Le Récit des Quatre Paradis

Sourate (55) : Le Miséricordieux (Al-Rahmân)

A- La Sourate


46-« Il aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressa son Seigneur. »
47-« Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
48- « Deux Jardins pleins de floraison »
49- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
50- « Où coulent deux sources. »
51- «Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
52- « Où il y aura toutes les espèces de fruits. »
53- « « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
54- « Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart et les fruits des deux Jardins seront à leur portée. »
55- « « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
56- « Là, ils rencontreront celles dont les regards sont chastes et que ni homme ni djinn n’ont jamais touchées avant eux »
57- «  Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
58- « Elle seront semblables au rubis et au corail. »
59- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
60- « La récompense du bien est-elle autre chose que le bien ? »
61- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
62- « Il y aura deux Jardins en deçà de ces deux-là. »
63- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
64- « Deux Jardins ombragés »
65- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
66- « Dans lesquels jaillissent deux sources »
67- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
68- « Ces deux Jardins contiennent des fruits, des palmiers, des grenadiers. »
69- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
70- « Il y aura là des vierges bonnes et belles. »
71- «  Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
72- « Des Houris qui vivent retirées sous leurs tentes »
73- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
74- « Que ni homme ni djinn, n’a jamais touchées avant eux »
75- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
76- « Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de baux tapis »
77- « Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »
78- « Bénis soit le Nom de ton Seigneur plein de Majesté et de Munificence »

Le récit des "Quatre Paradis" occupe les versets 46-78 de la sourate "le Miséricordieux" (al-Rahmân). Mais avant d'aborder le récit qui nous intéresse, il convient de dire quelques mots à propos de cette Sourate qui se détache des autres chapitres du Coran par beaucoup de ses aspects, et que le Noble Prophète a qualifiée de 'Arûs al-Qor'ân (l'épousée du Coran), c'est-à-dire la plus belle, la plus gracieuse etc... Étant donné que les plus beaux jours de la vie d'une femme ce sont les jours de noces où elle met en évidence toute sa beauté et toute sa grâce et qu'elle se voit chérie, choyée et entourée de tous les soins.

En fait la Sourate "le Miséricordieux" se signale à l'esprit du lecteur aussi bien par sa forme (la force du style, l'intensité des images, la beauté de la description etc...) que par son contenu (ses thèmes et ses messages).

Le célèbre orientaliste et traducteur du Coran, le Professeur Jacques Berque a dit à propos de ce chef-d'oeuvre: «Cette sourate, en forme de psaume à répons, dirait-on, ou du moins à refrain, serait par sa grâce, 'arûs al-Qur'ân (la Fiancée du Coran). Tout entière elle commente l'attribut divin Rahman (...). Ce qui est sûr, c'est que toute la sourate, comme Mu'allaqa de Labîd, se place, pour des raisons rhétoriques ou didactiques, sous le signe duel. On ne peut rester insensible à son grandiose souffle lyrique».[1]

La Sourate "Le Miséricordieux" expose en général les différents Bienfaits, matériels, moraux et spirituels qu'Allah a accordés à Ses serviteurs. C'est pourquoi on pourrait l'appeler la "Sourate de la Miséricorde" ou la "Sourate du Bienfait", et c'est la raison pour laquelle elle débute par le Nom béni du "Miséricordieux" qui forme à lui seul un verset, le premier.

On ne manquera pas de remarquer qu'un verset en duel (tous deux, vous...) revient en refrain plus ou moins régulier, trente et une fois : «Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez» pour souligner à l'attention aussi bien des humains que des djinns l'évidence et le caractère irréfragable des manifestations de la Miséricorde d'Allah à travers Ses innombrables Bienfaits.

Cependant, on peut diviser les contenus de la Sourate en cinq parties :

- La première partie (qui couvre les premiers versets) met en évidence les grands Bienfaits divins relatifs à la création de l'homme, à son éducation et à son instruction, à sa nourriture spirituelle et corporelle.

- La deuxième partie explique la question de la création des hommes et des djinns.

- La troisième partie énumère les Signes et les Preuves divins sur la terre et dans le ciel.

- La quatrième partie décrit d'une façon précise et détaillée les Bienfaits et les privilèges (matériels et moraux) réservés dans le Paradis aux serviteurs pieux.

- La cinquième partie le destin des pécheurs et des criminels et le châtiment sévère qui les attendra est brièvement abordé.

La raison de cette brièveté dans la présentation du destin des pécheurs, qui contraste singulièrement avec la description très détaillée de la récompense décernée aux croyants pieux tient au fait, justement, que cette Sourate est consacrée à la Miséricorde d'Allah qui touche généralement tout le monde, y compris les pécheurs, surtout lorsqu'ils se montrent repentants.

Il est dit que la récitation de cette sourate appelle beaucoup de bénédictions et apporte de nombreuses récompenses spirituelles.

En effet, selon Obay Ibn Ka'b, le Prophète a dit : «Allah compatira à la faiblesse de quiconque récite la Sourate al-Rahmân; celui qui la récite aura montré sa gratitude envers les Bienfaits qu'Allah lui a accordés».

Et d'après un hadith attribué à l'Imâm Ja'far al-Sâdiq (p) : «Ne manquez pas de réciter la Sourate Al-Rahmân (....) laquelle se présentera à son Seigneur, le Jour de la Résurrection, sous forme humaine, impeccablement présentable et dont exhale le meilleur parfum, et se placera le plus proche possible d'Allah. Allah lui demandera alors : "Qui te récitait avec assiduité et s'appliquait à ta récitation avec persévérance dans le bas monde ?". Elle répondra : "Untel, Untel et Untel...". Ceux-ci seront alors blanchis (de tous péchés) et Allah leur dira : "Intercédez en faveur de quiconque vous désirez". Là ils intercéderont en faveur de tous ceux qu'ils voudront, jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne en faveur duquel ils désireront intercéder. Allah leur dira alors : "Entrez au Paradis et installez-vous là où il vous plaira». [2]

Selon l'Imâm al-Sâdiq également : «On doit réciter la Sourate al-Rahmân le vendredi, et dire "Je ne nie aucun de Tes Bienfaits, O Seigneur !", chaque fois qu'on récite le verset "Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez"».[3]

Toujours, selon l'Imâm: «Quiconque récite la Sourate al-Rahmân, la nuit, et dit "Je ne nie aucun de Tes Bienfaits, O Seigneur!" après chaque récitation du verset "Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez", Allah le fera escorter d'un Ange protecteur jusqu'au matin, et s'il fait la même chose (la même récitation) à son réveil, le matin, Allah le fera escorter d'un Ange protecteur jusqu'au soir».[4]

B- Le Récit

Dans cette Sourate, "Le Miséricordieux" il y a une narration qui décrit deux par deux, quatre Paradis dans le milieu de l'Au-delà, c'est-à-dire qu'il y a deux Paradis pour un héros et deux autres pour un second héros, et que chaque couple de Paradis est décrit - quant aux détails du milieu - d'une façon distincte de l'autre, distinction certainement significative, sur laquelle il est important de nous attarder.

