A PROPOS D’UNE METAPHORE CORANIQUE

KHATF AT-TAYR VERSET 31 DE LA SOURATE AL-HAJJ

KAZIM BARGNAYSI

« Soyez exclusivement [acquis à la religion] d’Allah, ne lui associez rien car quiconque associe à Allah, c’est comme s’il tombait du haut du ciel et que les oiseaux le happaient, ou que le vent le précipitait dans un abîme très profond… »

  « Quiconque associe quoi que ce soit à Dieu se trouve comme s’il était tombé du ciel ; un oiseau du proie le saisit et l’emporte, ou bien le vent le précipite dans un lieu très éloigné » (trad. Masson)

  Ce n’est pas un des versets les plus difficiles du Coran et les commentateurs n’ont pas trouvé beaucoup de peine à expliquer sa teneur générale. Et pourtant, comme nous allons le voir plus loin , ils ont négligé de noter quelques points subtils concernant la métaphore, rendant floue son image claire, en en faisant une image dénuée de cohérence logique, incapable de passer un examen minutieux. Que s’est-il passé ? C ‘est parce qu’ils ont pris trois mots du verset dans leur sens le plus général, négligeant leur utilisation dans la tradition littérale arabe aussi bien que le critère de leur conformité au contexte. Ce qui ne doit pas nous étonner étant donner que la plupart des premiers, mais aussi des derniers exégètes n’ont fait que citer les déclarations des autres et nous pouvons même affirmer que parmi la masse des commentaires existants, le nombre des travaux originaux et indépendants ne dépasse pas les doigts d’une seule main.

   Les commentateurs du Coran, aussi bien que ses traducteurs, ont considéré que les termes tayr, khaft, tahwi bihi, dans le verset sus-mentionné, signifient respectivement "oiseaux" " saisir"  et"rejeter". Le propos de cette étude, comme le lecteur le verra, est que tayr signifie ici "charognards" et vautours, khaft signifie arracher ou dévorer et tahwî bihi a également un sens clair, conforme à la scène décrite dans le verset. J’ai essayé de dénouer l’image réelle du verset sur la base des preuves fournies dans la poésie pré-islamique de la jâhiliyya. Si le Coran fut révélé dans un "arabe clair", ce qui est affirmé par tous, l’on devrait alors se pencher sur l’héritage littéraire de cette langue pour sa compréhension précise.

   J’ai exposé les déclarations de la plupart des commentateurs, depuis les temps les plus reculés jusqu'à l’époque contemporaine, classant leurs remarques en trois approches distinctes. En discutant de la seconde approche, j’ai longuement insisté sur le commentaire d’al-zamakhsharî et de sa critique par Ibn Munrî. Puis,  J’ai souligné les suppositions incorrectes des commentateurs ainsi que les facteurs qui les ont empêchés de comprendre correctement la signification de la métaphore. Ensuite j’ai décrit l’image réaliste du Coran pour finalement, essayé de découvrir, à partie de la poésie de la jahiliyya, les significations des mots importants du verset, en citant les précédences de l’utilisation de l’expression khaft at-tayr dans le hadîth soulignant, à la fin de mon essai, la signification qu’en avaient les Arabes à cette époque.

Exposé des commentaires

Hasan Basrî (m. 110/ 728) a déclaré que ce verset décrit la conséquence finale des actes des non-croyants, parce que les actes de ces derniers sont vains et ne leur procurent aucun bénéfice. Evidemment, cette interprétation est fortement influencée par le verset 18 de la sourate Ibrâhîm. En fait, il a interprété un verset par les termes d’un autre. Nous pouvons donc ignorer cette remarque de H. al-basrî qui ne peut nous aider à comprendre la métaphore dans le verset.

At-tabari (m.310 /922) écrit : "celui qui est coupable de shirk (polytéisme) à l’égard d’Allah, en considération de son éloignement de la voie juste et l’impossibilité d’accéder à la vérité, de sa perdition et de son abandon d’Allah, est comme celui qui  tombe du ciel avant d’ệtre brutalement saisi par les oiseaux ou jeté en un lieu éloigné par le vent. Il est comme celui qui tombe du ciel vers la terre, qui pétrit comme celui qui est saisi, emporté en plein vol, par les oiseaux. Nous discuterons plus loin l’expression en plein vol avancée par At-tabarî. Il nous suffit pour l’instant de souligner que cette courte mais cruciale expression a eu tellement d’effets sur l’esprit des exégètes ultérieurs qu’ils ont négligé la première déclaration d’At-tabari. Nous pouvons même dire que si certains exégètes n’ont pas expressément mentionné en plein vol ou dans l’espace c’est parce qu’ils ont considéré ceci indiscutablement évident.

Shaykh at-tûsî (385 460 995-1067) écrit : celui qui, dans son adoration, associe à Allah est comme celui qui tombe du ciel et qui est happé par les oiseaux. Ce verset signifie que celui qui est coupable de polythéisme à l’égard d’Allah, périra comme l’individu qui glisse du ciel, est happé par un oiseaux et jeté par le vent en un lieu éloigné, ce qui le fera certainement périr. Puis, après cité Hasan al-basri, il ajouté

On dit que l’état du polythéiste a été comparé à quelqu’un qui tombe car un tel individu n’aura aucun contrôle sur ses bénéfices et sera perdu le jour de la Résurrection.

     Nous mentionnerons plus loin en détail les remarques de zamakhshari (m.548 1153) et leur critique par Ibn Munir. Quant à tabarsi(m.548 1153) il a considéré que la signification du verset contraste avec le suivant, rappelant que l’état du polythéiste se situe à l’opposé :Quiconque mécroit au Rebelle tandis qu’il croit en Allah saisit l’anse la plus solide, qui ne peut se briser » (al-baqara, 256). C’est parce qu’il ne peut avoir prise, à cause de son incroyance, il est comme quelqu’un qui tombe du ciel  avant d’ệtre jeté par le vent, sans pouvoir trouver de refuge.

