L’exégèse du Coran a, certes, emprunté des voies diverses et a été diversement envisagée. Ses nombreuses écoles ont suivi des approches souvent divergentes et ont eu des préoccupations variées. Il y a une forme d’exégèse qui s’appuie sur l’aspect linguistique, littéraire ou rhétorique du texte coranique, une autre prend en considération le contenu et le sens.
Une troisième met l’accent sur la tradition (hadith), expliquant le Coran à partir des paroles du vénérable prophète (saw), des Imams (a.s) ou des compagnons et tabit’ins. Une autre sorte d’exégèse se base sur la raison pour approfondir la compréhension du Livre divin. Il y a aussi une exégèse partiale et partisane qui, partant d’une doctrine en particulier, essaie de rendre le texte divin conforme à son point de vue. Une autre est dite objective puisqu’elle tente de questionner le Coran Lui-même pour élaborer un point de vue qui lui soit conforme. Il en existe d’autres encore. Toutefois, nous nous proposons d’étudier deux tendances principales d’exégèse qui se sont développées tout au long de l’histoire de la pensée musulmane, la première que nous appellerons « approche analytique » et la seconde « approche synthétique ou thématique » de l’exégèse.
Par ce terme, nous voulons désignez la méthode qui a consisté à traiter le saint Coran, verset, après verset, tels qu’ils furent placés dans le Livre. L’exégète qui s’est basé sur cette méthode a parcouru le Livre saint, en a progressivement expliqué les parties, en utilisant les outils et les moyens susceptibles de lui venir en aide, les hadiths ou les autres versets qui renferment les même notion, dans la mesure où ils éclairent la signification du passage coranique étudié, tout en prenant en compte le contexte dans lequel il se trouve.
Il est certain qu’en parlant d’exégèse analytique, nous pensons à celle qui est parvenue à son stade le plus élaboré et le plus parfait, car elle fut peu à peu améliorée jusqu’à englober la totalité du Coran.
Cette méthode prit naissance à l’époque des compagnons et des tab’ins, par l’explication analytique de certains versets et des termes qu’ils renferment. Et, au fur et à mesure que le temps passait, le besoin d’en expliquer d’autres se faisait sentir, jusqu’à aboutir à la version présentée par exemple par Ibn Maja, At-Tabari ou d’autres exégètes de la fin du troisième siècle et du début du quatrième, qui prit la forme la plus achevée de l’approche analytique.
Le but de la méthode analytique a consisté, au départ, à comprendre la parole divine qui était, au début de l’Islam, à la portée d’un grand nombre d’individus mais qui le fut moins lorsque l’on s’en est éloigné et que se sont accumulés les expériences et les diverses événements. C’est ce qui favorisa le développement de la méthode analytique qui devait, dorénavant lever le voile d’ambiguïté et d’incompréhension qui se déposait sur le texte coranique et qui se concrétisa, finalement, par de volumineux ouvrages d’exégèse, où l’auteur commence par le premier verset de la sourate Al-Fatiha pour finir par la sourate An-Nas. Il explique le Coran, verset après verset car, avec le temps, le sens de nombreux verset exigeait d’être clarifié, et analysé.
Nous ne voulons évidemment pas signifier, méthode analytique, que l’exégète ne prend pas en compte les autres versets ou néglige de s’y appuyer, pour expliquer celui qu’il étudie. Il peut les prendre en compte ou s’y appuyer comme il peut utiliser les hadiths et les récits y afférant, mais son utilisation de tous ces éléments lui servira seulement à rechercher le sens du terme présent dans le verset en question. De ce fait, le propos de tout pas entrepris, selon cette méthode, s’arrête à la compréhension du sens du verset, tout à appuyant sur l’ensemble des moyens possibles. En d’autres termes, le but même reste analytique puisque l’exégète s’arrête constamment sur la compréhension d’une partie ou d’une autre texte coranique, ne la dépassant que rarement. Il en résulte que l’exégèse analytique de la totalité du Coran expose un ensemble d’explications, séparées les une des autres ; elle se réduit à une somme de connaissances et d’enseignements, éparpillés ou accumulés les uns sur les autres, non reliés non structurés organiquement, qui nous empêchent de trouver le fil conducteur ou d’en extraire des théories relatives à différents domaines de l’activité humaine. Nous nous trouvons devant une accumulation de données, séparée les unes des autres, que nous ne pouvons utiliser pour élaborer des idées globales, à partir du Coran, sur telle sphère de l’activité humaine. L’exégèse analytique ne se propose pas d’ailleurs de le faire, même si elle y parvient parfois.