Lisons tout d'abord l'introduction faite par le récit, des deux premiers Paradis :

«Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur. »Quel est donc celui des bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? »Deux Jardins pleins de floraison».[5]

Lisons ensuite l'introduction faite par le récit des deux autres Paradis :

«Il y aura deux autres Jardins en deçà de ces deux-là. »Quel est donc celui des bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez ? Deux Jardins ombragés».[6]

Cela suppose qu'il y a deux Jardins dont l'environnement est identique en tout : plantes, eau, tapis ou Houris etc., et deux autres Jardins qui sont également identiques mais qui diffèrent des deux premiers.

Une question se pose alors : les quatre Jardins ou plutôt les deux doubles Jardins sont-ils destinés à un même type de croyants considérés selon leur degré de piété ?

Ou bien les deux couples de Jardins ou les deux doubles Jardins représentent-ils deux niveaux ou deux positions préférentiels dans la hiérarchie des valeurs islamique, comme nous allons le remarquer dans la Sourate (56) : "L'Échéant" (al-Wâqi'ah) par exemple, où la position réservée aux "Premiers" est supérieure à celle destinée pour les "gens de la droite ?"

L'importance de cette question réside en ceci qu'elle expliquerait l'importance du devoir ou de l'action de l'homme sur la terre, devoir ou action qui traduit le degré de sa piété (dans ce monde) et détermine la position qu'il occupera, en conséquence, dans le Paradis.

Référons-nous donc au récit pour tenter d'obtenir des éléments de réponse à cette interrogation.

Selon certains textes de tafsîr (exégèse), les deux couples de Jardins sont destinés aux mêmes types de croyants qui peuvent s'y déplacer à leur guise, mais ce qui les distingue, c'est que les deux premiers constituent une sorte de siège particulier pour le croyant, alors que les deux autres qui se situent tout près de ce siège particulier restent à sa disposition et il peut en jouir quand il le veut.

Mais cette interprétation n'est pas plausible pour deux raisons :

1- Parce qu'elle est contraire au sens obvie du texte littéraire;

2- Parce qu'elle est contredite par d'autres exégèses plus crédibles.

En effet sur le plan de la structure romanesque du récit, nous - lecteurs ou auditeurs - ne pouvons pas concevoir qu'un récit puisse construire son ossature sur deux doubles Jardins différents l'un de l'autre, sans que cette différence se reflète sur les héros pour lesquels ces Jardins constituent les environnements et les lieux de jouissance. Donc logiquement il doit y avoir forcément deux types différents de héros qui occuperont respectivement les deux doubles Jardins distincts, chacun selon son rang.

Le critique littéraire ou quiconque possède un goût romanesque en général et connaît les procédés d'esquisse d'un "milieu" et d'un "héros" ou "personnage", et les rapports organiques entre les deux, peut, même sans avoir connaissance des textes de tafsir, déduire que les deux premiers Jardins sont destinés à une catégorie de personnes différente d'une autre catégorie, laquelle devrait être inférieure. Autrement, il n'y aurait pas de justification technique à cette division des Jardins sur le plan de l'ossature romanesque générale.

Mais ce qui est encore plus déterminant à cet égard, c'est que les textes de tafsîr dignes de foi, attribués aux Ahl-ul-Bayt vont dans ce sens : ce qui incite à mieux apprécier la valeur de la technique romanesque qui caractérise les récits du Noble Coran, puisqu'elle permet au lecteur de découvrir lui-même le message que le récit renferme, comme nous allons le voir plus clairement au fur et à mesure que nous développons notre étude de ce récit.

Ce qui nous intéresse à présent, c'est d'aborder, en premier lieu, les détails relatifs aux deux premiers Jardins, et par conséquent aux héros qui en jouissent, et de montrer le lien entre tout ceci avec la tâche d'adoration dont l'homme doit s'acquitter sur la terre, car le sort (réservé aux héros) que le récit dépeint ici dépend de la conduite que le croyant aura choisie sur la terre lorsqu'il s'y trouve tiraillé par le conflit intérieur entre le désir et la raison.

La description du milieu de l'Au-delà débute dans ce récit de la façon suivante :

«Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur».

Ce début romanesque revêt une importance esthétique réjouissante relativement à l'ossature du récit et son incidence sur ses messages idéologiques qui cherchent à distinguer deux catégories de personnes qui occuperont subséquemment deux positions différentes dans le milieu paradisiaque.

Le récit dit qu'il y a deux Jardins destinés à celui qui redoutait son Seigneur. Mais qui est "celui qui redoutait son Seigneur ?" Comment le déterminer ?

La crainte d'Allah ou la crainte révérencielle en général signifie qu'une personne observe les commandements et les interdictions de telle sorte qu'elle mérite une récompense proportionnelle au degré de son observance des ordres d'Allah.

Cette observance des principes divins peut être qualifiée de très élevée, d'un degré tellement supérieur qu'elle dépasse tous les degrés qu'il puisse y avoir entre l'observance et la non observance, entre l'obéissance et la désobéissance, entre la détermination (à observer un principe divin) et l'hésitation, entre la sincérité dans l'observance et l'observance dont se dégage une odeur d'égoïsme.

Les textes de tafsîr projettent une lumière claire sur ce sujet, surtout lorsqu'ils émanent des Imâms d'Ahl-ul-Bayt.( [7] En effet, l'Imâm al-Bâqer dit à ce propos :

«Un homme est très attiré par la satisfaction d'un des désirs de ce monde. Mais la satisfaction de ce désir s'avère constituer une désobéissance à Allah. Cet homme se rappelle alors "le lieu où se dressera son Seigneur"... Il abandonne donc son désir par crainte d'Allah. Et c'est lui qui aura été désigné par ce verset[8] coranique, et les deux Jardins évoqués dans ledit verset sont aux croyants pieux et aux premiers d'entre eux à avoir obéi à Allah».