Il cite ensuite al-zajjâj (m.310ou 311 :922ou923) : Allah a déclaré que le polythéiste, en s’éloignant d’Allah, est comme quelqu’un qui tombe du ciel, les oiseaux le happent et le vent le rejette en un lieu éloigné. Il cite une autre opinion selon laquelle l’état du polythéiste a été comparé à celui qui tombe du ciel car il ne peut trouver la voie pour sa délivrance (là yamliku li nafshi hilatun).

     Baghawi (m.516 1122) écrit : l’éloignement d’Allah par celui est coupable de polythéiste est comme celui de quelqu’un qui tombe du ciel et qui est emporté ou happé par les oiseaux ou emporté par le vent (tamilu wa tabhhabu bihi) et qui, en fin de compte , n ‘atteint jamais (Allah ou son propre désir ).

     Fakhr ad-Din Razi (m.606 1209) se limite à remarquer que deux métaphores ont été avancées dans le verset coranique concernant l’incroyance(kufr), pour signifier que l’incroyant se cause du tort à lui-même et n’en retire aucun bénéfice. Il cite les déclarations d’al-zamakhshari sans toutefois le nommer.

   Qurtubi (m.622 1225) écrit que le verset évoque la situation au jour de la Résurrection. Ce jour-là, le polythéiste sera comme celui qui, impuissant, est incapable d’obtenir un bénéfice quelconque ou d’éviter un dommage ou une punition. Il sera comme celui qui tombe du ciel, incapable de se défendre. Fa takhtafudu at-tayr signifie que les oiseaux le mettront en morceaux avec leur serres (tuqatti’uhu bi             ). On a également dit que cela arrivera quand l’ậme du polythéiste quittera son corps et que les anges l’emmèneront au ciel du monde. Mais les portes du ciel ne s’ouvriront pas pour lui et comme le hadith le mentionne, l’ậme du polythéiste sera rejetée bas vers la terre (5).

   Baydawi (m. 791 1389) se limite à cité al-Zamakhshari                et khazin (m.725 1325), avant de citer les commentaires de Baghawi, sans toutefois rappeler le nom du premier. Ibn kathir (m. 725 1372) rappelle que cette métaphore décrit l’erreur et la perdition ultime du polythéiste , lorsqu’il s’éloigne de la voie divine. Celui qui est coupable de polythéiste ressemble à celui qui tombe du ciel, il est mis en morceaux par les oiseaux en plein vol,  ou le vent l’emporte vers un lieu éloigné et désert. Puis il fait ensuite référence à la tradition de Bara b Azib.

     Nous n’avons pas trouvé d’explications supplémentaires dans les autres commentaires. Toutefois, il serait approprié de se référer aux deux œuvres contemporaines, celle d’al-Mizan fi tafsir al-Qur’an du Allama tabataba (m. 1360 H.S 1981) et celle de fi zilal al-Qur’an de sayyid Qutb (m.1966).Ecrivant à ce propos, tabataba i explique que le Tout-Puissant compare le polythéiste qui, à cause de son état, tombe des degrés les plus élevés de l’humanité vers l’abîme infernal de l’égarement et qui finalement, devient le dévôt du diable, à quelqu’un qui tombe du ciel et est happé par les oiseaux. Il considère que makanin Sahiq signifie une très lointaine contrée.

  Quant à Sayyid Qutb, il écrit : ce verset décrit la scène de quelqu’un qui tombe d’un lieu élevé(fa ka annama kharra min as-sama ) qui est mis en morceaux en quelques instants, ou que le vent emporte en un lieu éloigné , vers un profond abîme.Il faut noter, dans ce verset, la vitesse et la violence du mouvement ainsi que la succession des étapes représentées par la particule fa ainsi que la scène de la disparition rapide, décrite de manière captivante dans le style coranique. Cette image décrit l’état de celui qui commet le polythéiste et qui, en conséquence, tombe du degrés élevé de la foi vers l’abîme de la perdition et de l’annihilation car un tel individu, en perdant le refuge sûr et ferme, qui est l’Unicité (tawhid), a également perdu l’abri sécurisant auquel il pouvait avoir recours. Par conséquent, les vents ou les prédateurs l’emmènent, il est emporté dans toutes les directions au gré du caprice des tempêtes.

       Les trois approches

   Si nous mettons de côté le commentaire de H. al-Basri (étant donné qu’il s’appuie sur le sens littéral du verset et considère que la métaphore concerne les actes des croyants et non ces derniers ; de plus, on ne trouve dans son interprétation rien de nouveaux par rapport à la signification du verset ), nous pouvons classer les déclarations des commentateurs en trois approches distinctes :

Dans la première, l’explication du verset est dépourvue de toute espèce d’arrière-plan ou de contexte. En d’autres termes, la métaphore est celle qui sont entièrement ouvertes et bien qu’elle puisse être placée dans différents, elle décrit toujours une scène réaliste et naturelle du monde ici-bas. Même si les exégètes ne l’ont pas expliquée avec précision et clarté.

   Dans la deuxième, la métaphore est expliquée à partir d’un nouvel ange de vue, que l’on peut appeler psychologique. Nous découvrons celui-ci pour la première fois dans al-zamakhshshari (m.528 1123) était un homme de lettres remarquable et, osons l’affirmer, la plupart des commentateurs ultérieurs lui doivent beaucoup dans façon de percevoir les subtilités et les beautés littéraires du Coran.