L’état de dispersion issu de la méthode analytique a certainement favorisé l’apparition et le développement nombreuses querelles doctrinaires en Islam, car il suffisait qu’un exégèse trouve un verset confirmant son opinion pour qu’il la déclare et rassemble ses adeptes autour de lui, comme cela s’est produit pour les question théologiques, telles que le libre-arbitre ou le déterminisme. Il aurait été possible d’éviter de tels conflits si l’exégète, travaillant selon la méthode analytique, avait suivi une autre voie et n’avait pas insisté sur l’accumulation des versets.
Selon cette méthode, que nous appelons aussi synthétique, l’exégèse consiste à ne pas traiter le Coran, verset après verset. Mais au contraire, à étudier le Coran dans son ensemble, à partir d’un thème particulier, qu’il soit doctrinal, social ou cosmologique, parmi les nombreux thèmes qu’il renferme. Il s’agit d’étudier ou de discuter par exemple de la doctrine du Tawhidi (l’unicité divine) dans le Coran, de la prophétie, de la conception économique, des lois régissant l’histoire (sunan at-tarikh) du point de vue du Coran ou même de la cosmologie du Coran. L’exégèse thématique ou synthétique se propose, ce faisant de définir la conception coranique et, par delà, islamique, de l’un ou de l’autre des sujet relatifs à la vie et à l’univers. Il nous faut cependant préciser que la distinction entre les deux méthodes n’est pas trachée, que ce soit au niveau de la pratique ou dans le processus historique, car en fait, car en fait la méthode thématique a naturellement besoin de définir le sens, d’analyser les versets un à un, dans le cadre du sujet choisi. De même que la méthode analytique peut être amenée, au cours de son cheminement, à mettre l’accent sur une vérité coranique concernant l’au-delà par exemple. Mais ces deux méthodes demeurent divergentes quant à leurs approches, leurs buts et les résultats auxquels elles aboutissent.
La prépondérance de la méthode analytique en exégèse fut favorisée, pendant de longs siècles, par la large place accordée aux récits et aux hadiths et de ce fait, l’exégèse ne fut, au départ, qu’une branche de la science du hadith, d’une manière ou d’une autre. Le hadith était pratiquement la base unique de l’exégèse à laquelle s’étaient ajoutés quelques éléments linguistiques, littéraires ou historiques. Il s’agit donc de la seule base sur laquelle s’était appuyée l’exégèse tout au long des siècles passés.
Lorsque l’exégèse se limite à prendre en compte les récits et les traditions rapportés par les compagnons, les tabi’ins ou les Imams (alayhum as-salam), récits suscités par les questionnements probables de la masse, elle ne peut être en mesure de dépasser ce stade ni de tenter une restructuration des significations du Coran et d’en faire des comparaisons pour en extraire des théories. L’exégèse demeura un commentaire de sens de termes isolés, dans le sens où des synonymes sont fournis, des termes non familiers sont élucidés et certaines idées sont avancées quant aux circonstances de la révélation (asbab an-nuzul). Cette pratique ne pouvait être innovatrice ni parvenir à ce qui se cachait sous l’expression linguistique, c’est-à-dire aux idées principales que le Coran a voulu offrir dans ses saints versets.