L'Imâm Ja'far al-Sâdiq, commentant ce même verset dit à son tour :

«Celui qui est conscient qu'Allah le voit, entend ce qu'il dit et sait ce qu'il fait de bien et de mal, et qui, de ce fait s'abstient de mauvaises actions, c'est lui qui "aura redouté le lieu où se dressera son Seigneur"».

Ces deux hadiths de tafsîr expliquent on ne peut plus franchement et clairement que les deux Jardins décrits par le récit reviendront aux personnes qui se seront abstenues de tout péché par crainte d'Allah.

Donc c'est l'observance totale des principes divins, sans que cette observance soit entachée d'un acte de désobéissance, qui conduit un croyant à occuper, au Paradis, une position que d'autres, qui auraient commis, d'une façon ou d'une autre, un péché, ne pourront obtenir.

Ceci est le message idéologique de ce début romanesque : «Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur».

Passons ensuite à la signification technique ou romanesque (de ce début), et à son lien avec les parties suivantes du récit, lesquelles apporteront un éclairage complet sur cet aspect.

Nous avons expliqué que le début romanesque qui évoque deux Jardins, indique que ceux-ci incarnent une position on ne peut plus sublime, étant donné qu'ils sont destinés à des croyants que la crainte révérencielle empêche de commettre un péché, si minime soit-il, ce qui leur fait mériter une récompense supérieure à celle destinée à des gens dont la conduite obéissante est teintée de péché ou marquée d'hésitation.

Mais d'un point de vue purement romanesque, ce début annonce clairement que le couple de Jardins en question est destiné aux "premiers des croyants" et aux croyants pieux, et non aux croyants en général, pour lesquels un autre couple de Jardins, inférieurs aux deux premiers, sont réservés.

Nous pouvons saisir cette différence entre les deux doubles Jardins à travers le lien que le récit nous laisse établir entre son début et sa fin.

Ainsi, alors que le début du récit annonce : «Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur», la fin conclut : «La récompense du bien est-elle autre chose que le bien?».( [9]

Or, il est évident que le mot "bien" (ihsân) ne couvre sa signification linguistique (en arabe) que s'il est accompagné ou synonyme d'absence totale de péché, position qui qualifie les premiers à avoir la "Foi" ou les croyants marqués par la crainte révérencielle, ou la piété (taqwâ), comme l'expliquent les textes de tafsîr que nous avons consultés.

En tout état de cause, la structure architecturale du récit (le début et la fin) montre ce lien entre la "crainte d'Allah" et le "bien", ce qui concorde avec les textes de tafsîr relatifs à ce sujet.

Maintenant, lorsque nous laissons de côté le début et la fin du récit pour nous diriger vers ce qu'on appelle en langage de littérature romanesque le "milieu", à savoir l'espace dans lequel se développent les péripéties - s'il s'agit d'un roman d'action - ou la description, s'il s'agit d'un roman descriptif, comme c'est le cas dont nous traitons ici, il nous faut nous arrêter longuement sur les dimensions de ce "milieu" et sur ses héros (personnages) dont les traits nous ont été dévoilés, à travers le début et la fin du récit, et qui ont eu le privilège d'accéder à ces deux Jardins sublimes.

Le récit dit à propos de ce milieu ou de ces deux Jardins :
1- qu'ils sont «pleins de floraison»[10];
2- «où coulent deux sources»[11];
3- «où il y aura deux espèces de tout fruit»[12];
4- «Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart et les fruits des deux Jardins seront à la portée»[13];
5- «Ils y trouveront celles (les Houris) aux regards chastes, qu'avant eux aucun homme ou jinn n'aura déflorées»[14]. «Elles seront semblables au rubis et au corail»[15].

Telles sont les dimensions ou les ingrédients de ces deux Jardins sublimes qui représentent les hautes positions du Paradis par rapport aux autres.

Mais pour connaître la nature de la différence entre la première et la seconde classe de croyants, si l'on peut s'exprimer ainsi, nous devons lire les ingrédients de deux Jardins inférieurs aussi :

«Il y aura deux autres Jardins en deçà de ces deux-là»[16].

Que cachent-t-ils ?
1- «Deux Jardins ombragés»[17];
2- «Dans lesquels jaillissent deux sources»[18];
3- «Ils contiennent des fruits, des palmiers, des grenadiers»[19];
4- «Il y aura là des vierges bonnes et belles»[20];
5- «Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de beaux tapis»[21].

De prime abord, on croirait que les ingrédients des deux couples de Jardins sont identiques ou semblables, mais lorsqu'on les examine de plus près, on découvre vite qu'il y a une différence entre eux, différence qui renforce la thèse selon laquelle chaque couple de Jardins est destiné à une catégorie différente de croyants, et non celle selon laquelle les deux premiers Jardins servent de siège particulier, et les deux autres comme un lieu public.

En effet, il y a cinq éléments communs dans les quatre Jardins ou les deux couples de Jardins :
1- Les plantes ou les arbres;
2- L'eau ou les sources;
3- Les fruits;
4- Les lits, etc.
5- Les Houris.

Mais si chacun de ces cinq éléments semble identique dans certains de ses aspects dans les deux couples de Jardins, il en diffère de l'un à l'autre, dans d'autres aspects.

Essayons maintenant d'examiner minutieusement chacun de ces cinq éléments, tout en notant qu'ils sont apparus dans le même ordre dans les deux descriptions (sauf pour les houris et les lits) : 1- la plante, 2- l'eau, 3- les fruits.

Concernant les lits et les Houris, ils paraissent respectivement en quatrième et cinquième position dans la description des deux Jardins supérieurs, et inversement dans les descriptions des deux Jardins inférieurs.

Or, il ne fait pas de doute que la description de chacun des cinq éléments suivant un ordre précis revêt une importance architecturale dans l'ossature du récit : les arbres, l'eau, les fruits.

De même, concernant les deux Jardins destinés aux croyants de la première catégorie, le fait de faire figurer la description des lits (4e dans l'ordre) avant la description des Houris (5e dans l'ordre), est significatif sur le plan architectural (de l'ossature du récit).