Dans son kashshaf, al-zamakhshari                     offre deux interprétations de la métaphore coranique que nous étudions. Il commence par remarquer que la comparaison (tashbih) peut être considérée de deux façons différentes, composée (murakkab) ou simplifiées( mufarraq) il faut noter ici que dans une comparaison composée, la chose comparé (mushabbh) et la chose à laquelle on compare (mushabbah bihi) sont pris en considération, en tant que groupe unique, avec tous leurs éléments. En d’autres termes, il n’y a pas de correspondance d’éléments à éléments entre les deux termes, contrairement à la comparaison différenciée, ou on dégage une symétrie entre les deux termes. Al-zamakhshari dit : si la comparaison est composée, cela signifie que celui qui commet le polythéiste à l’égard d’Allah, se fait périr lui-même de la pire manière (ahlaka nafsahu ihlakan laysa ba’dahu nihaya)                           ) car son état et sa condition rappellent celui qui tombe du ciel, et dont la chair est happé par les oiseaux réduite en morceaux entre leurs serres, ou rappelle quelque chose que les vents emportent et jettent dans les abîmes profonds et éloignés. Le commentaire d’al-zamakhshari retrouve le schéma de la première approche, et c’est celle-ci, comme nous le verrons, qui nous permettra de comprendre clairement et précisément la métaphore en question.

   Zamakhshari poursuit : si la comparaison est différenciée, dans ce cas, nous pouvons dire que cette foi peut être comparée à l’élévation du ciel, celui qui l’abandonne et commet le polythéisme est comparé à celui qui tombe du ciel, les désirs qui assaillent ses pensées sont comme les oiseaux agressif, et le diable qui lui fait emprunter cette voie ou cette autre est comme le vent qui déracine toute chose, qui souffle sur lui et l’emprunter vers les abîmes mortels. Ici, al-zamakhshari place la métaphore sur le plan de l’ậme   humaine. La scène décrite dans le verset est allégorique et non réelle. Son cadre n’est ni la nature, ni le monde externe, mais l’ệtre interne du polythéiste, son esprit et ses pensées. De ce point de vue, la scène entière porte une signification allégorique et pour cette raison, al-zamakhsri esseie de trouver le sens réelle chacun des éléments.

Dans quelle mesure ce point de vue est-il influencé par la rationaliste mu’tazilite est un point que nous ne pouvons éclaircir, bien qu’important, à moins d’entreprendre une étude minutieuse de son approche herméneutique ainsi que de celle des autres mu’tazilites.

   Toutefois, tant que situons l’assaut des oiseaux en plein vol, notion affirmés expressément ou implicitement par tous les commentaires, l’on pourra probablement pas offrir une interprétation plus intéressante que celle avancée par al-zamakhsri. Le polythéiste, condamné à tomber et à périr, n’est pas laissé seul, même dans sa chute ou il devient une proie vive pour les oiseaux. Mais cette intéressante scène dramatique suscite plusieurs difficultés.

Ahmad b. Munir al-Iskandarari (m 683 1284) a relevé certains de ces problèmes dans al-intisaf. Ibn Munir, comme al-zamakhsri, réduit les deux composantes de la métaphore, l’assaut des oiseaux et le vent qui souffle, à une seule, alors que lui- même considère que le verset décrit deux sortes de polythéiste. Si nous considérons la comparaison comme étant différenciée, dit-il, dans ce cas, comparer le polythéiste à quelqu’un qui tombe du ciel doit requérir notre attention sur deux point, soit il s’agit d’une apostasie ultérieure à la foi, et dans ce cas, le polythéiste sera comme quelqu’un qui atteint le ciel au moyen de la foi puis qui en tombe par suite de son apostasie. Soit, cela signifie que c’est un polythéisme initial et original. Dans ce cas, la capacité du polythéiste à atteindre la foi et à s’élever vers les hauteurs, à cause de sa foi et d’une part, et son rejet volontaire d’autre part, ont été considérés comme équivalents à une élévation vers le ciel suivie d’une chute, comme le déclare le Très-haut : Quant à ceux qui ne croient pas, ils ont pour défenseurs les tagut qui les font sortir de la lumière aux ténèbres » (al-Baqara : 257).

   Ici, les incroyants sont ceux qui ont abandonné la lumière, bien qu’ils n’y aient jamais baigné, alors qu’ils le pouvaient. Les commentaires d’al-zamakhsri, en comparant les pensées confuses (du polythéiste) aux oiseaux agressifs et son comportement errant, résultant des insinuation du diable aux mouvement ballotants du vent qui le rejette très loin, ne peuvent être non plus acceptés. Car se posent alors deux questions qui relèvent du double état du mécréant. Si le premier état est tenu pour être une métaphore du conflit des désirs et des pensées, et le second une métaphore des insinuation du diable, il a en réalité réduit les deux états à un seul, car la confusion des pensées et le conflit des désirs sont, en eux-même , le produit des insinuations sataniques et ainsi, la distinction engagée n’a pas été poursuivie. C’est vrai. Al-zamakhsri ne devrait pas faire intervenir le diable dans l’interprétation de la métaphore car une telle action ouvre la voie à de nombreuses controverses théologiques, comme en témoigne la critique d’Ibn Munir.

     Toutefois, comment peut-on éviter de mentionner le diable en parlant de voie divine et d’erreur lorsqu’il s’agit de l’esprit humain ? Toute réponse intérieure à ce schéma entraînera dans une polémique théologique, comme l’atteste la réponse d’al-Alusi (m. 1270 1853), l’auteur du commentaire coranique Ruh Ma’ani : les pensées de l’individu sont différentes des insinuations du diable et donc la critique d’Ibn Munir est invalide lorsqu’il affirme que les pensées sont le produit des insinuations satanique, le contexte des versets les considère d’ailleurs comme deux choses différentes.