Pour mieux saisir la différence entre les deux méthodes, nous prenons en exemple le cas de la jurisprudence (fiqh). Elle est, dans un certain sens, une exégèse des hadiths du prophète (SAW) et des Imam (a.s). Nous savons que certains ouvrages ont traité les hadiths un à un, en expliquant les termes et en recherchant leurs origines et leurs chaîne de transmission. C’est l’approche des commentateurs de Al-kub al-arba’a (les quatre livres), al-Kafi, al-Tahdhid, al-Istibsar et Man la yahduruhu al-faqih, ainsi qu’l-wasa’il. Cependant, la majeure partie des ouvrages de fiqh ne suivit pas cette méthode. Au contraire, elle organisa sa recherche à partir des questions soulevées au jour le jour et rassembla les hadiths concernés par ces problèmes, les expliquant d’une manière qui éclaire le sujet traité et qui conduise à définir l’attitude de l’islam le concernant. Il s’agit de l’approche thématique appliquée à la jurisprudence, alors que la première est une approche analytique.
Al-Jawahir est certainement un ouvrage de commentaire global des traditions rassemblées dans al-Kutub al-arba’a et non pas un ouvrage qui traite chaque hadith à part. Il rassemble les récits en fonction des sujets abordés, qui sont définis à partir de la vie courante, comme par exemple la vente, la possession de la terre, le contrat de mariage, etc. Chacun de ces chapitres de la vie renferme les récits et hadiths qui lui sont rattachés ; ils sont expliqués, comparés et reliés les uns aux autres afin de pouvoir en dégager une attitude ou une théorie précise. Car il ne suffit pas de comprendre le sens d’un récit ou hadith d’une manière isolée, une telle compréhension ne peut mener à une élaboration d’un jugement légal. Ce dernier ne peut être dégagé qu’à partir de l’étude d’un ensemble de récits relatifs au jugement même ou concernant un domaine précis de la vie quotidienne. Ce n’est qu’à partir de cette étude globale qu’une théorie reflétant un ensemble de hadiths, et non un seul, peut être élaborée.
En entreprenant une comparaison entre les études coraniques et celles de la jurisprudence, nous nous apercevons de la différence qui existe entre les deux. Alors que la méthode thématique a prévalu dans le figh, lui permettant d’évoluer et de se développer, la méthode analytique domina l’exégèse pendant plus de treize siècles. Tout exégète commençait là où son prédécesseur avait commencé, par expliquer le Coran verset par verset. Quant aux exégèse appelées parfois exégèses thématiques du Coran, qui ont abordé des sujets précis, tels que les objectifs de la révélation, les lectures, l’abrogé et l’abrogeant ou les figures rhétoriques dans le Coran, elle ne peuvent être considérées comme étant des études thématiques, en ce sens qu’il s’agit plutôt d’une compilation d’un certain nombre de phénomènes similaires dégagés par une approche analytique. D’autre part, nous ne pouvons prendre toute compilation pour une proche thématique car cette dernière présuppose de traiter un aspect ou un sujet de la vie doctrinaire, sociale ou cosmologique de l’univers et s’engage à l’étudier à partir du Coran pour en dégager une théorie générale.
Il est probable que la méthode thématique appliquée à la jurisprudence, assez largement adoptée et développée, aida considérablement à enrichir ce domaine en y favorisant les études. Mais, par contre la prédominance de la méthode analytique en exégèse fut un handicap au progrès de la pensée islamique relative au Coran, l’ayant maintenue dans un état répétitif, à tel point que nous pouvons affirmer que, plusieurs siècles après les exégèses entreprises par At-Tabariu, Ar-Razi et Sheikh At-Tusi, la pensée islamique fut incapable d’y ajouter de nouveaux acquis. L’exégèse demeura telle quelle, se modifiant à peine tout au long de ces siècles malgré les changements et les bouleversements de la vie courante, à tous les niveaux et dans les domaines les plus variés.
Pourquoi la méthode analytique est-elle un obstacle à l’évolution ? Et pourquoi, par contre, la méthode thématique est- elle un facteur de développement, de créativité et d’ouverture à la recherche ? Pour répondre à ces questions, nous devons les comparer entre elles.