La question qui se pose maintenant est: pourquoi la description des lits figure dans la quatrième position, avant la description des Houris lorsqu'il s'agit des croyants de la première catégorie, alors que cet ordre est inversé dans le cas de la seconde catégorie?

Cette interrogation, tout comme l'interrogation relative à la différence entre les deux catégories de croyants, est d'une grande importance dans la mesure où elle se rapporte à notre conduite dans la vie terrestre et à la conséquence de cette conduite (selon nos préoccupations spirituelles et matérielles) sur la récompense dans l'Au-delà, récompense qui nous prépare un environnement qui concorde avec la nature de nos préoccupations spirituelles et matérielles dans l'Au-delà aussi.

Nous avons dit que les quatre Jardins, les deux Jardins supérieurs et les deux Jardins inférieurs renferment cinq éléments ou cinq ingrédients environnementaux : les plantes, l'eau, les fruits, les lits, les Houris.

Il nous faut maintenant comparer chacun de ces cinq éléments dans les deux couples de Jardins afin de bien saisir ce qui différencie le double Jardin supérieur du double Jardin inférieur.

Commençant par les plantes ou les arbres.

Le récit dit à cet égard en ce qui concerne le double Jardin supérieur : «deux Jardins pleins de floraison»[22], ou «aux branches fraîches»( [23] (selon une autre traduction), et en ce qui concerne le double Jardin inférieur :

«Deux Jardins ombragés»[24] (ou «de verdures assombries»[25] ou «Ils sont d'un vert sombre»[26] ou «assombris à force de verdure»[27], selon d'autres traductions).

Sur le plan de la dimension esthétique de chaque deux Jardins, ceux supérieurs ont des branches, et ceux inférieurs sont d'un vert sombre ou aux plantes touffues.

Normalement la vue de branches suspendues tout comme la vue d'arbres assombris par la couleur ou la densité, constituent toutes deux un paysage agréable, réjouissant et merveilleux en général.

Mais la différence entre la vue de branches et la vue d'arbres assombris par la couleur vert foncé ou par leur densité est évidente en ce qui concerne le degré de la jouissance esthétique que chacune des deux vues offre au spectateur ou à l'observateur.

Nous pouvons percevoir cette différence à travers nos expériences dans l'observation des paysages de la nature : la vue d'une densité d'arbres ou d'arbres vert fourré n'est-elle pas moins réjouissante que la vue de branches suspendues d'une façon remarquable et harmonieuse, surtout lorsque la branche porte des fruits ou des bourgeons.

En outre lorsque le branchage est bien fourni et étendu de sorte qu'il couvre une large surface, cela remplace l'élément esthétique qui caractérise les deux Jardins inférieurs, à savoir la densité ou la quantité des arbres. En d'autres termes, les deux Jardins supérieurs portent les mêmes caractéristiques et quelque chose de plus que les deux Jardins inférieurs. Ceci n'est qu'un des aspects de la différence qui distingue les deux couples de Jardins.

Le deuxième élément commun aux quatre Jardins est l'eau. propos des deux Jardins supérieurs le récit dit à ce sujet :

«Où coulent deux sources».[28]

Et pour ce qui concerne les deux Jardins inférieurs :

«Dans lesquels jaillissent deux sources»[29]. Dans le premier cas les deux sources coulent, dans le second cas, elles jaillissent.

De prime abord l'eau ou la source jaillissante paraîtrait plus réjouissante que la source coulante, notamment pour nos yeux qui sont généralement plus excités par la vue du jet d'eau.

Mais une observation plus minutieuse nous conduirait à avoir une réaction contraire à notre réaction ordinaire à cet égard : notre attirance vers les sources jaillissantes est passagère, par comparaison à notre attirance vers l'écoulement de l'eau ou des sources.

En effet, l'écoulement de l'eau présente une variété de vues ou de paysages - suivant les divers tournants et ramifications qu'elle emprunte à partir des quatre ou six côtés (ou plus) de la source - qui chasse la monotonie qu'engendre un seul et même mouvement de l'eau qui jaillit d'une source.

Certes l'eau jaillissante pourrait avoir les mêmes tournants et ramifications que l'eau de sources coulantes, mais le paysage qu'elle offre demeure moins réjouissant du fait de la nature même de son mouvement qui reste superficiel par rapport à la forme de la surface de la terre, et non pas uni à elle, comme c'est le cas de l'eau des sources coulantes qui prend la forme de cette surface.

En outre la facilité de l'utilisation des eaux des sources coulantes (boire, lavage, moyen de transport) est plus grande que celle des eaux des sources jaillissantes. En un mot : l'aspect utilitaire est nettement plus perceptible dans le cas de l'eau coulante que dans celui de l'eau jaillissante.insi, les eaux qui coulent demeurent plus réjouissantes et plus utiles que les sources jaillissantes, ce qui constitue une faveur supplémentaire réservée aux héros ou personnages des Jardins supérieurs par rapport à ce qui est accordé aux personnages des Jardins inférieurs.

Le troisième des cinq éléments que renferme l'environnement des quatre Jardins est le fruit.

En ce qui concerne les fruits des Jardins supérieurs le récit annonce :

«Ils contiennent deux espèces de chaque fruit»[30],

Et ceux des deux Jardins inférieurs :

«Ils contiennent des fruits, des dattiers, des grenadiers»[31].

Là encore, à première vue, on croirait que les deux Jardins inférieurs renferment en plus des fruits en général, les dattiers et les grenadiers, alors que dans les deux Jardins supérieurs il y a deux espèces de tout fruit. Mais lorsque nous réfléchissons un peu plus sur le texte, nous remarquerons que les deux descriptions nous permettent de constater que les croyants qui ont pour demeure les deux Jardins supérieurs, sont en fait favorisés là aussi.

Certes, les dattes et la grenade - selon l'exégèse qui renvoie le texte coranique à son contexte historique - constituent les meilleurs des fruits. Et lorsque le récit nous dit que les deux Jardins inférieurs comprennent des fruits, des dattiers et des grenadiers, il entend par là que dans ces deux Jardins il y a tous les fruits, y compris les meilleurs d'entre eux, en l'occurrence: les dattes et les grenades.