   Mais qui a affirmé que le polythéisme, en tant que croyance, afflige ses adeptes d’une confusion et d’une gêne mentale ? Si l’idolâtre n’avait pas apporté un sentiment de stabilité et de satisfaction à ses adeptes,  ils ne seraient pas demeurés loyaux envers elle, et, en fin de compte, comme cela est attesté par l’histoire de l’avènement de l’Islam, elle n’aurait pas été défendue avec autant de dévouement. Il semble qu’Ibn Munir ait eu cette pensée car après avoir rejeté les remarques d’al-zamakhsri, il propose une autre explication. Il affirme : Il semble que ces deux métaphores ont besoin d’autres explications. Nous pouvons dire que la situation du mécréant est partagée en deux états, le premier concerne celui qui est hésitant et constamment incertain, incapable de décider quelle voie de perdition il emprunterait. Ce groupe de polythéistes a été comparé à ceux qui sont happés par les oiseaux et mis en pièces. Apeine un oiseau arrache-t-il un morceau de sa chair, qu’un autre l’emmène avec ses serres. C’est l’état du polythéiste indécis qui poursuit les caprices de son esprit pour abandonner les précédents. Le second est un polythéiste fermement décidé et déterminé dans sa fausse croyance et même coupé par, il ne l’abandonnerait ni ne renoncerait à elle. Un tel individu ne peut être ébranlé, on ne peut s’atteindre à ce qu’il change de croyance car il tire satisfaction et contentement de son erreur. La fermeté d’un tel individu est comparée à celui qui serait installé dans vallée profonde vers laquelle il a été emporté par le vent. Une notion similaire à la métaphore d’ệtre installé dans un ravin profond (al-wadi as-sahiq), qui est l’endroit le plus éloigné du ciel, peut être trouver dans d’autres versets ou le tout-Puissant, Exalté soit-il a décrit l’égarement d’une telle personne en tant qu’éloignement (14 :3)« Ceux qui ne croient pas et qui obstruent le sentier d’Allah, s’égarent certes loin dans l’égarement (4 :167), ce qui signifie qu’étant fermement attachés à leur erreur, leur retour à la vérité est lointaine. C’est ainsi que les deux états sont confirmés, Allah sait mieux que tout.

      La première partie des déclarations d’Ibn Munir, ou il définit le shik comme une apostasie, semble être improbable, sinon sans fondement. Il n’y a aucun précédent, au cours de la première période de l’islam, d’un retour au polythéisme après une conversion à l’islam, dans le sens d’un retour du monothéisme à l’idolâtrie. Il y eut certains cas de personnes devenant athées ou assumant une autre croyance céleste après avoir été musulmans, mais aucun cas de rechute de l’Islam vers le polythéisme même, dans le sens de l’idolâtrie. Il est évident que le terme shirk a progressivement pris un sens de plus en plus vaste et dans le commentaire du verset en question, il est rapporté que le prophète a considéré que la fausse parole est équivalente au polythéiste. Ceci indique qu’Ibn Munir a dépassé le contexte du verset. De plus, l’expression comme ceux ayant une fois sincère en Dieu, ne lui associant rien « hunafa lilahi qui se trouve au début du verset, écarte la notion d’apostasie. Par conséquent, nul besoin d’identifier le polythéisme dans le verset avec une sorte particulière de ce péché, il est meilleur de prendre ce terme dans son sens général, comme les exégètes sus-mentionnés l’ont fait. Le contexte du verset étant le pèlerinage, les idolâtres avaient l’habitude d’accomplir ce rite d’une manière différente, avec une talbiya conforme à leur polythéisme. Dans les versets précédents, il est donné ) Ibrahim d’éviter le polythéisme et de purifier la Maison d’Allah, appelant les gens à accomplir le pèlerinage et ses rite, afin d’honorer les sacrements divin. Suit alors du verset :

     Voilà (ce qui doit être observé quiconque prend en haute considération les limites sacrées d’Allah cela lui sera meilleur auprès de son seigneur. Le bétail, sauf ce qu’on vous a été rendu licite. Abstenez-vous de la souillure des idole et abstenez-vous des paroles mensongères » (al-hajj,30).

Cette parole mensongère est considérée aussi abominable que les idole et le verset se rapporte à l’interdiction d’adorer les idoles. Il semble que le mot sama (ciel) et la lueur qui lui est associée a retenu les pensées des théologiens comme Ibn Munit, qui se demandent : ‘’ Qu’est-ce que les polythéiste ont à faire avec le ciel ? La chute du ciel est en vérité la punition pour le polythéisme, mais comment ont-ils atteint le ciel, au départ ? ‘’ Le mot Sama  ne leur a probablement suggéré rien d’autre que le champ du malahut et le domaine de la foi. Ils ont négligé le sens simple de Sama ; comme il ont oublié que le verset veut présenter une métaphore, introduite par l’expression ka-ananama (comme si ).De fait, ils ont comprit le sens du verset pour ce qui est plus ou moins introduit par cette phrase : Celui qui commet le polythéisme à l’égard d’Allah…

Toutefois, ce qui est plus étonnant encore c’est q’Ibn Munir a considéré le polythéiste incertain et indécis comme méritant un châtiment plus sévère que le polythéiste déterminé et convaincu, car il a jugé la première partie de la métaphore (devenir la proie des oiseaux ) comme décrivant l’état  du premier. Mais, comme le fait remarquer Alusi dans sa critique des remarques d’Ibn Munir ,  un tel sort est plus approprié pour le polythéiste déterminé, c’est lui qui n’a aucune chance d’ệtre délivré de son état, comme l’est celui qui est proie des oiseaux, tandis  que l’autre emporté par le vent vers les abîmes profonds, garde quelque espoir, même infime, de délivrance. Nous remarquons que l’extension introduite par Ibn Munir est également dénuée de toute constance logique et de fondement. De plus quiconque est assailli par le doute et l’incertitude devient sujet à la confusion et au trouble, et il n’y aurait, à cet égard, aucune différence entre le polythéiste et le monothéiste. Par conséquent, l’effort d’Ibn Munir pour diviser le polythéisme en deux sorte et d’établir, dans la métaphore, des ramifications conséquentes, est demeuré sans issue.

     Dans la troisième approche, la métaphore est transférée à la scène de l’au-delà, sans préciser si elle rapporte à la mort de l’individu (état de son âme dans ce monde suite à la mort) ou à la vie l’au-delà dans le sens collectif du jour de la Résurrection. Il est évident que c’est pas de la compétence des exégètes d’avancer leurs propres opinions à ce sujet. En fait, ce point de vie, spécialement proéminent dans les commentaires de Qurtubi et d’Ibn Kathir, se rapporte à la période ou les traditionnistes  jouissaient d’une grande influence et les versets du Coran étaient interprétés sur la base des traditions. Cette tendance culmina dans ad-manthur fi at-tasfsir bil-ma-thur, lke commentaire d’as-suyyuti (911 1505).

