cours de son long parcours, Sheikh Al-Husarî obtint diverses médailles et décorations et fut honoré par de nombreux pays musulmans et étrangers auxquels il rendit visite. Il fut distingué par les leaders, les rois et les présidents. Il reçut entre autres la Médaille d’Honneur des Sciences et des Arts du Président Jamâl `Abd An-Nâsir en 1967 et fut élu Président de la Ligue Islamique Mondiale des Récitateurs du Coran. Il eut l’occasion de réciter le Saint Coran devant le Congrès américain et les Nations Unies. Grâce à lui, Dieu guida des dizaines de personnes au cours de ses voyages à l’étranger. Il demeura tout au long de sa vie un chercheur, un écrivain, un penseur, l’une des plus grandes personnalités publiques d’Egypte et du monde arabo-musulman. Sheikh Al-Husarî est l’un des récitateurs les plus savants et les plus expérimentés dans l’art de la récitation et l’un des meilleurs connaisseurs des sciences de l’exégèse et du Hadîth. C’est pourquoi il reçut le diplôme d’Al Azhar des dix lectionnaires du Coran en 1958.
Sheikh Mahmûd Khalîl Al-Husarî resta fidèle à sa mission initiale : s’en tenir au Livre de Dieu par la mémoire et par l’action. A sa mort en 1980, il légua ainsi le tiers de sa fortune à la subvention de projet caritatifs et à la construction d’une mosquée dans le quartier d’Al-`Ajûzah au Caire, mosquée proposant au public divers services religieux, médicaux et sociaux gérés par le fils du Sheikh, Dr Muhammad Al-Husarî, dentiste réputé. Il prévit également dans son testament les dépenses de la mosquée qu’il fit construire à Tantâ ainsi que les trois instituts islamiques et la bibliothèque de mémorisation du Saint Coran qu’il laissa au service du public dans son village Shubrâ An-Namlah.