Mais lorsque nous nous référons aux deux Jardins supérieurs, nous nous rendrons compte qu'ils renferment tout ce que les deux Jardins inférieurs renferme, et davantage, puisqu'il y a non seulement toutes les sortes des fruits (comme dans les deux Jardins inférieurs), mais en plus, il y en a deux espèces de chacun (de ces fruits). Ainsi, les raisins par exemple, se trouvent aussi bien dans les deux Jardins inférieurs que dans les deux Jardins supérieurs, mais dans ces derniers, il existe deux espèces de ce fruit : le raisin frais et le raisin sec par exemple, et chacun d'eux, est appétissant et a une propriété particulière, alors que dans les deux Jardins inférieurs il n'y en a qu'une espèce.

Donc, il y une grande différence dans le degré de jouissance et de satisfaction des besoins selon qu'il est accordé aux personnages de la première ou de la seconde catégorie des croyants qui accéderont au Paradis : ceux de la première catégorie auront droit à deux espèces de chaque fruit.

Une fois encore, notons que l'existence de cette différence évoque dans notre esprit la différence - dans la conduite terrestre de l'homme - entre un croyant qui ne commet aucun péché lorsqu'il se trouve comme tout un chacun, impliqué dans le conflit intérieur entre le désir et la raison, et un autre croyant qui tombe en proie à l'hésitation entre les deux parties en conflit, ou qui rate parfois l'occasion de montrer son obéissance, en ne sachant pas la saisir à temps, ou encore qui ignore les domaines de l'obéissance - y compris l'acquittement d'un acte recommandé, ce qui aura une incidence sur le degré de la récompense qui lui sera décernée le Jour dernier.

Il nous reste maintenant à examiner les deux derniers éléments (les lits et les Houris) que le récit cite dans un ordre différent selon qu'il s'agit des deux Jardins supérieurs ou des deux Jardins inférieurs, pour voir dans quelle mesure la description de ces deux éléments permet de percevoir la différence de traitement réservé aux héros respectifs des deux paires de Jardins.

Concernant les lits préparés pour les héros des deux Jardins supérieurs, le récit raconte :

«Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart et les fruits des deux Jardins seront à leur portée».[32]

Et pour ce qui concerne ceux des deux Jardins inférieurs, il dit :

«Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de beaux tapis»[33].

Les héros des Jardins supérieurs et ceux des Jardins inférieurs jouissent tous deux du privilège de pouvoir s'accouder lorsqu'ils s'assoient. Mais la différence entre les deux catégories de héros ou de croyants, c'est que ceux du couple de Jardins supérieurs, c'est-à-dire ceux qui «redoutaient tellement le lieu où se dressera leur Seigneur» dans la vie terrestre qu'ils s'étaient abstenus du moindre péché, leur privilège est marqué par d'autant plus de soins et de jouissance que le revers de leurs lits ou tapis était de brocart, de soie à dessins. Quant à l'endroit des tapis ou des lits, le récit se tait, pour des motifs artistiques, laissant au lecteur le loisir de l'imaginer.

En outre, il y une autre marque artistique qui caractérise cette image de lits à revers de brocart sur lesquels sont accoudés les héros : elle suggère au lecteur combien ces derniers vivent dans un climat de douceur, de velouté, de bien-être, de luxe, de réjouissance et de satisfaction en reposant leurs dos sur un bloc de brocart qui fait le revers du lit et non son endroit. Que dire alors de l’endroit ? Le récit n'a pas besoin de le décrire (du point de vue romanesque) dans la mesure où la mise en évidence de la haute qualité du revers conduirait le lecteur à imaginer que l'endroit serait d'une qualité ou d'une douceur du moins égale sinon supérieure, étant donné qu'il a déjà découvert que ce qui distingue les héros des deux Jardins supérieurs, c'est le plus haut degré de luxe dont ils jouissent.

Lorsque nous abordons les personnages de la seconde catégorie et des deux Jardins inférieurs nous remarquons que l'accoudement se fait «sur des coussins verts et sur de beaux tapis»[34] (ou selon d'autres traductions : «sur des tapis verts, et des splendeurs de fable»[35], «sur des sièges verts et merveilleux, jolis»[36], ou «sur des coussins verts et des tapis épais et jolis»).[37]

Ce qui est traduit par coussin ici en arabe (rafraf) lequel peut être un coussin, un tissu, les jardins particuliers du Paradis, ou toute autre chose que le récit qualifie de vert, cette couleur étant de toute évidence plaisante pour les yeux du spectateur ou de l'observateur.

Quant au mot traduit ici par tapis (en arabe 'abqarî) il peut désigner lui aussi tapis ou toute autre chose que le récit qualifie de "beau" pour mieux réjouir le spectateur.

Détail important sur le plan de l'art romanesque, dans ces descriptions faites relativement au milieu des personnages de la seconde catégorie, l'aspect de luxe ou de réjouissance qui prédomine regarde l'envers ou l'extérieur des choses décrites et se rapporte au sens de la vue. Ainsi, les "coussins" sont verts et les tapis, sont d'aspect beau. Donc nous avons affaire à de belles formes et aux couleurs vertes, et non à la matière ou à la substance de ces tapis, coussins ou tissus : lin, brocart, etc.

Cette différence entre l'accoudoir des personnages des Jardins supérieurs et celui des personnages de la catégorie inférieure, doit faire l'objet d'un développement exhaustif, afin que nous puissions mieux saisir les aspects de la beauté artistique du récit et leurs reflets sur les indices qui font ressortir la différence entre ce qui est accordé à des personnages de la catégorie supérieure et à des personnages d'une position inférieure.

Remarquons encore, au risque de nous répéter, ce grand aspect artistique du récit qui s'est ingénié à mettre en exergue la matière ou le côté intérieur des lits (le revers) sur lesquels s'accoudent les personnages de la catégorie supérieure, et la forme extérieure des lits sur lesquels s'accoudent les personnages de la catégorie inférieure.

Or une grande différence sépare ces deux figures ou images : l'image de l'aspect intérieur et l'image de l'aspect extérieur. Lorsque l'aspect intérieur se traduit par "brocart" (pour les personnages des deux Jardins supérieurs), l'aspect extérieur se dévoile de lui-même, vu que celui-là (l'aspect intérieur) est plus important que celui-ci (l'aspect extérieur) d'une part, et que l'intérieur est révélateur de l'extérieur, d'autre part. Et lorsque c'est le contraire qui se produit et que seul l'endroit (l'extérieur) est mis en évidence, comme c'est le cas des accoudoirs des personnages des deux Jardins inférieurs, le revers ou l'intérieur ne se révèle pas de lui-même.