     La troisième approche de l’interprétation du verset en question est basée surune tradition du prophète rapportée sous l’autorité de Bara b, Azib Quelques points doivent être mentionnés par rapport à ce hadith. Premièrement, il semble que ce verset, ainsi que celui d’al-Araf, 7 furent cités dans cette tradition dans le but d’instruire, en servant d’exemples, le texte de la tradition n’avait pas pour fonction de les interpréter. Deuxièmement ,  ces deux versets se retrouvent dans le Musnad d’Ahmad dans la seule tradition rapportée à partir de Mu’awiya, de A4mash,Minhal b. Amr, zadkan, Bara b. Azib,  et non dans la chaîne des autorités de Abdallah, Abd ar-Razzaq, Ma’mar Yunus b. khbbab, Minhal b. Amr, zadhan et Bara b.Azid. Troisièmement, cette tradition n’est citée dans les Sihah de Bukhari ni de Muslim, bien que Bukhari mentionne trois traditions se rapportant à trois versets de la sourate al-hajj.

Quoiqu’il en soit cette approche d’interprétation apparaî seulement dans quelque traditions aux Vllème et Vllème siècles en tant qu’interprétation dominante et quasi-unique du verset, et At-Tabari, par exemple, ne la reprend pas tandis que le Tibyan, fait référence brièvement à une opinion qui donne une interprétation se rapportant à la vie future.

  Présupposition des commentateurs

L’essentiel des remarques des commentateurs concernant la métaphore établit que l’état de quelqu’un qui commet le polythéisme est semblable à celui qui tombe du ciel avant de devenir la proie des oiseaux , en plein vol, ou bien à celui qui est emporté par le vent vers un lieu très éloigné. La supposition que l’assaut des oiseaux se déroule  en plein air se retrouve également dans plusieurs commentaires et traductions persanes. Dans Nawbat althariya, Maybudi écrit : C’est une métaphore qu’Allah, Exalté soit-Il, expose au mécréant, comparant son état à celui qui tombe du ciel. Car, de la même façon qu’il n’ y a aucun espoir de suivie pour quelqu’un qui tombe du ciel, il ne peut y avoir d’espoir pour délivrance du polythéiste. On rapporta que cet état est comparable à celui qui tombe du ciel car sa fin ultime est la destruction, qu’il ait été dépecé par les oiseaux (khatf at-tayr) avant d’atteindre le sol, ou qu’il soit tombé au sol et réduit en morceaux. L’état du mécréant est également ainsi : ou bien il fait face au châtiment dans ce monde avant d’atteindre l’au-delà, ou il lui est donné un sursis pour être détruit dans l’au-dela.

   Selon cette supposition, la conclusion logique qui s’impose établit que les oiseaux dont il est question dans le verset sont des prédateurs. Toutefois, seuls quelques commentateurs l’ont implicitement exprimé.

   Dans quelle mesure cette supposition et la conclusion qui suit sont-elles valides, nous le verrons plus loin. Mais nous devons souligner ici que le verset fait référence à des prédateurs, l’utilisation du terme jawarih (animaux chasseurs), utilisé dans le verset : « Vous sont permises les bonnes nourritures ainsi que capturent les carnassiers (jawarih) que vous avez dressé » aurait été plus appropriée, car dans ce cas, il ne serait demeuré aucune équivoque quant à la compréhension de l’image du verset.

      Le réalisme de l’image coranique

      Ce qui rend, plus que tout, cette image incroyable, est son inconhérence avec le style imagé du Coran en général. Le Coran adopte un style imagé qui peut être nommé réaliste dans le sens profond du terme. La fantaisie n’y a aucune place, l’image est un reflet de la nature, se rapportant à la vision. Il y a des raisons à cela. Cette caractéristique est tout à fait manifeste dans la poésie arabe antérieure aussi bien qu’à l’époque ou le Coran a été révélé.

   Comme nous le montre la poésie jahilite, les arabes de cette époque étaient très familiers avec un tel style imagé et nous pouvons affirmer même qu’ils lui vouaient une prédilection. Aussi loin que la langue Arabe de l’époque de la Révélation est concernée la similitude de l’image coranique à celle de la poésie pré-islamique est aussi naturelle qu’essentielle. Comme le Coran aurait-il pu autrement, an tant que miracle littéraire, connaître un tel succès et être apprécié des Arabes qui jouissaient d’un héritage poétique brillant ? l’image d’un individu tombant du ciel à une vitesse vertigineuse, qui est attaqué avec une rapidité fantastique par les oiseaux, en plein air, ou qui est, par exemple, victime d’une embuscade au cours de sa chute pour être réduit en morceaux, est tout simplement fantastique et incompatible avec les faits du monde réel et les sensibilités esthétiques de l’époque de la révélation coraniques. Nous devons ajouter que si certaines des métaphores coranique  peuvent apparaître, ) première vue, comme étant basées sur la fantaisie, celles-ci se révèleront assez vite réalistes, suite ) un examen minutieux.

Le manque de lien entre les deux parties de la métaphore pose un autre problème et, en réalité, la deuxième partie qui concerne le rôle du vent devient inutile. Le polythéiste qui tombe du ciel devient, dans sa course descendante, la proie des oiseaux ou est emporté par le vent vers un lieu éloigné. Que se passerait-il s’il n’y avait pas de vent ? Bien sûr, il tomberait en un lieu proche. Mais quelle est l’importance de cette proximité ou de cette distance pour quelqu’un qui tombe du ciel et qui est condamné à périr, dans tous le cas ? Si nous faisons abstraction du vent, l’expression aw yahwi fi makanin sahiq (tombe en un lieu éloigné) serait-elle moins nette ou même insignifiante ? Le vent intransitif (kharra) tomber n’est-il pas suffisant, le vent serait-il nécessaire pour le jeter à la terre ? Nous ne pouvons trouver d’explication à ces questions sur la base de cette interprétation. De plus, si le verbe yawi, utilisé notamment avec le vent , est pris dans le sens d’emporter, de jeter, etc.. il nous éloignerait loin du sens approprié du verset.