L’exégèse qui adopte la méthode analytique joue un rôle passif en abordant le texte coranique, qu’il s’agisse d’un verset ou d’un passage particulier. Il ne formule pas, au préalable, des questions mais se contente de rechercher la signification de ce qu’il lit à la lumière du vocabulaire coranique et de toute indication ou non dans le texte. Sa démarche consiste et toute indication disponible ou non dans le texte. Comme si ce dernier jouait rôle de locuteur, ne laissaient à l’exégète que le rôle passif d’auditeur, celui qui écoute et comprend. L’exégète écoute et comprend. L’exégète écoute, l’esprit réceptif et éclairé, chargé des connaissances linguistiques les plus diverses. Il s’abandonne au Coran et écoute attentivement. Le Coran ici le rôle actif, il fournit à l’exégète ce que ce dernier peut assimiler.
L’exégète qui adopte par contre la méthode thématique ne débute par son activité à partir du texte mais à partir de la réalité de la vie. Il se concentre sur un des aspects de la vie doctrinaire, sociale ou cosmologique qui l’entourent, mettant à profit l’accumulations des expériences humaines concernant le sujet abordé, les réponses qui y furent proposées, les questions qui furent soulevées ainsi que les points qui demeurèrent en suspens.
Il se tourne ensuite vers le texte coranique, non pas pour jouer le rôle d’un auditeur qui se propose seulement d’enregistrer mais pour proposer un sujet saturé déjà par des nombreuses et diverses données. Il entreprend alors de questionner le Coran qui lui répond. L’exégète a dû, auparavant collecter une foule d’informations à partir des expériences humaines, des actes justes et des erreurs, concernant le sujet. Face au Coran, il ne peut demeurer dans une attitude passive d’écoute, il participe activement à la discussion, il questionne, analyse, comprend, essaye de dégager l’attitude du saint Coran envers son problème et la théorie sous-jacente pour enfin la confronter à ses propres données.
C’est pour ces raisons que les résultats de l’exégèse thématique furent des résultats constamment rattachés à l’expérience humaine car l’approche elle-même visait à dégager le point de vue islamique concernant les différents domaines de la vie. C’est pour ces raisons ainsi que l’exégèse thématique fut un dialogue avec le saint Coran et un effort pour l’interroger et non pas une simple demande passive d’écouter. Elle est un processus qui vise à interroger le saint Coran en vue de découvrir les grandes vérités de la vie.
Le commandant des croyants Ali b. Abi Talib (a.s) dit en évoquant le Coran : « Ce Coran, interrogez-le, il ne dira rien, mais je vous en parlerai ; ne renferme-t-il pas la science à venir, le récit du passé, le remède de vos maux et l’organisation entre vous ? Le terme d’interrogation(istintaq) utilise par le fils du Coran est l’expression la plus sublime dans le processus de l’exégèse thématique, il évoque un dialogue avec le saint Coran et un questionnement à propos de problèmes particuliers dont on souhaite obtenir une réponse et une solution.
La première différence entre la méthode analytique et la méthode thématique en exégèse réside donc dans l’attitude active ou passive de l’exégète. Dans la première, il se contente d’entre réceptif alors que dans la seconde, il propose au Coran, ce Livre immunisé contre le faux, d’apporter une réponse à la somme des expériences humaines aux idées de son temps et de juger les différentes explications acquises tout au long de sa vie.
C’est dans cette option que le Coran demeure soudé à la réalité et à la vie humaine, son exégèse y prenant son point de départ pour se tourner ensuite vers lui. Elle ne prend pas le Coran pour points de départ et d’arrivée à la fois, ce qui serait un processus coupé de la réalité et séparé de l’expérience humaine.
Dans cette optique, le Coran concerne son éternelle et infinie capacité de renouvellement et de créativité puisqu’il ne s’agit pas d’exégèse lexicale. Les potentialités de l’exégèse lexicale ne sont pas illimités alors que le Coran, comme l’affirment les récits et comme il l’affirme lui-même, ne s’épuise pas. La parole divine est une source éternelle, inépuisable.