Mais la différence entre les deux paires de paradis ne se limite pas aux indices que nous avons soulignés jusqu'ici. Il y a un autre repère nettement plus perceptible que le récit a placé dans l'environnement des deux Jardins supérieurs permettant ainsi de le distinguer du milieu des personnages des deux Jardins inférieurs.

Relisons donc chacune des deux descriptions. A propos des héros des deux Jardins supérieurs, le récit a relaté :

«Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart et les fruits des deux Jardins seront à leur portée»[38].

Et à propos des personnages des deux Jardins inférieurs :

«Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de beaux tapis»[39]. Ici, on remarque dans le milieu des personnages des Jardins supérieurs un détail de taille qu'on ne retrouve pas dans l'environnement des personnages des Jardins inférieurs.

Ce détail ou ce plus est : «et les fruits des deux Jardins seront à leur portée».

Or, dans le cas des personnages des Jardins inférieurs, ce privilège d'avoir à la portée de la main les fruits du Paradis, lorsqu'ils sont assis et accoudés sur leurs lits ou coussins, n'existe pas.

La question qui se pose alors est pourquoi le fruit revient encore pour constituer un privilège pour les personnages des deux Jardins supérieurs ? Et pourquoi le récit a-t-il entouré de silence cet élément (le fruit) pour ce qui concerne les personnages des deux Jardins inférieurs ? La réponse à ces deux questions requiert un examen approfondi d'une série de procédés artistiques auxquels a recouru le récit et que nous abordons tout de suite.

Nous avons remarqué que les croyants promis aux deux Jardins supérieurs jouissent de privilèges dont sont privés ceux de la catégorie inférieure, en ce qui concerne l'accoudement sur les lits du Paradis. En outre nous avons vu apparaître un nouveau privilège accordé aux premiers, à savoir la proximité des fruits qui leur sont destinés et qui se trouvent à la portée de leurs mains lorsqu'ils sont tranquillement et paisiblement accoudés sur leurs lits ou coussins.

Certes, il est possible que les personnages de la seconde catégorie jouissent du même privilège d'avoir à la portée de la main les fruits qui leurs sont destinés, surtout si l'on suppose que le récit ayant noté ce privilège chez les personnages de la première catégorie, fait l'économie de la mentionner à nouveau, lors de la description du milieu des personnages de la seconde catégorie, laissant au lecteur le soin de déduire une telle possibilité. Cette hypothèse est d'autant plus plausible que les récits coraniques recourent toujours à l'économie d'expression et évitent la répétition chaque fois que le lecteur est susceptible de deviner lui-même ce que le récit omet de répéter ou mentionner.

Cependant et malgré la plausibilité de cette hypothèse, nous pressentons que ce privilège demeure le domaine réservé des personnages de la première catégorie, sachant surtout que le récit s'applique à mettre en avant une distinction entre deux degrés de la piété, ce qui rend absurde l'idée que le récit, tout en cherchant à attirer l'attention des lecteurs sur un privilège qu'il attache à la première catégorie de pieux, en omettant de la mentionner dans la description du milieu des personnages de la seconde catégorie, procède en sorte que ces lecteurs déduisent eux-mêmes que ces derniers jouissent eux aussi de ce privilège.

Une telle déduction aurait été possible dans le cas contraire où l'élément supprimé, l'est dans la description des personnages de la première catégorie et non dans celle des personnages de la seconde catégorie, étant donné que par définition les premiers, la catégorie des privilégiés jouissent de plus de privilèges que la seconde catégorie et qu'ils ne devraient pas par conséquent être privés de privilèges accordés à cette dernière.

Et c'est ce que nous avons vu effectivement dans la description, faite par le récit, des lits de la première catégorie, dont les endroits ou les aspects extérieurs (forme et couleur) n'ont pas été décrits ou mentionnés, alors que, concernant la seconde catégorie, au contraire, l'accent a été mis sur la peinture des aspects extérieurs : «Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de beaux tapis»[40].

Dans un tel cas le récit a omis la description extérieure (la couleur verte et la beauté des lits), laissant au lecteur le soin de le déduire, pour une raison simple : si la seconde catégorie jouit de la belle couleur des lits, la première catégorie doit a fortiori en jouir.

En bref le privilège accordé par le Ciel aux héros des deux Jardins supérieurs, le privilège d'avoir les fruits à leur portée, représente sans aucun doute un élément qui sert à départager les deux catégories de pieux.

Là, une question de la première importance, relative à la technique romanesque, ne manque pas d'être soulevée : le récit coranique se caractérise par sa précision totale, sa sélectivité et sa concision dans la narration des événements et dans la description. Lorsqu'il présente un élément romanesque, il ne le fait pas une seconde fois, comme on l'a vu à propos des fruits.

Ainsi, le récit a parlé d'abord de l'élément (plante ou arbre) et établi à travers lui une comparaison entre la différence de degré chez les croyants, puis il a abordé l'élément (eau) et fait à travers lui une comparaison dans le même sens, ensuite il a présenté l'élément (fruits) pour montrer à travers lui la différence de traitement réservé aux différentes catégories de croyants. Et puisque la distinction entre les différentes catégories de croyants à travers les éléments "fruits" a été faite une première fois dans les versets 52: «où il y aura deux espèces de tous fruits», et 68: «ces deux Jardins contiennent des fruits, des dattiers, des grenadiers», pourquoi le récit n'a-t-il pas inséré ici même l'autre privilège attaché aux fruits, à savoir: «et les fruits des deux Jardins seront à leur portée» (verset 54), qu'il évoquera lorsqu'il décrira l'élément (lit), lequel constitue pourtant un élément indépendant auquel le récit a réservé une place à part?

La réponse à cette question fait ressortir clairement la valeur artistique du récit coranique, et redouble notre intérêt et notre admiration pour cet art grandiose.

Lorsque le récit décrit les lits et les coussins réservés aux croyants respectifs des Jardins supérieurs et des Jardins inférieurs, il vise à faire la distinction entre les privilèges accordés aux premiers et aux seconds, à travers le haut degré de luxe ou de bien-être attaché aux privilèges des personnages des deux Jardins supérieurs. Et puisque ce luxe a atteint un si haut degré pour ceux-ci que même les revers de leurs lits sont de brocart avec tout ce que cela implique de douceur, velouté, et d'absence de toute rudesse, cela signifie que le Ciel veut leur assurer une ambiance de repos total et leur éviter tout effort ou mouvement corporel qui perturberait ce repos absolu et constituerait un élément discordant avec cette ambiance de douceur et de tranquillité totale.