     Les sens des termes dans la poésie pré-islamique

       Essayons de voir à présent ce que signifie le verset. Pour cela, nous devons d’abord examiner ses principaux mots. Evidemment, la poésie arabe pré-islamique demeure la source majeure pour définir la signification originelle des mots quant il s’agit du vocabulaire du Coran. C’est un point qu’aucun exégète ne peut nier. Les commentaires du Coran, Saturday de citations de précédents littéraires de la pensée de la jahiliyya, illustrent cette importance.

     Nous commencerons par l’étude du terme Tayr, pour voir dans quel sens il fut utilisé au cours de l’époque de la révélation du Coran et quelle signification il pouvait tout d’abord suggérer à l’esprit des Arabes de cette époque. En d’autres termes, nous devons voir, an-delà du sens général de oiseau quel genre d’oiseaux est-ce. Malheureusement, les dictionnaires d’Arabes, anciens, tardifs ou contemporains, ne nous aident pas beaucoup dans cette démarche. Nous somme donc obligés de référer directement à la poésie arabe pré-islamique afin d’en tirer une conclusion définitive, grâce à une preuve claire et suffisante. Etant donné que toute conclusion basée sur des distiques séparées de leur de leur contexte poétique peut sembler ambiguë, nous citerons les distiques précédentes et suivantes également. De même, nous éviterons de citer les vers dont l’auteur est mis en doute, nous restreignant aux traditions les plus sûres.

Le terme tayr est un pluriel qui est donc du genre féminin. Son singulier est ta’a, aussi bien utilisé au masculin que féminin. Les dictionnaires mentionnent de rares cas ou il est utilisé au masculin mais ceci signifie, pour quelques lexicographes, que tayr est également utilisé pour le singulier. Le terme tayr figure seizefois dans le Coran dont une seule fois dans le sens du singulier masculin : « puis je souffle dedans : et par la permission d’Allah, cela devient un oiseau » «  fa-anfukhu fihi fa-yakunu tayran bi-idhni-llahi ». Cependant, dans le verset en question, il est utilisé comme pluriel (comme l’indique le genre au féminin takhtafu).

Umru’al-Qays a composé les vers suivants pour pleurer la mort de membres de tribu : O œil, verse une pluie de larme et pleure, et lamente-toi sur les princes partis,

Les princes de Banu hujr b. Amr,

Emmenés à la tombée du jour pour être abattus.

Hélas S’ils étaient tombés le jour de la bataille

Mais cela se déroula, hélas, sur la terre de Banu

Manin

Leurs têtes ne furent pas lavées, mais elles trempent dans leur propre sang

Les oiseaux carnassiers et les vauteurs (tayr )

Se sont massés autour de leurs corps

Pour leur arracher les yeux et les sourcils

Mutalammis déclare :

Ne vois-tu pas que l’individu est promis à la mort à devenir la proie des carnassiers et vauteurs (tayr) ?

Ou à être enterré dans la poussière ?

  Antara remarque que les oiseaux carnassiers et les vautours se rassemblent autour des corp des morts :

   Combien de compagnons ai-je laissé sur le champ de bataille….

Je le laissai encerclé par les vautours et les oiseaux carnassiers…

     Pour Umru alQays comme pour Antara, Mutalammis et les autres, at-tayr sont les charognards (les vautours) qui tournoient des corps sans vie, les cadavres.

Les charognards et les vautours suivent les troupes en marche dans l’espoir de festoyer avec les corps des combattants tombés et voltigeraient au-dessus de leurs têtes. On raconte que si les vautours n’étaient pas aperçus  au-dessus d’une armée, la bataille n’aurait pas lieu. Nabigha  fait référence à cette habitude des vautours dans les vers suivants :

Lorsque les troupes de (ghassan) sortaient pour la bataille, conduites par guerriers,

      Les équipes de charognards (vautours) (tayr) voltigeraient au-dessus d’elles,

           Habituées au sang, elles accompagnent les troupes…

            Malik b. Nuwayra décrit le sort d’une armée défaite, disant :

Laissé sans vie, entouré par les vautours (tayr) ,…

     Sans entreprendre une étude exhaustive, nous avons pu rassembler environ quarante exemples de la poésie jahilite et du début de l’Islam (mukhadram) de l’utilisatpllion du mot tayr, les citer serait fastidieux pour notre propos. De plus le mot a été utilisé fréquemment dans ce sens dans la poésie arabe au cours des siècles qui ont suivi l’avènement de l’Islam…

    Il faut souligner que pour notre traduction du mot tayr, nous avons utilisé deux termes, oiseaux carnassiers (charognards) et vautours, en voici l’explication :

     Nous rencontrons trois sortes distinctes d’oiseaux carnassiers dans la poésie jahilite, le nasr (pl. nusur), uqab (pl. uqaban, a’qub), et rakhama (pl. rakham, rakham) Rakhama correspond au vautours.Quant au u’qab (aigle), il faut mentionner que seul quelques-uns mangent les charognes. Bien que le uqab, comme nasr et rukhama, suivent l’armée en marche dans l’espoir de dévorer les cadavres des soldats tombés, il est souvent mentionné dans la poésie  jahilite en tant qu’oiseau de chasse et pour cette raison, un cheval au galop est comparé à un aigle en plein vol. Mais, dans la poésie jahilite, uqab ou ou le rakhama ne sont pas aussi populaires le nasr qui est surnommé sayyid at-tayr (le maitre des oiseaux ) ou Abu-t-ta       yr (le père des oiseaux) Cependant, une confusion existe en arabe entre nasr et uqab. Mais sur la base de certaines preuves fournies par la poésie pré-islamique, la première impression faite par le terme tayr ( dans le sens d’oiseux charognards), dans l’esprit des Arabes de cette époque correspond au vautour ; c’est pouquoi jahiz (m. 255 869), par exemple, qu’il rencontre le mot tayr dans le vers de Umru al-Qays et de nabigha, mentionne d’abord le vautour (nasr) et s’ils mentionne l’aigle (uqab) c’est en tant que charognard ou en d’autres termes, une sorte de vautour. C’est pourquoi, en traduisant le tayr, nous avons spécifié le vautour en plus de l’expression générale oiseaux charognards qui inclut les trois espèces le nasr, uqab et rakhama.