Ce dont intarissable, ces sens illimités que le Coran a lui-même confirmé et que les hadiths des Ahlul-Bayt (a.s) ont rapporté, cette situation de renouvellement permanent, résident précisément dans cette méthode, celle de l’exégèse thématique, car elle a pour démarche d’interroger le Coran qui renferme la science de l’avenir et du passé, le remède à nos maux et notre propre organisation. C’est par cette méthode que nous pouvons déceler l’attitude céleste envers l’expérience humaine. C’est pourquoi l’exégèse thématique est capable de se développer, d’évoluer et de s’enrichir en prenant en compte l’accumulation des expériences humaines et, de même, l’étude et la contemplation du Coran à partir de ces expériences nous permettent de mieux comprendre l’Islam et le Coran.
En deuxième lieu, l’exégèse thématique exige plus qu’une exposition du sens détaillé des versets coraniques, tel que le conçoit l’exégèse analytique. Elle tente de faire le lien entre les différents versets pour dégager une structure théorique qui puisse les agencer entre eux. La méthode thématique peut, dès lors, envisager de dégager par exemple la théorie coranique de la prophétie, celle relative à l’économie, celle des lois historiques ou bien celle qui concerne la cosmologie. Seule cette méthode nous permet d’élaborer de telles théories qui définissent l’attitude du Coran en vers un des aspects de la vie doctrinaire ou sociale de l’humanité.
Nous avons défini cette méthode comme étant thématique au sens où elle a pour point de départ un thème, issu de la réalité extérieure pour ensuite retourner au Coran. Elle peut également être nommé synthétique car elle fait la synthèse entre l’expérience humaine et le saint Coran, non pas en soumettant le Coran à la première, mais en les rassemblant dans le cadre d’une recherche pour en dégager une conception coranique de cette expérience ou d’un aspect de celui-ci. Elle est donc thématique et synthétique à la fois.
On peut également dire qu’elle est thématique parcs qu’elle sélectionne un certain nombre de versets relatifs à un thème. Elle est synthétique pour les mêmes raisons, elle fait la synthèse de ces versets et de leurs sens pour dégager un point de vue. Donc, les termes thématiques et synthétique son appropriés à cette méthode.
Nous avons mentionné plus haut que la méthode thématique fut appliquée au fiqh alors que la méthode analytique a plutôt marqué l’exégèse. Cela ne signifie nullement que les études juridiques ont épuisé toutes les potentialités de la méthode thématique. Il est nécessaire qu’elles en tirent aujourd’hui toutes les possibilités qu’elle renferme, aussi bien horizontalement que verticalement, en usant de toutes les ressources qui consistent à partir de la réalité pour se trouver vers la Shari’a.
Les anciens juristes vivaient effectivement dans la réalité de leur temps, les événements de la vie influaient sur réflexion, ils se tournaient vers les sources de la Shari’a pour en extraire les jugements légaux applicables à tel ou tel phénomène. Il est cependant nécessaire que la jurisprudence se renouvelle horizontalement dans le sens où elle doit poursuivre sa démarche qui consiste à partir de la réalité, les faits et les événements se renouvelant constamment, de nouveaux domaines apparaissant sans cesse. Il ne faut pas se contenter de la réalité limitée vécue par Sheikh at-Tusi ou al-Muhaqqiq al-Hulli. Combien de portes de la vie ont-elles été ouvertes depuis leur époque ? Il est nécessaire de soumettre ces nouveaux domaines à la Shari’a si nous voulons maintenir la vivacité de la méthode thématique.
Il est également souhaitable que la méthode thématique en jurisprudence se développe verticalement. Une telle orientation est essentielle pour saisir les points de vue fondamentaux de l’Islam à partir desquels dérivent les jugements légaux qui régissent la vie des Musulmans. Ces points de vue fondamentaux sont les conceptions de l’Islam concernant les différents domaines de la vie humaine. Par exemple, les lois économiques de la Shari’a sont issues d’une conception islamique de l’économie ; les lois relatives au mariage, au divorce et autres de ce type se référent à une conception islamique de la relation entre hommes et femmes et de leurs rôle respectifs. Ces concepts de base, sur lesquels s’appuie le fiqh, devraient être étudiés d’une manière plus approfondie. Il ne serait pas correct de les étudier en dehors du domaine de la jurisprudence, de manière purement académique car ils n’en sont nullement séparés.