Aussi a-t-il ajouté au confort et au luxe de leurs lits ou coussins, la possibilité de cueillir de leurs mains ou même de leurs bouches les fruits suspendus juste au-dessus de leurs têtes, et de les manger, tout en restant allongés, étendus ou accoudés sur leurs lits, sans se donner la peine de se lever pour les chercher, ou sans être dérangés dans leur quiétude par d'éventuels serviteurs qui viendraient les leur apporter. N'est ce pas le plus haut degré absolu de luxe et de bien-être ?

Les Houris, c'est le cinquième et dernier des éléments communs de l'environnement des deux couples de Jardins paradisiaques.

Concernant cet élément, le privilège ou le détail distinctif dont jouissent les personnages des deux Jardins supérieurs est évident et saute aux yeux, dès qu'on fait une lecture comparative de la description faite à cet égard dans les deux couples de Jardins.

A propos des deux Jardins supérieurs, il est dit :

«Là, ils rencontreront celles (les Houris) dont les regards sont chastes et que ni homme ni djinn n'a jamais touchées avant eux»[41].

«Elles seront semblables au rubis et au corail»[42]

 Et des deux de Jardins inférieurs :

«Il y aura là des vierges bonnes et belles»[43].

«Des Houris qui vivent retirées sous leurs tentes»[44].

«Que ni homme ni djinn, n'a jamais touchées avant eux».[45]

Ce privilège attaché aux Houris des deux Jardins supérieurs est, comme on ne manque pas de le remarquer, que ces Houris «seront semblables au rubis et au corail»[46], détail dont sont dépouillées les Houris des deux Jardins inférieurs.

Mais en dehors de ce privilège ou de ce détail distinctif (propre aux personnages des deux Jardins supérieurs) qui ne fait que confirmer les autres privilèges attachés aux quatre autres éléments que nous avons examinés, ce qui nous intéresse ici relativement à l'élément Houris, c'est l'aspect moral de celles-ci, que le récit met en évidence, et l'opportunité pour nous, les lecteurs, de tirer la leçon de cet aspect moral dans notre vie terrestre.

En effet lorsqu'on relit la partie du récit relative à cet élément, on se rend compte que trois traits caractérisent la morale ou les moeurs des Houris : un trait apparaît lors de la description relative aux deux Jardins supérieurs et deux dans le contexte des deux Jardins inférieurs.

Le premier trait c’est : «celles dont les regards sont chastes»[47] et les deux autres traits : «des vierges bonnes et belles»[48] et «des Houris qui vivent retirées sous leurs tentes».[49]

Ces trois traits ou qualités chez les Houris, à savoir «les regards chastes», «bonnes», «retirées sous leurs tentes» sont de toute évidence des qualités morales dont nous devons nous armer à notre tour, lorsque nous traitons de la conduite humaine sur la terre et sa conséquence sur la récompense décernée dans l'Au-delà, comme le suggère le récit en établissant d'une façon artistique la corrélation entre notre comportement sur la terre et ce que nous aurons dans la vie future, et ce afin de mieux nous servir de notre vie présente dont la seule raison d'être est l'adoration d'Allah ou la Lieutenance d'Allah sur la Terre, et son incidence sur la vie éternelle dont la raison d'être est également l'adoration.

Le récit des Quatre Jardins qui met l'accent sur l'aspect moral des Houris en les décrivant comme étant «aux regards chastes», «bonnes» et «retirées sous leurs tentes», nous conduit à attirer l'attention sur le fait que ce qui différencie l'environnement de la vie future de celui de la vie terrestre, c'est que dans la première (la vie future) l'élément "conflit" disparaît de la structure humaine, dans ce sens que la satisfaction des besoins vitaux ou psychologiques n'est plus précédée d'un conflit entre le bien et le mal, le désir et la raison, mais s'opère suivant une propension unilatérale qui tend à satisfaire les deux sortes des besoins d'une manière purement rationnelle et purement orientée vers le bien.

Dans l'environnement du Paradis, les relations sociales par exemple sont marquées par une entente totale et non précédée de processus de report ou de refoulement du sentiment de haine, de fierté ou de domination, comme cela existe dans la vie terrestre chez les personnes très pieuses qui refoulent ou écartent leurs tendances à la haine, à l'orgueil ou à la domination pour laisser la place à leurs propensions à l'amour, à l'humilité et à l'ascétisme.

Le processus de refoulement auquel recourent les gens pieux dans la vie terrestre disparaît dans la vie future où la propension au mal n'existe pas, et l'inexistence de cette propension fait disparaître avec elle la raison d'être du processus de refoulement.

Ceci vaut également pour la satisfaction des besoins vitaux tels que le manger, le sexe, etc... Là aussi la satisfaction de ces besoins se fait en l'absence de toute tendance au mal.

Mais on pourrait objecter que si telle est la vérité (absence de tendance au mal au Paradis) pourquoi le récit coranique met-il l'accent sur «leurs regards chastes», «leur bonté», «leur retrait sous les tentes», qui devraient constituer les caractères normaux et communs de tous les habitants du Paradis, où ne prévalent que les tendances au bien et où disparaissent toutes les propensions au mal ?

En fait si le récit introduit ces détails, c'est certes pour décrire une réalité de l'environnement paradisiaque d'une part, mais c'est surtout - et c'est là qu'apparaît la valeur du rôle de l'art dans la transmission de messages - pour attirer notre attention sur notre conduite terrestre dans ce domaine, et sur la façon dont doit se comporter la femme vis-à-vis de l'homme.

La première qualité que le récit a soulignée lorsqu'il a abordé le cinquième élément de l'environnement des deux Jardins supérieurs était : «les Houris dont les regards sont chastes».

De même la première qualité mentionnée dans la description des Houris des deux Jardins inférieurs était «bonnes», suivie de «retirées sous leurs tentes», avant d'énumérer les autres traits relatifs à l'aspect vital de la personnalité.

Or, il ne fait pas de doute, du point de vue purement artistique, que le fait d'introduire en premier lieu une qualité avant les autres qualités, signifie que le récit cherche à mettre en évidence ladite qualité -en raison de son importance- plus que sur toute autre.