  Voyez à présent si le Coran, nous pouvons trouver de quoi justifier notre démarche. Dans le verset 36 de la sourate yusuf, l’un des deux jeunes prisonniers voit en songe des oiseaux (tayr) en train de manger le pain qu’il portait sur la tête. Joseph interpréte le songe comme une prochaine crucifixion du prisonnier (12 :41). En clair, tayr ici  ne peut être traduit par oiseaux. La description est celle d’un cadavre devenu la proie des charognards et des vautours.

Il ne faut pas oublier qu’ệtre la proie des vautours est un thème très ancien, qui n’est pas limité à la langue ni à la poésie arabes. On le retrouve dans le second Livre de Samuel ainsi que dans le Shahnameh de Firdawsi.

   Voyons le terme khatf à présent. Son sens général est saisir, s’emparer et s’étend à prendre d’un geste vif. Dans le verset discuté, khatf a été utilisé pour attacher avec les mouvements rapides Sinon, quel sens aurait l’image d’oiseaux en train de s’emparer de quelqu’un ? La poésie de la jahiliyya fournit des preuves très claires de lutilisation de khatf. Fâtima b. al-Ajham b. Dindina clame:

Les vautours et les carnassiers  constituent à s’emparer (takhtafu) de la chair des épaules et des dos des chameaux .

Durayd b. al-Simmah, décrivant la bravoure des hommes de sa tribu, dit que leurs coups étaient tellement mortels que l’ennemi n’a pas pu  éloigner les vautours qui se rassemblaient autour de lui :

   …les laissant peureux au lieu des vautours et charognards.

   Arrachant (khatfa) leur chair de tous côtés.

   L’expression khatf at-tayr exprime donc clairement un contexte de mort. Tant que l’individu n’est pas mort, il n’est pas la proie des vautours. A partir de ces explications, le verset signifie : celui qui commet le polythéisme à l’égard d’Allah est comme celui qui du ciel la terre et qui,  mort ,devient la proie des vautours. La courte expression fa takhtafuhu t-tayr  ne nécessaire aucune mention explicite du sol ou de la mort, qui sont compris lorsque l’image est répétée plusieurs fois dans la langue d’un poéte ou des poétes d’une époque donnée. Puis , toute référence à une quelconque partie de cette image ramène la scène entière à l’esprit, autorisant le poète à taire certains éléments pour laisser à la faculté de suggestive de l’auditeur le soin de la compléter. Ceci est vrai non seulement en poésie mais aussi en prose et en réalité, c’est l’un des facteurs les plus importants de la concision de l’expression ou même le plus important. Sinon, comment serait-il possible d’ajouter encore plus de signification à peut de mot ?La concision de l’expression dépend des capacités effectives d’une langue et de son stock de phrase implicitement comprises. Ici, les connotations des mots et des expressions se fondent et transmettent des significations qui ne sont pas explicite ou, pour être plus précis, elles transmettent le contexte de la situation. Ce contexte est le cœur même de la concision et c’est pourquoi, comme Ibn al-Muqaffa’ l’a déclaré, la concision de l’éloquence littéraire (al-ijaz huwa al-balagha). La concision de l’expression coranique repose sur les possibilités réelles dela langue arabe, ce qui peut être clairement observé dans la poésie pré-islamique.

La phrase khatf at-tayr dans le hadith

Comme nous l’avons indiqué dans les trois exemples mentionnés plus haut, khatf se déroule au sol et non en plein air. L’expression khatf at-tayr, qui est famillière aux Arabes de l’époque de la révélation coranique, signifie la destruction certaine et une terrible mort. La plupart des utilisations de cette expression se rapporte (lorsqu’elle se rapporte aux êtres humains), aux champs de bataille et aux cadavres.

  On retrouve cette expression également dans tradition du prophète. Au cours de la bataille de Uhud, le prophète demanda à un groupe d’archers de surveiller le défilé d’une montagne pour empêcher les cavaliers conduits par khalid b. al-walid, qui tenait une embuscade à proximité, d’attaquer les troupes musulmanes. Les instructions du prophètes à Abdallah b. jubayr, qui commandait les archers, ont été rapportées sous différente expressions. Dans la Sira d’Ibn Hisham, elles sont mentionnées en ces termes :

   Eloigne de nous la cavalerie en tirant sur elle, afin qu’elle ne nous prenne pas surprise, de dos, que nous gagnions la bataille ou non, gardez votre position, afin qu’ils ne puissent pas nous attaquer, de ton côté.

  Cette tradition est citée par al-waqidi : Gardez vos positions et protégez nos arrières. Si vous nous voyez occupés par la prise des butins, ne nous rejoignez pas, et si vous les voyez nous tuer,  n’accourez pas à notre secours.

Le récit d’Ibn sa’d dans at-tabaqat al-kra est la même que celle d’Al-waqidi. Toutefois, nous trouvons d’autres expressions chez Ibn Hajar (773-852 1371-1448) dans Fath al-Bari :

  Si vous nous voyez devenir la proie des vautours, n’abandonnez pas votre position avant que je ne vous transmette un message, et si vous nous apercevez en train de vaincre et de remporter la bataille, n’abandonnez pas votre position avant que je ne vous transmette un message.

Dans cette tradition, l’insistance du prophète est à son comble car non seulement il mentionne le fait d’ệtre tué, également ce qui peut arriver après avoir tué : devenir la proie des vautours. Il faut mentionner ici que l’expression khatf at-tayr n’a aucune relation avec l’air ou l espace.

