Le perfectionnement de l’homme constitue la raison et le but de l’envoi de tous les prophètes. Pour évaluer un enseignement, il faut constater ses effets ou son impact. Pour cela, il faut nécessairement considérer le point de départ, autrement dit le niveau initial. Dans notre étude, le point zéro est la situation des arabes, mais aussi du monde entier avant l’Islam. Il s’agit de ce qui a été nommé الجاهلية l’époque de l’ignorance. Le commencement de la mission mohammadienne est considéré comme étant la sortie de l’humanité toute entière des ténèbres vers la lumière.
Ce qui ressort principalement de la mission du Sceau des Prophètes est fondé sur les lettres et la lecture. On pourrait aussi dire que le terme «parole» a trouvé là sa concrétisation parfaite. Les lettres sont recueillies dans un recueil, appeléالقرآنle Coran, dérivé du verbeقَرَأ relatif à l’ouïe et de là aux cœurs des gens. Il est évident que les bases et les principes exacts de l’enseignement d’un livre tel que le Coran, qui propose un éclaircissement pour toute chose, ne peuvent se trouver que dans le Coran même, selon sa propre déclaration.
Au fond des ténèbres deالجاهليّة l’ignorance et parmi un peuple décrit comme Ummi, le Coran descendit pour mettre fin à ces deux maux majeurs à savoir la djāhiliyya et l’ummiya. Ceci constitue la raison pour laquelle il faut bien se pencher sur une étude coranique précise de ces deux thèmes. Beaucoup de choses ont déjà été dites à propos des conditions culturelles, sociales, historiques, humaines et économiques de l’époque de la djāhiliyya. Nous n’avons pas l’intention de revenir sur ces points. Toutefois nous voulons constater les similitudes entre la société à cette époque ancienne et notre société actuelle, afin de prévenir un retour, à notre époque, des mêmes défauts antérieurs.
Il faut bien savoir que les notions d'ummiyya et de djâhiliyya ne se bornent pas chronologiquement au sixième siècle après Jésus Christ, bien que ce siècle en fut le cas le plus concret. Le Coran appela ainsi l’ère qui le précédait à cause de sa carence du point de vue de la morale et des bonnes mœurs. Selon les historiens il s’agissait d’une époque fortement dominée et caractérisée par une immoralité tellement enracinée que même des années de gouvernement mohammadien à Médine n’ont pu entamer cette mauvaise mentalité ni élever les esprits au dessus de ces mauvaises habitudes. Voici d’ailleurs un avertissement coranique lancé à celles qui résidaient dans la maison même de Mohammad (pslf), lors de la descente d’une révélation envoyée pour lui:
و قرن في بيوتكنّ و لا تبرّجن تبرّج الجاهليّة الأولى و أقمن الصلوة و آ تين الزكوة و أطعن الله و رسوله(احزاب/33)
«Demeurez dans vos maisons, ne vous montrez pas dans vos atours comme à l’époque de la première ignorance. Accomplissez la prière, acquittez-vous de l’aumône et obéissez à Allah et à Son messager».