Et lorsque le récit débute la description des deux Jardins supérieurs et des deux Jardins inférieurs par l'introduction de qualités telles que «aux regards chastes», «bonnes», «retirées sous leurs tentes», il veut attirer notre attention sur la nécessité de nous doter de ces mêmes qualités dans notre vie terrestre.

Ces vérités nous pouvons les appréhender lorsque nous examinons de plus près les qualités ou les traits moraux précités. Par exemple, «aux regards chastes» signifie que ces femmes limitent leurs regards à leurs maris seulement. Et «retirées sous leurs tentes», signifie qu'elles se renferment chez elles, évitant ainsi de s'exposer aux regards des hommes.

Or, ce sont ces mêmes traits sur lesquels la Législation islamique insiste pour ce qui concerne les femmes dans la vie terrestre, puisque le Noble Coran et les Traditions d'Ahl-ul-Bayt (Le Prophète et sa Famille) commandent à la femme d'éviter de voir un non-mahram[50] et d'être vue par lui, et de parler avec lui sauf dans le cas d'un besoin absolu ou de force majeure, et de limiter (réserver) ses rencontres, ses regards et paroles, à son mari.

L'appréhension de ces vérités se cristallise plus concrètement lorsque nous découvrons la nature de la structure humaine dans la vie future, et nous nous rappelons ce que nous avons déjà signalé, à savoir que l'élément "mal" et "le conflit" intérieur qui lui est concomitant disparaissent dans la vie de l'Au-delà.

Si l'accent est mis sur le "voile" ou la "discrétion physique" de la femme, sur "sa vie retirée dans la maison", sur "la limitation de son regard à son mari" même dans la vie future où la tendance au mal et le processus conflictuel entre le bien et le mal sont totalement absents, que dire alors de la vie terrestre où l'être humain est en permanence attiré par sa tendance au mal avec tous les conflits intérieurs qui s’ensuivent ?

Redisons-le une fois de plus : le récit vise, par un procédé romanesque indirect, à attirer notre attention sur la nécessité pour la femme de corriger son attitude dans la vie terrestre, de limiter ses regards à son mari, et ses mouvements au cadre qui lui est déterminé. Peut-être le testament que la Maîtresse des femmes des mondes, Fatima al-Zahrâ' (p) a laissé à la femme et voulant que celle-ci ne voie personne et ne soit vue par personne de non-mahram demeure un critère très clair de sa bonne conduite.

Conclusion : nous avons pu, à travers l'étude de ce récit déterminer les différents procédés artistiques réjouissants qu'il a suivis pour nous faire connaître les vérités relatives à l'environnement des quatre Jardins, et découvrir la nature de la structure architecturale ou de l'ossature artistique générale à travers lequel il nous a permis de percevoir les points distinctifs entre les deux Jardins supérieurs et les deux Jardins inférieurs.

Cependant nous nous devons de rappeler au lecteur, une fois de plus, les messages ou les significations idéologiques du récit, étant donné que la valeur artistique n'a d'autre raison d'être que l'approfondissement et l'éclaircissement des messages moraux ou idéologiques que le récit porte et véhicule.

Ne faut-il pas tirer la leçon de tels récits coraniques futuristes qui nous dessinent les différents aspects des deux couples de Jardins et les points distinctifs qui les départagent, pour façonner nos comportements, dans la vie terrestre selon le modèle qu'ils nous présentent, étant donné que la corrélation entre la vie terrestre et la vie future est tellement indissociable que notre futur reste totalement tributaire de nos actes de piété pour l'accomplissement desquels nous avons été créés ? Autrement nous risquerions de manquer d'exploiter, comme il se doit, chaque instant de notre existence éphémère et pourtant si précieuse, en vue de la construction de notre demeure éternelle.  



[1] "Le Coran", Essai de traduction de l'arabe annoté et suivi d'une étude exégétique, par Jacques Berque, Éditions Sindbad, Paris, 1990, p. 582.
[2]- Voir: "Majma' al-Bayân Li-'Ulûm-il-Qor'ân" d'al-Tabrasî, Sourate "Al-Rahmân". 
[3] Voir: "Majma' al-Bayân Li-'Ulûm-il-Qor'ân" d'al-Tabrasî, Sourate "Al-Rahmân".
[4]  Voir: "Majma' al-Bayân li-'Ulûm-il-Qor'ân" d'al-Tabrasî, Sourate "Al-Rahmân".
[5] Versets 46 - 48
[6] Versets 62 - 64
[7] Il est à noter que les Ahl-ul-Bayt (p) sont les seuls interprètes ou exégètes incontestables du Noble Coran, du fait que le Prophète (P) les a liés indissociablement au Livre d'Allah dans le célèbre Hadith al-Thaqalayn: «Je vous (s'adressant aux Musulmans) laisse derrière moi Deux Poids: le Coran et Les Gens de ma Maison (Ahl-ul-Baytî); ils ne se sépareront jusqu'à ce qu'ils reviennent à moi auprès du Bassin (au Paradis)». Ndt
[8] «Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur» (verset 46)
[9] Verset 60
[10] Verset 48
[11] Verset 50
[12] Verset 52
[13] Verset 54
[14] Verset 56
[15] Verset 58
[16] Verset 62
[17] Verset 64
[18] Verset 66
[19] Verset 68
[20] Verset 70
[21] Verset 76
[22] Verset 48
[23] Hamidullah
[24] Verset 64
[25] Jaques Berque
[26] La Présidence Générale des Directions des Recherches Scientifiques Islamiques, de l'Ifta, de la Prédication et de l'Orientation Religieuse.
[27] Hamidullah
[28] Verset 50
[29] Verset 66
[30] Verset 62
[31] Verset 68
[32] Verset 54
[33] Verset 76
[34] Verset 76
[35] Jacques BERQUE
[36] Hamidullah
[37] La présidence Générale des Directions des Recherches Scientifiques Islamiques, de l'Ifta, de la Prédication et de l'Orientation Religieuse
[38] Verset 54
[39] Verset 76
[40] Verset 76
[41] Verset 56
[42] Verset 58
[43] Verset 70
[44] Verset 72
[45] Verset 74
[46] Verset 58
[47] Verset 56
[48] Verset 70
[49] Verset 72
[50] Non-mahram: quelqu'un qui ne soit pas un proche parent avec lequel la femme n'a pas le droit de se marier: père, frère, grand-père etc.