En comparant les deux méthodes, thématique et analytique, de l’exégèse, nous avons démontré que la première était plus ouverte et plus généreuse capable de se renouveler et de se développer en permanence, puisque l’expérience humaine, son point de départ, lui assure la richesse de la matière. Il s’agit de l’unique méthode pour dégager les théories essentielles de l’Islam et du Coran relatives aux divers domaines de la vie.
Nous pouvons nous demander à propos de l’enjeu de connaître ces théories. Est-il si important de connaître, par exemple, la conception islamique de la prophétie, des lois historiques, de l’économie ? Il est évident que le prophète (SAW) n’enseigna pas ces théories sous leur forme condensée ou formules générales, il transmit le Coran, tel quel, aux Musulmans. Pourquoi ressentons –nous la nécessité d’élaborer ces théories alors que le prophète (saw) s’était contenté de délivrer son message tout simplement ?
En réalité, il est important de les élaborer et de les définir car nous ne pouvons nous en passer. Le prophète (SAW) les avait transmises, mais tout au long d’une pratique quotidienne baignant dans une ambiance coranique générale. Tout Musulman comprenait cette théorie, d’une manière générale, car le cadre moral, spirituel et social qui l’environnait lui permettait de saisir la vision correcte et lui donnait l’aptitude de juger les faits, les situations et les événements.
Pour comprendre ce phénomène, il nous faut imaginer deux individus, l’un baignant dans l’ambiance d’une langue donnée et l’autre voulant l’apprendre. Ce dernier devra choisir entre deux démarches :
a- vivre au sein des locuteurs de cette langue et s’immerger dans son ambiance pour qu’après un certains temps, il puisse accéder à sa structure et à ses usages. Il pourra, dès lors, choisir les termes exacts et distinguer le faux du vrai usage.
Mais un individu qui n’entreprend pas cette démarche doit pour pouvoir distinguer le vrai du faux usage, se référer aux usages de cette langue pour en déduire les règles générales et les théories, comme cela se passa pour la langue arabe. Il n’était pas nécessaire, au départ, que l’Arabe sache les sciences de la langue pour pouvoir s’exprimer correctement, car il vivait pleinement les usages de sa langue. Le besoin ne se fit sentir que lorsque le climat culturel général se transforma, lorsque d’autres langues firent leur apparition aux cotés de la sienne. Il fut alors nécessaire d’élaborer des théories de la langue et de fixer sa grammaire pour préserver son usage correct.
Les compagnons vivait, eux, auprès du vénérable prophète (SAW), ne recevaient pas ces théories telles quelles, elles leur étaient spontanément pas et naturellement inculquées, elles imprégnaient leurs esprits et leurs idées. Le climat social, spirituel et idéologique dans lequel baignaient les aidait à comprendre ces théories et à acquérir des critères corrects d’évaluation et de jugement. Mais lorsque ce climat ne fut plus en vigueur, lorsque ce cadre ne fut plus opérant, le besoin des théories exigea de les dégager du saint Coran lui-même, et notamment après l’apparition des conceptions et théories modernes. En effet, les relations entre le monde musulman et l’Occident, dont la vaste et riche culture englobe divers domaine de la connaissance humaine, ont placé les Musulmans devant de nombreuses conceptions face auxquelles l’Islam devait définir sa position.
Le Musulman confronté à des théories modernes relatives à divers domaines de la vie devait rechercher les réponses et les solutions que le Coran lui offrait. Il devenait nécessaire que les textes musulmans soient étudiés d’une manière intensive, qu’ils soient interrogés à propos de ces nouveaux phénomène et expériences pour en extraire le point de vue de l’Islam qui nous aurait permis de résoudre les problèmes occasionnés dans les différents domaines.
Donc, l’exégèse thématique est, pour nous, la meilleure méthode. Mais nous ne pouvons nous passer de la méthode analytique comme nous ne pouvons remplacer l’une par l’autre. Il nous faudrait plutôt ajouter l’une à l’autre, la méthode thématique constituant un pas en avant par rapport à l’autre. Les deux approches demeurent nécessaires.
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