   De la même manière, at-Tahdhib cite une tradition de l’Imam Ali qui aide à la compréhension de khatf at-tayr : 

   Je préfère devenir la proie des vautours que d’attribuer au message d’Allah ce qu’il n’a pas dit.

  Bien évidemment, dans cette tradition, l’Imam fait référence à la mort la plus horrible, qu’il préfère ou fait attribuer une fausse parole au message d’Allah. Plus tard, l’expression khatf at-tayr sera utilisée, avec un léger changement, passant de khatf à ilkhtitaf, sous forme ifti’ al ,en lui attribuant le sens de disparition (comme l’eau dans le sol, la fumée dans le ciel). Dans une tradition rapportée dans Usul al-kafi, le narrateur évoque la disparition d’un prisonnier en ces termes : Il disparut la nuit dernière, on ne put voir s’il disparut dans la terre ou s’il fut dissous dans l’air. La raison de ce transfert est évidente : celui qui devient la proie des charognards périt et disparaît sans laisser de traces.

  Au regard de ce qui vient d’ệtre précisé, le sens de tahwi bihi r-rih perd également son imprécision. Un cadavre, soit il devient la proie des vautours soit il se décompose en parties que le vent éparpille. Ce sens du terme hawa,  yahwi, qui est utilisé sous la forme transitive dans le verset se retrouve dans la poésie jahilite. Nabigha décrit la couardise et la stupidité de Uyayna de cette manière :

A certains moments, tu es une autruche

Et à d’autres, un vent qui souffle dans toute les directions.

(signifiant que sa conduite est dépourvue de sagesse et de stabilité).

   Par conséquent, le verset ne signifie pas que le vent souffle et emporte le cadavre dans un lieu précis. Dans l’environnement naturel de la péninsule arabique, la relation entre le vent et le cadavre amène soit l’image suggérée par le verset soit une autre suggérée par les vers suivants du poéte Himyari :

   Comme de héros avons-nous laissé là-bas

Lorsque le vent a soufflé la poussière dans ses cheveux bouclés.

En réalité, expliquer tahwi par jeter est issu d’une fausse interprétation qui a voilé le sens du verset, plaçant la scène en plein air, et non sur le sol. Nous avons assez discuté de l’inexactitude de cette image.

A la lecture du verset, son écho continuait à résonner aux oreilles des Arabes de l’époque, suscitant d’effroyable associations dans  leurs l’esprits. Nous allons essayer de les saisir. Comme Baydawi l’a remarqué , aw (ou) dans le verset implique une alternative. En d’autres termes, l’auditeur ou le lecteur peut considérer l’un des deux sorts indiqués à la fin du verset comme le châtiment du polythéiste qui meut suite à la chute du ciel : devient la proie des  vautours ou être disséminé par le vent. En réalité, il s’agit du même sort. Qu’en est-il ? Le verset affirme que celui qui commet le polythéisme à l’égard d’Allah passera à l’état du cadavre, il sera privé de sépulture et des rites funéraires, il ne laissera après lui même pas une tombe. Quelle est l’importance d’un tel sort pour les idolâtres  de cette époque ? Pour eux,  le pire des sorts serait de ne pas être enterrés ou de mourir privés de rites funéraires. Les traditions se rapportant à Sada et Ham, aussi bien que les pratiques , consistant à arracher les chameaux à la tombe ou à jurer par la tombe- toutes indiquent l’importance, la quasi-sacralité, être enseveli dans une tombe.

   L’un des rites importants consacrés à la personne décédé consiste à laisser son chameau attaché à sa tombe jusqu’à la mort de l’animal, ceci a fin que son propriétaire puisse le monter lorsqu’il ressuscitera afin de ne pas être privé de monture. Chez les Arabes de l’époque, la conception de la résurrection était plus ou moins similaire à celle des anciens Egyptiens  qui devenaient enterrer le mort avec des objets lui appartenant, lui permettant ainsi de s’en servir dans la vie future. Sur cette base, l’on devine à quel point  l’ensevelissement de la dépouille mortelle et la tenue de cérémonie funéraires étaient considérés cruciaux pour les Arabes paiens . Cette question avait une telle importance qu'au cours des derniers instants de leur vie, ils souhaitaient que leurs proches accomplissent une répétition des rites qu’ils feraient et demandaient à leurs  proches d’élargir la tombe.

   La notion de Sada et Ham avaient également une grande importance dans la mythologie paienne. Les Arabes croyaient qu’à la mort de l’individu tué, un oiseau appelé Sada crierait’ Usquni ! Usquni ! (Etanchez ma soif! Etanchez ma soif! ) au-dessus de la tombe de l’homme décédé et le tiendrait au courant des actes de ses proches. Cet oiseau cesserait ses plaintes dès que la vengeance de l’homme tué serait accomplie. Cette croyance était encore très vite au temps du prophète, comme en témoigne une de ses traditions affirmant l’inexistence de Sada et Ham.

La scène décrite dans le verset de la sourate al-Hajj suggère aussi la défaite, pour les esprits des Arabes de l’époque, car dans la poésie de la jahiliyya, les dépouilles mortelles deviennent la proie des vautours seulement après la défaite et la mort sur le champ de bataille. C’est comme  si le verset rappelait, indirectement, que celui qui commet le shirk à l’égard d’Allah est comme celui qui a déclaré la guerre, le resultat d’une telle confrontation ne pouvant être  que la défaite et l’annihilation certaines. Ce sens est en accord avec l’atmosphère générale de la sourate at-Tawba. Les commentateurs, en expliquant ce verset, ont incessamment insisté sur le point que la chute du mushrik le plaçait dans une situation d’abandon total et sans défense aucune. Si un tel sens était réellement implicite dans le verset, c’est surtout dans sa concordance avec l’image de la métaphore présentée ici. Peut-on une chose dépourvue de défense qu’un cadavre ?