; L’ummiyya et la djāhiliyya ne signifient point que la société soit privée d’arts, de littérature ou d’écriture, bref d’une certaine forme de civilisation. En d’autres termes, une campagne d’alphabétisation ne pouvait suffire à guérir le mal dont l’homme souffrait et dont il risquait de continuer à souffrir. De même, dans le verset que l’on vient de citer, il y a une allusion claire à une possibilité de retour vers l’ignorance calamiteuse dont la communauté vient d’être sauvée. De la même façon, le Coran désigne l’émergence des anciennes habitudes héritées de l’ignorance provenant de l’époque préislamique, lors de l’évènement de udaībya&&H; la fureur de l’ignorance:
إذ جعل الذين كفروا في قلوبهم الحميّة حميّة الجاهليّة فأنزل الله سكينته على رسوله و على المؤمنين و ألزمهم كلمة التقوى و كانوا أحقّ بها و أهلها و كان الله بكل شيء عليماً(فتح/26)
Lors de l’arrivée de Mohammad et de la foule de ses disciples, auréolés de gloire et de grandeur, ce qui ne plût point aux tenants du paganisme et de la mécréance à la Mecque, la fureur malveillante de la jalousie et de la haine s’empara des Quraïche; leurs étroitesses intérieures émergèrent et les maux des cœurs se révélèrent. C’est ce que le Coran appelle:
;الحميّة حميّة الجاهليّة. Ainsi, le retour à l’époque de l’ignorance ancienne ne signifie point un retour à une époque où les gens étaient incapables de lire ou d’écrire. L’unique solution qui préserverait alors d’un retour aussi désastreux ne peut être que l’obéissance à Allah et à Son Prophète (pslf), comme le dit le verset en question. Le remède à de tels maux ne pourra venir que d’Allah, comme l’indique le verset 33 de la sourate 33 mentionné précédemment, avec la descente du calme et le mot «taquoi»par lequel Allah engage les fidèles qui le méritent:
فأنزل الله سكينته على رسوله و على المؤمنين و ألزمهم كلمة التقوى و كانوا أحقّ بها و أهلها (فتح/26)
L’étude de la poésie de l’époque de l’ignorance/الشعر الجاهلي, mais aussi des recherches effectuées en langue et en littérature arabes confirment les sens que nous venons de citer pour les termes «ummiyya» et «djāhiliyya» qui signifient par ailleurs:
Être très dur et éloigné des normes, être d’une très grande complaisance, manquer de longanimité et de maîtrise de soi, manquer de patience et de générosité ainsi que manquer de mérite. Ceci démontre que le sens d’ignorance n’en est qu’un sens secondaire. Dans le hadith de:
إنّك امرؤٌ فيك جاهليّة Tu es un homme en qui l’esprit de djāhiliyya persiste, le terme djāhilyya possède les significations que l’on vient de citer. De même dans:
و لكن اجتهلته الحميّة La colère et la complaisance l’ont conduit à djahl, soit le contraire de la longanimité et de la douceur de caractère.
Ibn Manzūr, le grand lexicologue arabe et auteur du grand dictionnaire arabe Lisān ul-‘arab, a désigné le terme de djāhiliyya dans le hadith précité comme s’agissant de l’orgueil et de la rivalité que les arabes avaient affichés à l’égard d’Allah, de Son Messager et de Sa charia.
Il existe également d’autres sens pour le terme ummi:
- Celui qui est incapable de lire ou d’écrire l’alphabet.
- L’homme rattaché à la Mecque, nommée «Umm ul-Qurā» dans le Saint Coran.
Aussi, lors de l’effort qui consiste à chercher à comprendre le Coran par le Coran (at-tadabbur), on trouve un autre sens correct et acceptable qui désigne un homme ou un peuple privé du Livre céleste et de Charia. Les gens de l’Écriture et tout particulièrement les juifs, se considéraient comme étant les seuls Gens du Livre ainsi que les seuls à posséder une culture, et à avoir accès aux sources du savoir et de la pensée. D’où la philosophie consistant à s’accaparer de tous les biens des peuples :
و من أهل ألكتاب من إن تأمنه بقنطارٍ يؤدّه إليك و منهم من إن تأمنه بدينارٍ لا يؤدّه إليك إلا ما دمت عليه قائماً ذلك بأنّهم قالوا ليس علينا في الأمّييّن سبيلٌ و يقولون على ألله الكذب و هم يعلمون (آل عمران/75)
Les juifs, selon ce verset, considèrent les autres peuples, surtout les arabes comme des ummi, c’est à dire comme des peuples inférieurs. Ils se sont servis de cette fausse vision qui constitua la base de leur comportement et de leurs relations avec les autres à travers l’histoire. Cela est une prétention vaine, dont nous confions le complément, l’analyse ainsi que la critique au prochain numéro.